La reine Anne Sinclair et le Sept de cœur

La célèbre journaliste Anne Sinclair fête son 75^e anniversaire ce samedi 15 juillet 2023. Pour cette dame qui a dû sa notoriété à sa jeunesse et son dynamisme dans un paysage audiovisuel français qui acceptait encore difficilement les femmes, elle n'a pas reçu, comme sa consœur Christine Ockrent, la "reine Christine" !, cette consécration sémantique d'être surnommée la "reine Anne". Elle serait plutôt le Sept de cœur... à moins d'être le Sept de pique ?

Sinclair n'est pas son vrai nom. Elle a changé quand elle avait un an, sa famille s'appelait Schwartz, et son père, industriel en cosmétique, a changé le nom en Sinclair, en raison de ce qui s'est passé pendant la guerre. Son grand-père paternel Léonce Schwartz a été arrêté à la rafle de 743 notables juifs français le 12 décembre 1941 (Anne Sinclair en a fait un livre sorti en 2020 chez Grasset). Sa mère Micheline était une passionnée de peinture, au point d'avoir été peinte par Picasso. Anne a d'ailleurs rencontré jeune l'illustre maître. Le grand-père maternel Paul Rosenberg était un grand marchand d'art dans les années 1930, propriétaire d'une collection de toiles de grands peintres à Paris, Londres, New York. Fille unique, Anne n'a jamais eu, par son environnement, de problème alimentaire, mais voulait devenir journaliste.

Sinclair est un nom qu'on pourrait croire sorti d'un roman. Il fait penser au célèbre Bob Saint-Clar, ce héros imaginaire incarné par Jean-Paul Belmondo dans l'excellent film de Philippe de Broca "Le Magnifique" (sorti le 23 novembre 1973), et sa délicieuse amoureuse, celle de l'écrivain joué par Belmondo, coquin de destin !, Tatiana, était jouée par l'actrice britannique Jacqueline Bisset... justement celle qui fut choisie par Abel Ferrara pour jouer le rôle d'Anne Sinclair dans son film "Welcome to New York" (sorti le 17 mai 2014) qui retrace l'affaire DSK avec Gérard Depardieu en patron du FMI (Dominique Strauss-Kahn a déposé plainte le 19 mai 2014 pour diffamation contre les auteurs du film et Anne Sinclair n'a pas déposé de plainte mais n'en était pas moins dégoûtée : « Je n'attaque pas la saleté, je la vomis ! »).

C'est sûr qu'Anne Sinclair n'a pas eu le beau rôle dans cette affaire DSK : coup de foudre dès le 27 octobre 1988 dans l'émission "Questions à domicile" (grande émission politique sur TF1, dont le principe était d'aller interroger les personnalités politiques chez elles, ce qui permettait de voir leur intérieur, résidence mais aussi famille). Après leurs divorces respectifs, ils se sont mariés le 26 novembre 1991 alors qu'il était ministre sous François Mitterrand depuis le mois de mai 1991 (parallèlement Christine Ockrent était mariée à un autre ministre). Camille Krantz a synthétisé le 29 juin 2012 pour Aufeminin.com la nouvelle idylle : « Elle est une journaliste de gauche, il est une étoile montante du parti socialiste. Anne Sinclair est riche (très riche), charmante et intelligente, il est ambitieux et séducteur. Tombant éperdument amoureux, ils se marient quelques années plus tard (1991) à Paris et forment un couple uni et recomposé. ».



Anne Sinclair est devenue une sorte de coach pour Dominique Strauss-Kahn, en d'autres termes, elle croyait en ses capacités à devenir Président de la République, surtout à partir de 1997 où il a été bombardé numéro deux (ou trois) du gouvernement de Lionel Jospin. Certes, l'affaire de la MNEF qui l'a obligé à démissionner de Bercy, puis son manque de réactivité lors de l'élection présidentielle de 2002 l'ont "retardé", mais, parce que la place était inoccupée (tous les éléphants dans une voie de garage), il avait sérieusement ses chances pour 2007.

Mais après l'échec magistral de Lionel Jospin, DSK aurait dû se positionner immédiatement comme le successeur naturel, au lieu de quoi, laissant l'ambiguïté se nourrir du manque de clarté, l'ambition et la notoriété de Ségolène Royal ont prospéré. En juin 2006, Anne Sinclair était persuadée que Dominique Strauss-Kahn serait choisi candidat du PS puis serait élu en 2007. DSK a fait ensuite une seconde erreur en acceptant le poste de directeur général du Fonds monétaire international (FMI), une fonction qui, certes, le faisait évoluer dans les relations internationales avec un quasi-statut de chef d'État, mais qui l'éloignait beaucoup trop de la vie politique française et surtout, du peuple français. Encouragé par des sondages très flatteurs, DSK a ensuite (plus que) "trébuché" au Sofitel de New York en mai 2011.

Alors qu'étaient étalées toutes les frasques sexuelles de son mari et que ses chances d'aller à l'Élysée s'étaient effondrées, Anne Sinclair a continué à le soutenir fidèlement, au point même de financer sa très coûteuse caution pour sortir de prison, déclarant qu'elle ne savait rien de la perversité du mari avec les femmes. Elle l'a quitté seulement en été 2012, du moins officiellement, une fois l'affaire judiciaire et l'élection présidentielle passées.

Dans cette période, Anne Sinclair n'était assurément pas une reine, mais plutôt Lady Diana... ou même (restons républicains), une Hillary Clinton dont le mari a chuté avant d'atteindre le Graal. Et le Graal, elle, l'avait déjà atteint depuis longtemps. Elle était dix mille fois plus connue que DSK lorsqu'ils se sont mariés. Elle avait non seulement la notoriété mais la reconnaissance d'être une grande journaliste à l'échelle nationale et internationale ; figure emblématique, elle incarnait la Marianne républicaine.



Après un diplôme à l'IEP de Paris, Anne Sinclair, qui a toujours voulu devenir journaliste depuis le 13 mai 1958 et sa passion de l'actualité (l'oreille collée à la radio Europe 1), a commencé sa vie professionnelle sur Europe 1 il y a cinquante ans, sans beaucoup de promesse (le milieu était hypermachiste et Jean-Luc Lagardère lui proposait d'être sa secrétaire !). Puis, trois ans plus tard, elle a été recrutée par FR3, la nouvelle chaîne de télévision. À l'époque, elle était mariée à l'éditorialiste bien connu Ivan Levaï qui officiait sur Europe 1 avant d'aller à France Inter.

À partir de 1982, Anne Sinclair travaillait pour TF1 et a obtenu peu après une émission phare, "Sept sur Sept", une émission hebdomadaire très importante dans la vie politique, une heure diffusée en direct le dimanche soir entre 19 heures et 20 heures (juste avant le journal télévisé), qu'elle a animée en alternance avec Jean Lanzi entre 1984 et 1987, puis seule entre 1987 et 1998, date à laquelle elle a quitté toute fonction visible pour ne pas faire de l'ombre au Ministre de l'Économie et des Finances.

Ses prestations dans "Sept sur Sept" ont été fortement appréciées des Français et lui ont valu trois Sept d'Or, en 1986, en 1988 et en 1990, ceux de la meilleure journaliste, et de la meilleure animatrice d'émission. Pendant quatre ans, elle a aussi cumulé avec l'animation de l'émission politique "Questions à domicile". À la privatisation de TF1 en 1987, elle a par ailleurs pris des responsabilités managériales, comme directrice adjointe de l'information. Elle a occupé différentes responsabilités jusqu'à directrice générale de e-TF1, mais elle a été débarquée en juin 2001 par les dirigeants de TF1 en raison de ses amitiés politiques à gauche, un peu trop voyantes.

Ces amitiés dont elle ne se cachait pas (en tant que femme de) lui auraient permis d'avoir sa place dans les équipes à gauche, mais elle a toujours refusé de tels postes : Laurent Fabius lui a en effet proposé en été 1984 d'être sa directrice de communication à Matignon lorsqu'il était Premier Ministre, et surtout, en février 2016, lorsqu'il a voulu se séparer de Fleur Pellerin qui ne faisait pas l'affaire, le Président François Hollande lui a proposé d'être la Ministre de la Culture (ce qu'elle a refusé).



Quand DSK a été nommé au FMI, Anne Sinclair s'est installée avec lui aux États-Unis. Après "l'affaire", Anne Sinclair a rebondi comme directrice de l'édition française du HuffPost de 2012 à 2019. Elle a aussi collaboré dans d'autres médias, radio, télévision et presse écrite. Depuis une dizaine d'années, elle est désormais la compagne d'un autre homme célèbre, l'historien et académicien Pierre Nora (successeur de Michel Droit en 2001), qui va avoir 92 ans dans quelques mois.

Anne Sinclair n'a jamais voulu écrire ses mémoires ; elle trouvait cela sans intérêt pour une journaliste. Elle le disait tout le temps, jusqu'au jour au Patrick Cohen lui a consacré une émission de "Rembob'INA" sur LCP : cette émission pioche (assez facilement) dans l'énorme somme documentaire des archives de l'audiovisuel public. L'ancien journaliste de France Inter s'était fait alors plaisir en rediffusant quelques extraits de l'émission "Sept sur Sept" : « J’ai trouvé intéressant ce témoignage sur une époque politique et médiatique. À partir de là, j’ai eu le désir d’élargir le portrait de la fille de la télé, de raconter mon enfance, ma passion pour le journalisme et, de fil en aiguille, tout le reste. ».

Évoquant en 2021, à Olivia de Lamberterie du magazine "Elle", son projet éditorial ("Passé composé" chez Grasset), Anne Sinclair expliquait qu'elle voulait sortir de la caricature qui la résumait de cette façon : « Au fond, je suis connue pour deux raisons : une émission qui reste encore dans les mémoires, tous les chauffeurs de taxi s’en souviennent  !, et 150 000 unes de journaux dont j’ai fait l’objet à mon corps défendant… Or, je ne suis pas complètement l’une ni tout à fait l’autre. » (elle avait déjà évoqué sa famille l'année précédente avec "La Rafle des notables" chez Grasset, pour maintenir la mémoire familiale).

Complicité intellectuelle, c'est sans doute ce qui l'avait déjà uni à DSK avec cette perspective complètement folle et mégalomane, mais possible et réaliste de conquérir ensemble l'Élysée. Alors, nécessairement, dans la vie d'Anne Sinclair, il y a un petit goût amer d'inachevé...


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Sylvain Rakotoarison (09 juillet 2023)
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