La revanche de Dany
La France des quatre coins de l’Hexagone va en connaître toute l’histoire : Philippe (Kad Merad), directeur d’un bureau de poste, subit une mutation de Salon-de-Provence à Bergues, dans le Nord. Persuadé d’aller directement dans l’enfer du Nord, le voilà découvrant tout le contraire.
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N’en doutons pas : le film de Boon fera un grand boom dans la sphère cinématographique française. Déjà plus de 66 000 spectateurs dans le Nord aux premiers jours et des millions certainement pour très bientôt. A l’heure où le président Nicolas Sarkozy divise les Français, voilà un comique pour nous rassembler.
A l’unanimité ?
Le Nord : jusqu’ici, on avait eu Rosetta, la tragédie minière (Germinal), le drame scolaire (Ça commence aujourd’hui, de Tavernier), le pessimisme rigoriste (Bruno Dumont). On avait les téléfilms avec Gérard Klein, les polars baroques et les documentaires avec chômeurs, cas sociaux et ivrognes incestueux.
Pour Dany Boon, tout part d’une revanche à prendre et d’une humiliation redoublée. A la question : « Avez-vous conscience d’avoir joué un rôle dans cette identité retrouvée des gens du Nord ? » Il répond : « C’est pas à moi de le dire... Si c’est le cas, j’en suis très fier. C’est une magnifique revanche sur le petit garçon de 12 ans dont on se moquait parce qu’il parlait “comme cha”. »
Dany Boon nous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, ce temps béni où Dunkerque et Calais n’étaient pas encore ces têtes de pont pour immigrés à régulariser, fantômes chassés par Hortefeux et le libéralisme cannibale. Dany Boon, lui, n’a connu que la bonté nordiste, l’accueil à bras ouverts et les accolades dans le dos de « gens simples ». Encore que. Le père kabyle déraciné à Bergues pendant ou après la guerre d’Algérie ? Si merveilleusement accepté ? Mystère. Le fils Dany, lui, sera victime potentielle et réelle quand viendra son tour. Il traversera les épreuves de l’humiliation d’avoir à renier ses origines ch’ti : « J’ai parlé ch’ti jusqu’à 12, 13 ans. Puis j’ai dû désapprendre à l’école. On se moquait de moi. Ça faisait prolo. »
On sait que l’humour depuis Freud porte en lui une agressivité latente. Via les plaisanteries, la vie sociale et les rapports de voisinage peuvent être acceptables et acceptées. Dany Boon, fils de kabyle, converti au judaïsme, est déjà ce héros comique an-historique, quasi universel à lui tout seul. Avec un père kabyle, une mère catho (Line Renaud en mère du Nord... on n’y croit pas un instant ! On ne voit en elle que l’amie de Jacques et de Bernadette), Dany porte donc les trois monothéismes en lui !
Revanche aussi contre ce Nord qui le chasse, qui lui fait perdre le Nord et qui le pousse à Paris. Avec ce film, n’en doutons pas, il va revenir au pays en conquérant, dans ces « endroits foireux », dans ces « troquets avec clients bourrés et chiens méchants », invité par des « comités d’entreprise méprisants », qu’il a connus avant de filer à Paris avec une histoire de friteur où là encore, il connaît le rejet : « On comprend rien, on m’a dit. Faut écrire en français. »
Revanche tout en douceur sur ce milieu parisien, sur ces « professionnels de la profession » qui se moquent de lui et de son look et qui, aux Molières, aux Césars, ne lui décernent pas la moindre récompense. Il lâchera, amer : « À chaque fois que je vais aux Césars, je loue une moitié de smoking. Je sais que je n’aurai pas à me lever. »
Revanche en douceur de ce gamin du Nord (...de la France, de l’Afrique). Un spectateur dira l’unanimité, la communion : « Dans la salle pleine à craquer il y avait toutes les générations, toutes les races, comme un rassemblement, une communion comme on les aime ! » En écho avec le désir éperdu de reconnaissance, Dany Boon rapporte : « Il fallait aussi un film qui parle à beaucoup de monde. »
Revanche sur le regard du cinéma franchouillard contemporain : « Regardez le cinéma français, quand il y a une comédie, elle se tourne dans le Sud. Dès qu’il y a un drame, il se tourne dans le Nord. Moi, j’en avais marre... »
Et le film alors ?
Il ne laisse guère entrer le hors-champ des terres nordistes du présent dans les images. C’est ainsi que Philippe d’Aix et de Cassis, sa femme, ses amis n’ont pas du tout l’accent de Marseille (sauf Patrick Bosso, le policier). Car le match n’est pas, pour le réalisateur, Marseille-Lens (deux régionalismes qui s’affronteraient) mais bien le Nord contre la France entière et ses préjugés.
Et l’arête de ce combat vital pour la reconnaissance, c’est bien sûr la langue, la langue sur laquelle le film va se jouer. Le ch’ti, langue du populo contre le Français, la langue de cour, des nantis, de l’ailleurs. Dès la première rencontre entre Kad Merad et Dany le postier, tout est dit en chuintements et en ping-pong comiques. On imagine un autre étranger arrivant en Pays étrange et on pense vaguement à l’arpenteur de Kafka au pied du Château.
Mais non, bien sûr.
Dany choisira la jubilation et les blagues de potache. (Curieusement on n’y croise que des Nordistes pure souche. Quid du Nordiste de Tlemcen ou de Mostaganem ?)
A table, entouré de ses amis postiers (la hiérarchie et les contraintes de rendement sont gommées de ce service public... éternel (?)), Kad Merad redevient l’enfant jubilant, s’immergeant dans une Langue inconnue. Il se saoûle au ch’ti et il aura la même réaction que ces enfants venus de loin : « Apprenez-moi les gros mots ! » Plus loin dans le film, Dany Boon dira à Kad... in extremis, en écho : « Mais nous, on sait aussi le Français. » (Ben... oui, faudrait pas avoir à l’oublier.)
Les virées avec copains d’enfance et nouveaux copains, la baraque à frites, le RC Lens et le public sang et or du stade Bollaert, le « plat pays » de Brel, la pluie sur l’autoroute bleu nuit, le char à voile, le Picon bière, le chicon gratin, la bistouille, le café chaud allongé au genièvre, le Maroual, le Carillon, le vœu secret de suivre le chemin de reconnaissance populaire de Louis de Funès / Bourvil : tout y passe.
Et hélas, ça lasse un peu.
Puis chacun s’en repart, yeux mouillants pour la seconde fois.
Kad et sa femme laissent derrière eux le carillon carillonner, le postier en poste et le Dany marié endimanché sur la place déserte, toute pavée des meilleures intentions du monde.
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