La symphonie Youtube
Deux heures et demi de frissons musicaux : ce fut l’avènement de la symphonie Youtube le 15 avril 2009 au Carnegie Hall de New York. Le projet fut organisé par Michael Tilson Thomas, ce chef d’orchestre qui se consacre à offrir la musique classique à un plus large public, et parrainé par le compositeur chinois Tan Dun (notamment compositeur pour le film Tigre et Dragon).
Leur pari d’un orchestre créé en ligne grâce à 3000 auditions, effectuées dans 70 pays, s’est révélé une réussite. 96 musiciens avaient été sélectionnés parmi différentes nationalités. Peu d’entre eux vivaient de leur musique et avaient jamais espéré jouer dans ce lieu prestigieux. Le foyer d’un orchestre prenait pour un soir les dimensions de la planète.
Contrairement à toute habitude, les applaudissements explosent entre chaque morceaux, tandis que des compositions de différentes parties du monde, de différents siècles sont jouées dans un ordre défiant toute chronologie. Chaque fois, l’image des continents est projetée sur le plafond en fonction de l’origine des compositeurs, ainsi que des vidéos présentant les musiciens sélectionnés.
Soudain le chef d’orchestre Michael Tilson Thomas se retourne face au public ; les trompettistes jouent Giovanni Gabrieli, compositeur du XVIe siècle italien, depuis les loges côté cour et côté jardin, distributant les sons dans l’air. Les gestes de Michael Tilson Thomas deviennent de grands mouvements d’offrande.
En vidéo, des visages de femmes se fondent par morphing les uns dans les autres dans de savants mouvements de haut en bas et de droite à gauche tandis que le jeune Joshua Roman interpéte seul la Sarabande de la suite numéro 1 en G majeur de Bach au violoncelle : http://www.youtube.com/watch?v=nUDIoN-_Hxs
Bonheur crescendo dont La symphonie internet numéro 1 de Tan Dun, qui est le symbole de ce projet : http://www.youtube.com/watch?v=Tqiro1kdRlw. Intitulée Eroica, Tan Dun déclare l’avoir composée pour les héros et surtout le héros au fond de chacun de nous. Mêlant enjoliveurs de voiture et orchestration classique, Tan Dun en une symphonie cherche à remythifier l’homme et le monde.
Un autre moment d’intensité nous est offert par la pianiste Yuja Wang qui interprète le Scherzo du concerto numéro 2 en G mineur, op.16 de Prokofiev dans une exécution aussi précise, qu’affolante et audacieuse. Un clavier virtuel serpente à toute allure sur les murs. Elle ajoute pour le plaisir du public "Le vol du bourdon" de Rimsky Korsakov.
Puis juxtaposition insolite d’un Debussy, extrait des Nocturnes, interprété avec délicatesse sur un sol de nuages mouvants, et d’une Aria avec Renga de John Cage. Celle-ci se fonde sur des improvisations de l’orchestre, accompagnées par la soprano Measha Brueggergosman dans une pluie de sons et de langues différentes, et un saisissement de tous les sens.
Le public applaudit, debout. Cette expérience d’une musique globale a gagné un public large, de tous âges, attiré par l’inédit et aussi le prix des places très démocratique... Loin d’être un simple un enjeu commercial, la passion de tous les artistes présents était palpable dans la salle. L’orchestre symphonique Youtube a fait surgir sous un jour renouvelé Brahms, Rachmaninoff, Wagner, Mozart, à travers le contexte de notre vie présente, et découvrir des compositeurs innovants comme le san franciscain Mason Bates qui réalise une performance électronique au clavier de son ordinateur ou l’étonnant Heitor Villa-Lobos aux couleurs de musique brésilienne. Le chef de l’orchestre symphonique de san Francisco Edwin Outwater vint conduire également plusieurs morceaux dans la soirée. Lui-même soutient de jeunes compositeurs talentueux comme cet autre san franciscain Nathaniel Stookey.
On peut bien sûr s’interroger sur la sélection des musiciens en ligne ou arguer qu’un orchestre a besoin de jouer ensemble de longues années pour qu’une harmonie supérieure se crée. Néanmoins, cet orchestre a su servir la Musique classique et la faire résonner en nous, dans toutes les dimensions de notre vie. Et elle peut se revivre aussitôt en ligne sur Youtube :
http://www.youtube.com/watch?v=ueJcRmfweSM (Acte I)
et http://www.youtube.com/watch?v=6cS653udPCM&feature=channel (Acte II).
Alors toutes les connexions intimes et internet se rejoignent.
Laureline Amanieux ©
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