« La Vie devant soi » par Romain Gary (Emile Ajar)
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Roman Kacew est né en 1914 en Pologne. Diplomate, écrivain, cinéaste, il est le seul à avoir obtenu deux prix Goncourt ; l’un sous son nom d’artiste, Romain Gary, et l’autre sous un faux nom, Emile Ajar.
L’idée de cette nouvelle identité littéraire lui vient en 1973.
"Gros Calin" qui est son premier roman sous le nom d’Ajar est bien accueilli par la critique. Mais très vite le doute s’installe quant à l’identité véritable d’Emile Ajar, l’assimilant tantôt à Raymond Queneau, tantôt à Louis Aragon. En 1975, Romain Gary décide de mettre un terme aux rumeurs en associant une personne physique au nom d’Emile Ajar.
A la parution de ‘La Vie devant soi’, un parent de Gary, Paul Pavlovitch, endosse le rôle d’Emile Ajar. La même année, l’auteur factice obtient le prix Goncourt. Dès lors, un problème se pose : le prix ne pouvant être décerné qu’une fois au même auteur et Romain l’ayant déjà reçu en 1958, l’avocate de ce dernier lui conseille de le refuser. Mais Paul Pavlovitch, pris au jeu, décide de l’accepter.
En 1979 paraît le dernier roman d’Emile Ajar, ‘L’Angoisse du roi Salomon’. L’année suivante, Romain Gary met fin à ses jours. Le personnage d’Emile Ajar lui survivra quelques mois jusqu’à ce qu’un communiqué de l’AFP dévoile sa véritable identité.
"La Vie devant soi" est le deuxième roman publié sous le nom d’Emile Ajar par Romain Gary.
Dès les premières pages on est embarqué dans ce quartier de Belleville des années 70.
Un livre plein de la poésie enfantine de Momo qui regarde le monde avec humour, tendresse et malisse. Au travers de son langage coloré des sujets graves sont abordés comme la prostitution, la Shoah, l’immigration, l’euthanasie, etc.
Momo(Mohamed) a 10 ans (ou 14), il a été recueilli dès son plus jeune age par madame Rosa qui s’est spécialisée en nounou de "fils de putes" (Moïse, Banania, Touré et le Vietnamien). Tout ce petit monde vit dans le quartier de Belleville, au sixieme sans ascenseur.
Madame Rosa , ancienne gagneuse qui se "défendait avec son cul", est juive, revenue des camps de la mort . Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, obèse, laide et malade, elle a peur de finir comme un légume. Elle "s’absente" de plus en plus fréquemment, sentant bien que ses jours de pleine lucidité sont désormais comptés.
Le tour de force de ce roman, c’est d’évoquer un sujet résolument grave sur le ton de la légèreté. La grande faucheuse est omniprésente , on la sent se rapprocher inexorablement jusqu’à vous submerger de sa noirceur et pourtant , par le biais de ce jeune héros au phrasé si particulier, la lecture s’accompagne d’un sourire qui ne vous quitte jamais.
Les personnages découverts sont hétéroclites au possible. Cela va de Monsieur N’da Amédée, "proxynete" à Monsieur Hamil , ancien vendeur de tapis ambulant qui se balade avec "Les Misérables" d’Hugo sous le bras, en passant par Madame Lola,l’ancien champion de boxe au Sénégal devenue travestie au Bois de Boulogne,son ami imaginaire Arthur (le parapluie) ; le docteur Katz ; la comédienne Mademoiselle Nadine .
Ce roman est tour à tour lyrique, naïf, sombre et violent mais baigne, paradoxalement , dans une perpétuelle bonne humeur contagieuse . Son humour tendre et décalé vous emportera de la première à la dernière page !
"La vie devant soi" est avant tout une histoire de langue. Dès les premières pages, on tombe en amour pour le parler du petit Momo. Élevé à l’école de la rue, Momo maltraite la grammaire et la syntaxe, déforme les mots et les expressions, mais offre en même temps un langage poétique et puissamment littéraire.
Tout le récit repose sur cet exercice de style extrêmement périlleux mais parfaitement réussi puisque dès la première page on oublie totalement l’écrivain. Toute l’attention du lecteur est portée vers cet enfant singulier qui nous raconte la vie de tout ce petit monde à sa manière.
Avec un extrême pudeur, Émile Ajar (Romain Gary) raconte une histoire d’amour filiale entre un petit musulman et une vieille juive, entre deux êtres qui ont pourtant été privés d’amour toute leur vie et qui ne se sont jamais autorisés à l’exprimer.
Le livre sera adaptée au cinéma en 1977 par Moshé Mizrahi avec une Madame Rosa incarnée magnifiquement par Simone Signoret. Elle obtiendra le César de la meilleure actrice pour son interprétation dans ce rôle.
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