Lamartine, le grand oublié
Henri Guillemin, le grand historien, a démontré, preuves à l’appui, lors d’une de ses célèbres conférences, qu’Alphonse de Lamartine n’était pas seulement le poète d’un temps dont il voulait suspendre le vol, mais avant tout l’un des visionnaires politiques les plus importants de son époque.
Lamartine, c’est d’abord celui qui a contesté sans hésitation Napoléon Bonaparte, ce qui lui a valu quelques inimitiés…puisque lors du retour des cendres de l’ex-empereur, il s’était offusqué de ce « culte du sabre, ce culte de la force », ajoutant « je ne sais pas ce que c’est de cette adoration du succès » et concluant : « le 18 brumaire, c’est un recul terrible par rapport à la révolution, une rentrée dans le passé ».
Au moment de choisir le lieu définitif ou reposerait l’ex-empereur, il avait, lors d’un discours à l’assemblée nationale, très clairement donné son opinion : « je ne me prosterne pas devant cette mémoire (…) je ne veux pas feindre un culte que je ne sens pas dans le cœur, encore moins dans l’intelligence ». lien
Ce qui est moins connu, c’est que l’aristocrate qu’il était, était habité par l’idée d’une république sociale.
Lorsqu’il était député, il avait déclaré que sa préoccupation majeure était sociale, et non politique, dénonçant l’injustice entre « le fabricant et l’ouvrier », ajoutant « la question des prolétaires est celle de notre siècle qui fera l’explosion la plus terrible ».
Ce qui ne manque pas d’étonner, puisque ce conservateur était, comme le dit Guillemin, un grand possédant, et pourtant il veut convertir, manifestement en vain, ses amis conservateurs, et monarchistes, à son idée de créer un parti social.
Pour vérifier le nombre éventuel des sympathisants à ses idées, il se présente à la présidence de l’assemblée, et constatant que sur 309 votants, seulement 64 voix lui sont favorables, il décide de prendre la tête de la révolution paisible qu’il appelle de ses vœux, tentant de faire comprendre à ses concitoyens que République et terreur ne sont pas de même nature.
En effet, comme le constate Guillemin, seulement 50 ans s’étaient écoulés depuis la terreur, et les français en avaient gardé, on s’en doute, d’assez mauvais souvenirs, faisant encore un amalgame entre les évènements de 1789 et la révolution souhaitée par Lamartine.
Or le député poète avait achevé au bout de 3 ans un imposant ouvrage sur l’Histoire des Girondins, constatant finalement qu’il s’était trompé : les Girondins n’étaient pas les révolutionnaires purs et durs qu’il imaginait, leur opposant les Montagnards aux mains couvertes de sang, mais selon l’historien, il découvre que les girondins étaient des « gens parfaitement résolus à laisser subsister toutes les inégalités (…) et voulaient substituer la domination de la richesse à la domination du trône… », et conclura son livre par un hommage à Robespierre.
Son livre sera l’un des plus grand succès de librairie du 19ème siècle. lien
Finalement, il va remporter quelques succès puisque lors de l’élection du 23 avril 1848, il réunira sur son nom 2 millions de voix. lien
Pourtant il ignorait qu’une certaine ambiguïté s’était installée, et que s’il est vrai qu’une partie des voix venaient bien sur de la gauche, d’autres venaient de ses confrères conservateurs.
Le diplomate et Comte Rodolphe Apponyi, épouvanté par la révolte qui s’était fait jour dans la rue en février 1848, comprend finalement que le succès de Lamartine serait contreproductif, déclarant : « nous sommes sauvés grâce à la tartine de paroles dont monsieur de Lamartine nourrit le bon peuple parisien ». lien
Comme Lamartine reste tout de même un possédant avec ses 3 châteaux, le diplomate pense qu’il s’agit de sa part d’une forme d’imposture, qu’il va réussir à endormir le peuple par ses belles paroles, ce qui laissera tout le temps aux conservateurs de reprendre les rênes, de reconstituer les forces de l’ordre, et de l’armée, afin dit-il « de ramener la canaille au chenil par des moyens appropriés ».
C’est effectivement ce qui va arriver, car si, contrairement à ce qu’a déclaré le comte Apponyi, Lamartine est sincère, ses amis conservateurs vont médiatiser le fait qu’il ne peut être réellement un révolutionnaire, et qu’il s’agit de sa part d’une cynique manipulation de l’opinion.
Pourtant le programme de Lamartine est ambitieux : abolition du remplacement militaire, lequel permettait à un riche de se faire remplacer par un pauvre lors d’une guerre, augmentation massive du salaire des instituteurs, mise en place d’une surveillance des trusts, abaissement de la durée du travail (l’ouvrier qui travaillait jusqu’à 17 heures par jour, s’en verra proposer 12), (lien) voulant la nationalisation des chemins de fer, que son successeur, le général Cavaignac décidera plus tard, (lien) et prônant l’impôt sur le revenu, déclenchant la fureur des nantis. lien
Il sera aussi l’un des protagonistes de l’abolition de l’esclavage, lequel sera effectif le 27 avril 1848. lien
Alors un complot va se mettre en place afin de discréditer le trublion : 110 000 ouvriers seront employés au sein des ateliers nationaux à creuser des tranchées sur le champ de mars, pour les reboucher ensuite, discréditant du même coup « le socialisme version Lamartine ».
Victor Hugo, député à l’époque, avait largement donné son avis sur ce choix, s’inquiétant de « cette énorme force dépensée en pure perte » et concluant « la monarchie avait les oisifs, la République aura les fainéants ». lien
C’est là où le comte Alfred Pierre de Falloux, catalogué en principe comme républicain, a une idée diabolique : il va s’employer à supprimer le maigre salaire que recevaient ces ouvriers, afin de provoquer leur colère, leur descente dans la rue, ce qui serait l’occasion d’envoyer la troupe et la gendarmerie pour mater la population.
Ce Falloux était le type même de l’opportuniste : d’abord député légitimiste, il rejoint le camp républicain aux cotés de Lamartine et se trouvera plus tard ministre de Louis Napoléon Bonaparte.
C’est aussi à lui que nous devons cette loi qui accorde au clergé la liberté de l’enseignement secondaire. lien
Falloux présentera donc le décret de dissolutions des ateliers nationaux le 23 juin 1848, provocant l’insurrection prévisible.
Lamartine avait bien vu le piège qui lui était tendu, et demandera à Eugène Cavaignac, ministre de la guerre, d’empêcher tout rassemblement, afin d’éviter les barricades, et l’inévitable bain de sang…sauf que son ministre est complice des comploteurs, et cantonnera tranquillement ses soldats dans leurs casernes, permettant ainsi la révolte de se concrétiser.
Une fois la révolte bien lancée, les barricades mises en place, Lamartine va être obligé de faire tirer sur la foule des révoltés, se discréditant définitivement et se verra destituer le 24 juin perdant ainsi le pouvoir civil et militaire au bénéfice de Cavaignac.
Coup double pour les conservateurs qui vont d’une part se débarrasser de Lamartine, et reprendre le pouvoir, faisant passer au prolétariat le gout de la révolte pour un certain nombre d’années.
Lamartine est fini, et lorsque dans un dernier espoir il se représentera le 10 décembre 1848 devant les électeurs, il obtiendra moins de 18 000 partisans…bien loin des 2 millions de voix recueillies quelques mois auparavant.
Louis Napoléon Bonaparte et Cavaignac se partageront alors le pouvoir, et Lamartine, rejeté quasi par tous, couvert de dettes, va finir sa vie difficilement publiant livre sur livre, pour tenter de s’en sortir du mieux qu’il peut.
En vain.
Finalement l’Etat, compatissant, lui attribuera une maigre rente, ainsi qu’un petit chalet, à Passy, au nom cruel : « la Muette ».
En effet, la bourgeoisie avait réduit définitivement au silence cet homme qui avait tant soif de justice et d’équité sociale. lien
La fatigue, la maladie, et une attaque cardiaque mettront fin à toutes ses espérances.
Ses ennemis avaient fini par faire entendre au peuple que l’exercice de la poésie n’était pas compatible avec l’exercice du pouvoir. lien
En 1869, sa famille ira jusqu'à refuser les funérailles nationales auxquelles il avait droit. lien
Comme dit mon vieil ami africain : « l’amour du méchant est plus dangereux que sa haine ».
L’image illustrant l’article provient de « armorpassion.com »
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Olivier Cabanel
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