Le Beau et la Vie. Retours sur la Passion selon Saint-Jean d’Alessandro Scarlatti
Pourquoi quelques mots sur un concert suivi d’un enregistrement ? Parce que le moment est particulier. Parce que les micros et les caméras ne peuvent dire tout des fourmillements et des passions qui ont traversé ces jours d’intense labeur.
Pour le public, il y a fort à parier que le visionnage de la Passio secundum Ioannem d’Alessandro Scarlatti (1660-1725) reste un beau moment musical, à l’instar de bien d’autres. Mais c’est bien plus que cela. N’est-il pas troublant de se demander comment produire encore du Beau dans ces instants de tristesse ? Car ce que l’on peut voir sur Culturebox — ou entendre sur disque d’ici une année chez Ricercar — est pour toujours intimement lié aux évènements tragiques du 22 mars à Bruxelles.
Cette Passion n’aurait pas vu le jour sans la détermination de tous les musiciens, du chef Leonardo García Alarcón, mais peut-être surtout des personnes qui œuvrent dans l’ombre et qui ont dû gérer en catastrophe un agenda totalement renouvelé. Le projet s’est en effet tenu en Belgique sur quatre jours au lieu des cinq initialement prévus, le temps de faire venir tous les musiciens. Et pourtant on ne l’entendra pas. Sans tomber dans l’angélisme ou l’héroïsme malvenu, disons le franchement : l’urgence inhérente à ce genre d’évènement a laissé place à une concentration salvatrice, certainement secondée par un amour de la partition où chacun s’est retrouvé. Ce à quoi on a assisté tient du petit miracle. Est-ce peut-être grâce à la puissance de l’introduction quasi mystique de la Passion ? C’est en tout cas une des plus belles pages du baroque italien, encore toute teintée des effets stylistiques du Seicento. Cette ouverture a retenti un nombre incalculable de fois, est comme entrée en résonance avec la tragédie des jours précédents, mais aucune prise de son et aucune caméra ne pourront capter le silence bénédictin qui s’est produit le samedi 26 mars à Malonne lors de l’unique représentation, après une minute de silence demandée par le chef. Comme un voile de pudeur défait, pour une raison que l’on aurait préféré toute autre, la Passion est dès lors apparue encore plus moderne qu’elle ne l’est au départ. Entrecoupée de magnifiques Responsori per la Settimana Santa du même compositeur — qui mériteraient d’ailleurs une exécution complète —, l’œuvre de Scarlatti n’était pas seulement la métaphore d’une fête de Pâques ou l’hommage aux victimes de Bruxelles mais elle devenait le triomphe du Beau sur l’obscurantisme.
Ce que les caméras ont capté tient du jour suivant et les micros du jour d’après. L’église du Béguinage de Saint-Trond est un autre lieu captivant par ses peintures murales datant du 13è siècle au 17è siècle. Est-ce que le résultat est à la hauteur ? Plus qu’on ne le croit. Doit-on s’embarrasser de toutes ces considérations pour profiter d’une interprétation ? Parfois, malheureusement, c’est essentiel.
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La Passio Secundum Ioannem d’Alessandro Scarlatti est disponible dès 19h le 30 mars 2016 sur Culturebox via ce lien.
Millenium
Choeur de Chambre de Namur
Leonardo García Alarcón, direction
Giuseppina Bridelli, Testo
Salvo Vitale, Christus
Solistes du Choeur de Chambre de Namur
Caroline Weynants, Ancilla
Guillaume Houcke, Pilatus
Pierre Derhet, Petrus
Maxime Melnik, Un juif
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