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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Le bonheur est dans le pied

Le bonheur est dans le pied

Le pied est le grand négligé du corps humain moins noble que la tête, moins doué que la main outil, moins précieux et moins vulnérable que les génitoires. Et pourtant le pied mériterait beaucoup plus d’attention et de considération et ne pas rester du domaine des fétichistes et des professionnels de ses soins et de son entretien. Le pied entre aussi fréquemment dans des expressions de la langue française et ses particularités ont permis de donner des sobriquets à de nombreuses personnalités historiques. Si un pied présentant des défauts peut pénaliser la marche, il n’interfère pas dans la progression d’une carrière ou d’un avenir. Cendrillon aurait sûr et certain battu Berthe au concours de la pantoufle, mais la taille du pied, n’empêcha pas la mère de Charlemagne de régner en coulisse sur l’Empire franc. Et puis, tout l’homme repose sur le pied, ne dit-on pas colosse aux pieds d’argile. Respect pour le pied, pourrait-on dire en banlieue !

Cet article est un appel du pied pour que le lecteur s’intéresse à cette partie du corps bien trop méconnue et négligée. On traite trop souvent le pied par-dessus la jambe.

Le bonheur est dans le pied,

Cours-y vite, cours-y vite,

Le bonheur est dans le pied,

Cours-y vite Il va filer,

Saute par-dessus la haie,

…….

Le célébrissime poème de Paul Fort, par son rythme et son thème, évoque le Moyen-âge et le fameux Branle de la haie, qui comme son nom pourrait l’indiquer, n’incite cependant pas à la masturbation derrière un buisson.

Le pied, comme il vient d’être dit, fait le bonheur de deux catégories d’individus. Les fétichistes qui sont prêts à dépenser des fortunes pour le vénérer et d’autre part, l’armada des professionnels du pied, podologues, pédicures, orthopédistes, bottiers, masseurs, reflexologues, qui en vit, quelques fois grassement.

Les podologues et pédicures, que l’on pourrait qualifier de visagistes du pied, font tout comme les chirurgiens orthopédistes, des pieds et des mains pour satisfaire leurs clients. Ces activités, il faut le reconnaitre, leur permettent de vivre sur un grand pied.

Mais laissons là pour le moment les admirateurs et professionnels du pied et faisons une petite ballade historique, culturelle et linguistique qui va nous mener pas à pas sur le sentier du pied.

Tout ou presque commence quand Thétis trempe son fils dans le Styx pour lui donner l’invincibilité. Hélas, elle le tient par le talon et cette zone vulnérable sera fatale à Achille qui périra lors de la guerre de Troie. Prendre un enfant par le pied, ce n’est pas forcement lui venir en aide comme on pourrait le croire en écoutant Yves Duteil. Pour Achille, la malédiction est dans le pied.

Ensuite, c’est toute une kyrielle de personnages historiques, d’artistes ou d’écrivains devenus célèbres grâce ou en dépit de leurs pieds. La Reine Berthe a déjà été évoquée, mais elle fut suivie de bien d’autres. De Jeanne la boiteuse, épouse de Philippe VI de Valois qui gouverna la France quand son mari guerroyait et qui fut traitée de sorcière à cause de son infirmité, en passant par Tamerlan, (ou Timur Leng, leng voulant dire boiteux), ils sont nombreux à avoir attiré entre autres l’attention. Talleyrand, qualifié de diable boiteux, Byron, le poète au pied bot, Toulouse-Lautrec, tenant à peine debout sont d’autres pieds célèbres. Le pied inspire aussi les peintres et les sculpteurs. Les études de pieds sont des exercices obligatoires pour qui apprend le dessin, mais il peut servir de thème central à des œuvres comme chez Magritte, Dali (le modèle rouge, ou le pied de Gala) ou Camille Claudel (le pied en marbre). Sans parler de Jerry Lee Lewis qui jouait du piano avec le pied, frappant le clavier avec son talon lors de mémorables concert de rock’n’roll.

Mais cet article est trop court pour donner au pied toute la dimension qu’il mérite tant dans le monde des arts et des lettres que dans la vie quotidienne de chacun.

Le pied entre abondamment dans l’expression orale et imagée de notre langue. L’argot foisonne de mots et d’expressions tellement riches et variées que Pierre Perret aurait pu le choisir à la place du zizi pour son évocation de l’organe. Pinceaux, panards, targettes, nougats, arpions, lattes ne sont que quelques unes des appellations synonymes du pied. Les petons de la Valentine de Maurice Chevalier ne devaient pas être d’infâmes et puants ribouis, pour qu’il les tâtât à tâtons. Et prendre son pied, surtout quand on grimpe au lustre, ce n’est pas une mince affaire. Nous passerons par contre très rapidement sur le foot fucking, variante sexuelle extrême du fist fucking ou le pied remplace le poing.

Le bonheur est dans le pied sauf quand on tombe sur un casse-pied, qui vous prend la tête ou qui vous les brise menu. Certes il est plus facile de mettre à pied un homme de main, qu’une femme de tête. Mais de là à mettre les pieds dans le plat, il y a des limites à ne pas dépasser. Car c’est bien connu en Chine, « c’est au pied du mur qu’on voit le coolie maçon ! ».

 

Mais le pied fait également le bonheur d’un grand nombre d’admirateurs. Qui n’a rêvé de vernir les ongles d’une jeune et jolie femme, de rester à ses pieds, surtout si elle porte une mini-jupe et d’œuvrer sur ses orteils comme un Picasso des arpions, avec en plus « vue sur la mer » ! Cependant, entretenir ses pieds coûte une fortune, et pour avoir de beaux doigts de pieds, il faut en avoir les moyens, ventre affamé n’a pas d’orteils, c’est bien connu.

Le fétichiste du pied aime regarder, toucher, caresser, lécher l’objet de sa vénération. Il s’intéresse et se passionne pour tout ce qui peut habiller le pied, le mettre en valeur. Il fantasme sur l’escarpin, sur le talon-aiguille. Le pied, objet sexuel par excellence dans tous les peuples du monde avec un particularisme spécial pour les Chinois (on se souviendra de la sinistre pratique des pieds bandés) fait fantasmer les hommes depuis des millénaires. Les évocations fétichistes sont fréquentes au cinéma. Des films de Buñuel, père et fils et d’Almodovar, à l’inénarrable scène du film de François Truffaut, « Baisers volés » où Jean-Pierre Léaud, alias Antoine Doinel, regarde les pieds de Delphine Seyrig dans un magasin de chaussures en scandant d’un ton monocorde et décalé : « Ah ! Le pied, un pied, votre pied ! »

La femme par contre n’est pas tellement attirée par le pied masculin, bien qu’il existe des exceptions. Elle est plutôt souvent atteinte d’une forme de narcissisme compulsif qui la pousse à s’acheter des chaussures, quelquefois par centaine de paires. Et quand on ne s’appelle pas Imelda Marcos, le budget familial s’en ressent. Alors que l’homme en général attend que ses souliers soient usées jusqu’à la semelle pour en changer. Le mocassin non troué, exhibé sous le nez du prétendant par la jeune file nubile, est une métaphore de la virginité dans certaines tribus amérindiennes. Le pied féminin est apprécié petit par les connaisseurs, le mythe de Cendrillon a la peau dure. Combien de femmes ont subi la torture en marchant car elles s’étaient acheté des chaussures trop petites, malgré les conseils avisés de la vendeuse ! Par contre, l’homme viril se doit d’avoir de grands pieds tel l’ogre de la fable et les bottes de sept lieues. On vante le 54 de certains nageurs et footballeurs, alors que se sont de véritables battoirs.

Thierry Rolland, qui ne professait pourtant pas le fétichisme lors de ses prestations télévisées, osait pourtant souvent cet aphorisme devant les exploits d’un gaucher : « Son pied gauche est un vrai régal pour les yeux ! »

 

On ne baise pas de la même manière les pieds de sa maitresse et la mule du Pape. Mais dans les deux cas, il s’agit d’un acte de soumission théâtralisé.

On peut hélas aussi être bête comme ses pieds, ce qui de prime abord est une insulte pour le pied. Mais il est vrai que certaines maladies génétiques ou héréditaires présentent à la fois une débilité profonde associée à des malformations du pied. Par contre, sous Louis XIV, se faire traiter de pied plat, n’avait aucun lien avec la voussure plantaire, mais du fait que l’on méprisait ceux qui ne portait point de talons, signe de roture et de vulgarité. Le pied-plat est un imbécile sans culture, bref, il est bête comme ses pieds.

 

Après ce bref tour d’horizon du pied, qui invite à l’approfondissement, à la recherche et aux commentaires, il est à espérer du lecteur un peu plus de considération pour cette partie du corps. Et de souhaiter que chacun pense enfin : « Loin des pieds, loin du cœur ! »


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13 réactions à cet article    


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 4 mars 2010 10:03

    Très bon article .

    Avant j’ étais bête comme mes pieds , j’ allais chez le piédiatre me faire soigner .
    Mais quand j’ ai vu ses honoraires j’ ai pris mes jambes à mon cou .
    J’ ai gardé un bon souvenir des oeufs mollets .
    Ma femme me dit que je suis fémur pour l’ internement ..... smiley

    Achille Talon .


    • Jojo 4 mars 2010 12:47

      Et sourd comme un pot en plus, je n’étais pas très loin et je suis formel Mme Haddock faisait allusion à certaines rumeurs voulant que son mari coureur à pied notoire de jupons fripons ait mis sur pied une combine avec la mythomane étudiante en médecine et qui sent des pieds… elle 

      Et qui de plus cette train.... e pieds, prétendrait comme ça vouloir prendre son pied avec son exclusivité à elle de mari (Dr aussi mais pas en médecine). 

      Même que les six pieds du mur c’est sous terre qu’elle les lui promet à c’te piédtasse

      D’où le je cite : « T’as fé le mur pour l’interne qui ment »



    • ninou ninou 4 mars 2010 18:00

      Dans un excellent roman de Nabe intitulé « le bonheur », un peintre est chargé de réaliser des pieds en lévitation pour une fresque du même nom.
      Un vrai régal à lire !


      • norbert gabriel norbert gabriel 4 mars 2010 19:07

        « Courre y vite, courre y vite, »"

        Cours-y vite, dit-on couramment...


        • norbert gabriel norbert gabriel 4 mars 2010 19:13

          aux nostalgiques du service militaire, une question essentielle pour accéder à l’état de soldat prêt à prendre son pied armé :

          à l’instruction, le sergent pose les questions de bases aux néo-fantassins

          - De quoi sont les pieds ??

          - ...................................................................... ...................................................... ?

          - les pieds sont l’objet de soins constants !


          • King Al Batar Albatar 4 mars 2010 21:46

            Salut Mr Yang, dommage que cet article n’a pas le succés des précedent.


            J’aime bien ce que vous ecrivez, j’y retrouve de nombeuses similitude avec certaines de mes pensées, et c’est appréciable.

            Vous avez juste oublié de parler de ma plus grande passion : le football, sinon tout y est.

            Bravo ! Au plaisir de vous relire !

             smiley

            • Georges Yang 5 mars 2010 06:49

              Le foot ball, n’est pas totalement oublie, relisez, mais il aurait pu avoir plus de place, je le concede


            • bluerider bluerider 4 mars 2010 23:07

              à lire : « érotisme du pied et de la chaussure » de William Rossi, réédité il y a quelques années en poche. cet américain a bien documenté son livre, même si certaines de ses observations font sourire, 40 ans plus tard.

              également : « la gradiva » de Jenssen, nouvelle analysée par Freud

              bon, il y a des millions de cas qui mériteraient une revue de pied en cape, mais au passage arrêtons nous sur ces quelques purs rêves éveillés :

              ne passons pas notre chemin sans citer au moins « Phryné délassant sa sandale », bas relief héllénique situé sur l’acropole qui permettrait sans doute au gouvernement grec de résorber sa dette si j’étais assez riche pour l’acquérir à tout prix..

              et l’extase de sainte thérèse, du Bernin, dont le pied dépassant des savantes draperies n’a de morphologiquement correct que l’impression aérienne qu’il donne, au mépris le plus total de l’anatomie... ahhh, baroque, quand tu nous tiens !

              l’entrée des bordels antiques marquée d’une trace de pied creusée dans la pierre (bel exemple à Ephèse)

              l’empreinte du pied du prophète Mahomet, jalousement gardée à Istanbul au Palais Topkapi. Il devait chausser du 46 au bas mot, ou alors les siècles ont déformé l’objet...

              et aussi bien sûr : les points d’acupuncture, les meridiens, les chakras, l’extrème richesse nerveuse et sensorielle des pieds, la medecine ayurvédique et j’en passe...
               
              tout cela est à explorer sur le net bien évidemment.

              associé au pied : le parfum, évidemment.

              et il ne reste plus qu’à ouvrir les portes...

              le fétichisme du pied n’est qu’une projection (oups) onaniste (re-oups) sur l’autre. Un refus de grandir (re-re-oups) trés paradoxal comme le sommeil du même nom. La trouvaille chez l’autre d’une justification à une limite intérieure vécue comme une perte. (le pied est une limite car c’est lui qui explore le premier notre avenir immédiat, devant nous). Sans doute celle de la matrice maternelle et du confort de l’assistanat intra-utérin... un truc de ce style.... une forme de peur d’avoir à assumer sa vie seul un jour, par exemple, et au delà il y a aussi une idée de pureté, de candeur, de respect des objets, de soumission à leur mystère plutôt que de domination par leur consommation destructice... d’ailleurs trés ritualisée par les adeptes fétichistes lorsqu’ils décident de passer du respect à la consommation dans une cérémonie et des contradictions qui rappellent celles des ordalies (si tu meurs cest que tu es coupable)... aller voir aussi du côté de Roland Barthes (on revient toujours à RB). Ou alors sombrez avec autant de délices que de honte dans l’enfer des bibliothèques les plus prudes, qui sont aussi les plus pourpres.

              et ma compagne chausse un délicieux 35/36. Je confirme !


              • Georges Yang 5 mars 2010 06:53

                merci pour ces renseignements complementaires
                Vous partez d’un bon pied


              • Humphrey Binsucet 5 mars 2010 01:41


                Nous sommes tous relies par les pieds a notre planete. 

                • rocla (haddock) rocla (haddock) 5 mars 2010 08:41

                  Humphrey euh...... non .


                  • kitamissa kitamissa 5 mars 2010 09:41

                    de quoi sont les pieds ? ....

                    ç’était une des questions posées durant l’instruction à l’armée ...

                    et le réponse devait être : ils sont l’objet de soins constants !

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