Le champagne... tout un art !
Il séduit, enchante, flatte le palais le plus délicat depuis la nuit des temps. Complice feutré d’événements festifs, ce majestueux compagnon effervescent, appelé aussi vin de Champagne, est devenu indissociable du champ artistique depuis plus de 150 ans. Les maisons de champagne ont toujours su, au-delà des modes et des courants de création, renouveler avec opportunité leur image. Ruinart, Bollinger, Vankren-Pommery, Veuve Cliquot, Moet & Chandon, Nicolas Feuillatte, Mumm, Louis Roederer, Tattinger...le divin nectar a su attirer la crème des artistes contemporains, en vogue sur le marché et la scène artistique internationale. Néanmoins, la fusion entre l'artiste et le champagne diffère selon les marques.
Art et champagne, un couple plutôt solide si l’on s’en tient à sa longévité. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, pour mieux assurer leur promotion, les grandes marques de champagne ont fait appel aux artistes-peintres, graveurs ou sculpteurs. Pour exemple, La toute première collaboration entre la maison de Champagne Ruinart et le monde de l’art eu lieu en 1896 avec Alphonse Mucha. Au-delà du savoir-faire, du style, et de cet art de vivre, c’est un marqueur social. Une image que celui-ci soigne tout autant que son chiffre d’affaires. Une question se pose : pourquoi le champagne s’inscrit-il autant dans la sphère artistique ? Pierre Emmanuel Taittinger, le président de la maison éponyme y voit « un moyen d’embellir ses cuvées. Le champagne est avant tout un art de l’assemblage. » Même son de cloche avec Bruno Paillard. « La réunification des mêmes cépages depuis des siècles, (chardonnay, pinot noir et pinot meunier), associée à cette technique unique qu'est la double fermentation est déjà en soi une démarche artistique. »
Habillage et mécénat. Designers à la rescousse
Pour ces propriétaires, la réflexion tombe sous le sens. Pourquoi ne pas missionner un artiste afin de réaliser une œuvre en adéquation avec le millésime choisi. Certains, comme Louis Roederer, préfèrent suivre une politique de mécénat. Par le biais de sa fondation créée en 2003, il contribue au rayonnement artistique contemporain autour de la photographie et de la littérature. Ses partenariats avec la Bibliothèque de France et le palais de Tokyo en ont fait un des mécènes les plus remarqués. La maison Bollinger, fournisseur de la couronne d’Angleterre dès 1884 et réputée pour sa « Spécial cuvée », est affiliée au septième art depuis 1973, puisque c’est l’unique champagne consommé par l’agent spécial 007, l’inoubliable James Bond, dans la majorité des films. Simple stratégie de marketing ou coup commercial, elle n’hésite pas, en 2015, à lancer l’édition limitée « Spectre » (quelques dizaines de milliers d’exemplaires) pour le vingt-quatrième opus de la série. Résultat : une foule de collectionneurs, fans de l’agent secret au service de Sa Majesté, fait honneur à la marque à hauteur parfois de 10 000 € la bouteille. Les designers sont des facteurs de ressources en matière d’embellissement d'une cuvée. Nicolas Feuillatte récompense chaque année, depuis 1999, l’artiste émergent qui met le mieux en valeur la marque par le biais d’une sérigraphie et d’un logo étiqueté sur ses bouteilles. Mumm, dont certaines bouteilles ont été dessinées par des designers de renom – Ross Lovegrove, Renato Montagner ou Octave de Gaulle, fondateur de l’agence Spade spécialisée dans la conception d’objets spatiaux –, se veut ambitieux et à la pointe de l’innovation pour l’embouteillage de son champagne. En pareil cas, on peut même se demander si un habillage exceptionnel, voire extravagant, de ses chères bouteilles ne prendrait pas l’ascendant sur la cuvée, qui n’aurait de spéciale que le nom…et le prix. Cette tendance à privilégier l’emballage est également présente chez Perrier-Jouët, maison née en 1811. Sa cuvée « Belle Époque » (lancée en 1969), reprenant le flacon imaginé par Émile Gallé en 1902, est toujours très appréciée des amateurs du divin nectar. Le chef de cave est le garant de la qualité. Il peut refuser la sortie d'un vin s'il considère qu'il n'est pas assez représentatif de la qualité attendue par sa maison, s'il estime qu'il peut remettre en question l'excellence recherchée, ce qui arrive rarement même s’il existe des cuvées de prestige.
Soutenir chaque année des artistes en exposant leurs œuvres
Marketing, packaging, brainstorming...autant d’outils de communication que chaque maison cuisine à son avantage sans pour autant négliger l’art, terrain fertile de réciprocité entre l’artiste et son commanditaire.
Ruinart, la doyenne des maisons de champagne fondée en 1729 déjà célèbre pour ses partenariats dans des vernissages de foires et salons d’art de renoms, fait appel, depuis 2008, à des artistes contemporains internationaux à travers sa carte blanche annuelle. Eva Jospin est la dernière en date. « L’histoire, la géographie, mais aussi la culture et les savoir-faire de ce territoire constituent un terroir, c’est cela qui m’a inspirée. », précise t-elle. Son installation immersive, intitulée Promenade(s), forêt de hauts-reliefs en carton prend, selon elle, « la forme d’un parcours dans un décor sculptural qui rend hommage à ce paysage ». Pour Frédéric Dufour, aux commandes de cette grande marque, « l’attache avec le monde de l’art contemporain est précieuse. Elle fait partie de l’ADN de la maison. Nous livrons à l’artiste les clés de notre identité, à charge pour lui ou elle de donner sa propre vision du label Ruinart ». Eva Jospin a également imaginé une édition limitée de 25 pièces signées et numérotées autour d’un Jéroboam de Blanc de blancs, cuvée emblématique de la Maison. Chez Vankren -Pommery, c’est un autre son de cloche. Pas question d’associer le nom d’un artiste à la confection des coffrets ou des étiquettes. Nathalie Vranken, administratrice déléguée au mécénat et marketing du domaine est formelle « l’univers des produits dérivés est un monde à part. Nous soutenons chaque année des artistes en exposant leurs œuvres. Elles sont créées in situ et sont imaginées par eux pour faire face aux conditions extrêmes d’humidité en cave ». Vingt ans déjà que les « Expériences » arpentent le dédale des caves de cette illustre maison de champagne. Sous la houlette de son commissaire Fabrice Bousteau, la cuvée 2023 Forever Brut calfeutrée à trente mètres sous terre au cœur des crayères où reposent plusieurs milliers de bouteilles, invite plusieurs installations spectaculaires défiant un taux d’humidité avoisinant 90 %. Certaines étaient déjà présentes lors de la précédente édition telles que Pop Blooms and Star series de Tsai & Yoshikawa et Direction & aplomb, s’orienter dans la rêverie...d’Anne-Flore Cabanis. L’expérience continue au Cellier Pompadour, un ancien site de stockage de fûts et tonneaux où a pris place une exposition dédiée à la création du premier champagne Brut par Mme Pommery en 1874. La célèbre couleur bleue Pommery est à l’honneur grâce à l’artiste français Julien Salaud la magnifiant sous un tsunami de « lumière noire » dans son œuvre baptisée Pommery étoiles. Le troisième et dernier volet de cette nouvelle « cuvée » 2023, se tient à la Villa Demoiselle accessible en traversant le grand axe routier qui jouxte la Maison Pommery. Ce bijou de l’Art Nouveau, ouvert au public depuis 15 ans, propose un face à face entre des œuvres contemporaines et des toiles ou sculptures prêtées par le musée des Beaux-Arts de Reims actuellement en travaux jusqu’en 2025. Catherine, Delot, commissaire d’exposition et directrice du musée rémois a opté pour un choix de seize œuvres issues des collections permanentes. Quelques exemples : une huile de Louise Abbéma et un tableau de Maufra dans les salons ou encore une sculpture de Saint-Marceaux dans le salon Baccarat.
Pour beaucoup, le champagne est plus qu’un vin. C’est une cohabitation avec l’excellence, avec une région dans sa globalité où chaque millésime doit créer la différence. C’est une invitation poétique à renouer avec la terre, à l’image de Vign’Art, festival d’art contemporain dans le vignoble champenois renouant pour sa quatrième édition avec 17 œuvres exposées sur les territoires de la Montagne de Reims, la Côte des Blancs et la Vallée de la Marne. Une belle promenade Land’art (et d'été) au rythme du crépitement de ses chères petites bulles.
Harry Kampianne
Expérience Pommery #17 Forever
Domaine Pommery
5 place du Général Gouraud, Reims (51)
Jusqu’au 28 novembre
Vign’Art
21, avenue de Champagne, Epernay (51)
Jusqu’au 17 septembre
- Villa Demoiselle. Chambre d’ami. En fond - La femme au chien - de Pierre Bonnard, 1906, ©Harry Kampianne
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