Le Châtelet présente une Belle aux abois
Contrairement aux afféteries des reprises habituelles du célèbre ballet de Marius Petipa, les ballets de Monte-Carlo nous présentent une « Belle » contemporaine d’une beauté à couper le souffle.
Jean-Christophe Maillot à été formé à l’école de Rosella Hightower, la célèbre prima ballerina du ballet du marquis de Cuevas. Il a ensuite travaillé avec John Neumeier, puis a créé plusieurs pièces pour les ballets de Monte-Carlo avant d’être nommé en 1993 directeur de la compagnie.
Depuis dix ans, il souhaitait monter la ’Belle au bois dormant’. Mais comment se détacher de la remarquable chorégraphie de Marius Petipa si étroitement liée à la musique de Tchaïkovsky, comment redonner à ce conte sa cruauté initiale si éloignée de l’esprit puritain de la très bourgeoise cour impériale de Saint-Pétersbourg ? C’est en survolant de très haut le conte de Perrault qu’il a pu retrouver tous les symboles qui l’habitent.
C’est l’éternelle dualité. L’affrontement entre la reine-ogresse, cruelle et castratrice mère du prince Désiré, et la reine protectrice-étouffante, mère de la princesse Aurore. Chacune est à la fois nécessaire et redoutable, la puissance de vie affronte le danger de mort. C’est l’essence même du conte de Perrault qui, rappelons-le, ne se termine par sur le triomphant mariage du prince et de la princesse mais sur le prince, devenu roi, tuant sa propre mère avant qu’elle ne dévore ses petits-enfants.
Jean-Pierre Maillot nous présente d’abord la redoutable mère du prince, qui après avoir annihilé le roi veut aussi dominer son fils, et enrage que celui-ci lui échappe dans le rêve. Oui, le prince rêve. Il rêve de la cour heureuse du domaine voisin où l’on va célébrer le baptême d’une princesse longuement désirée.
Ce baptême, qui constitue l’essentiel du premier acte du ballet, a été débarrassé du très artificiel défilé des fées ne gardant que l’entrée fracassante de la Carabosse - que l’on avait oublié d’inviter et qui se venge en condamnant Aurore à mourir le jour de ses 16 ans - et la fée Lilas, sa marraine, qui va adoucir la condamnation.
Le deuxième acte nous présente, conformément à la tradition, l’arrivée des sept princes invités au « bal de débutante » de la princesse. Celle-ci apparaît, descendant un pan incliné à l’intérieur d’une bulle, moulée dans un collant brodé rappelant le corps des chrysalides. Elle évolue avec une grâce infinie, entourée par les princes d’abord foudroyés par tant de beauté et d’innocence mais qui bientôt s’enhardissent, se rapprochent, fiers de leurs privilèges et, malgré la peur de la Belle, se collent à la bulle et la crève.
Soudain la voilà révélée au monde, livrée à la réalité qui, le premier émerveillement passé, devient menaçante. Les princes, dont les très phalliques fleurs de lys brodées sur leur pourpoint confirment la fonction, sont prêts à passer à des jeux plus dangereux.
Mais voici venue l’heure du sortilège. Sous un déguisement, la Carabosse elle-même vient s’en assurer et la prédiction s’accomplit. Aurore prend la quenouille, l’objet tentateur et fatal, se pique la main mais, grâce à l’intervention de sa marraine, la fée Lilas, elle ne meurt pas mais s’endort jusqu’à ce qu’un prince la retrouve et lui redonne vie. Ensuite tout est dit, la magie opère. Un siècle se passe, le prince attiré par cette princesse endormie atteint son château en ruine et leur destin s’accomplit.
Le long, très long baiser du prince nous offre un merveilleux pas de deux et ce n’est qu’après un autre baiser - baiser de mort cette fois - qu’il pourra détruire sa mère et trouver sa virilité.
La chorégraphie de la "Belle" est remarquable. D’une âpreté anguleuse impressionnante en ce qui concerne la reine-ogresse, elle est d’une complète fluidité pour Aurore. Bernice Coppieters est une princesse menue, fragile, exquise, qui se révèle bientôt une amante passionnée. Elle possède une remarquable technique et ses bras ont une grâce et une légèreté qu’il est rare de trouver chez une danseuse aussi jeune.
Chris Roelandt, le prince, se sort vaillamment de ce rôle complexe mais c’est surtout Jérôme Marchand, l’ogresse, que l’on garde en mémoire. Sa danse sur pointes et ses nombreux sauts donnent à son personnage une grande puissance.
Maillot termine le ballet sur le prince adolescent rêvant encore sur les illustrations de Gustave Doré du conte de Perrault. Il a ajouté l’ouverture de "Roméo et Juliette" de Tchaïkovsky dont la noblesse pleine de nostalgie accompagne superbement cette fin énigmatique.
Ce fut une soirée rare, unissant beauté, intelligence, perfection formelle. Nous espérons retrouver bientôt les ballets de Monte-Carlo.
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