Le Christ sous acide ?
Grünewald au musée de Colmar

Dans l’ancien couvent des Unterlinden, à Colmar, nous est donné la chance d’admirer une œuvre majeure de l’histoire de l’art, de l’histoire de la religion, et de celle de la pensée. Le retable d’Issenheim « surgit, dès qu’on entre, farouche, et il vous abasourdit aussitôt avec l’effroyable cauchemar d’un Calvaire », disait Huysmans.
Farouche, effroyable, cauchemardesque, le retable d’Issenheim l’est assurément. Son revers vous glace littéralement tous les sens : le Christ, entouré de ténèbres, y apparaît rigide et bouche tordue, « dans toutes les verdeurs de la décomposition ». Aucune concession à la divinité du personnage, aucune volonté de lui sauver au moins la face : figé sur la croix, le « fils de l’homme » est hideux à force de précision anatomique et de détails morbides. Comme s’il devait tendre un exact reflet aux malades atteints du « Feu de Saint-Antoine » (autre nom de l’ergotisme), cette fièvre hallucinatoire qu’on soignait justement au couvent d’Issenheim.
Or l’hallucination semble bien le fil qui lie les panneaux du retable. Hallucinatoire « l’effroyable cauchemar » du Calvaire, mais aussi les tentations boschiennes de Saint-Antoine. Hallucinatoire surtout, cette étonnante Résurrection, dont les irisations ont un éclat presque psychédélique. L’ergotisme, qui faisait des ravages à l’époque, est dû à l’ingestion de l’ergot de seigle, ce parasite de la plante qui contient l’acide lysergique, le LSD...
En somme, on jurerait que Grünewald a voulu sublimer la pénitence par le délire, et figurer les épisodes saints comme autant de visions nées du « feu sacré ».
A voir, d’autant plus que le musée d’Unterlinden consacre une exposition au peintre franconien et, sur ce point, Huysmans a plus que jamais raison : c’est à Colmar qu’il faut voir Grünewald.
Rétrospective ? Pas tout à fait : le retable en est, comme il se doit, la pièce maîtresse, et les œuvres qui l’entourent (dessins préparatoires, études, œuvres de Holbein, Dürer ou Cranach) semblent avoir pour vocation d’en éclairer la genèse et le contexte.
A cette époque de grande effervescence intellectuelle, la question de l’essence purement divine du Christ commence à être discutée, commentée.
On n’en mesure que mieux l’importance singulière du peintre dans la Renaissance du Nord. A sa façon maniériste et morbide, avec la maîtrise des nouvelles techniques qui fleurissent à l’époque, Grünewald rend possible, plus qu’aucun autre peut-être, ce basculement inouï : montrer dans toute sa crudité l’humanité du Christ.
Pour chanter, a contrario, la possibilité donnée à l’homme de s’unir au divin.
Wangpi
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON