Le Ciel aux pédés
Un mystère. C’est par ce mot que Julien Green
désignait l’amour entre garçons. Ce faisant, en fin connaisseur de l’un et
l’autre domaine, il rapprochait d’emblée le champ de la religion et celui de
l’homosexualité. Une disposition atypique que son contemporain François
Mauriac, très concerné par la question, semble avoir eu du mal à adopter, comme
le révèle Jean-Luc Barré dans Mauriac intime, 1885-1940 (Fayard, 28
euros). En même temps que cette magistrale biographie, dont le deuxième volume
est attendu cet automne, a paru un nouvel opuscule de Patrick Mauriès, grande
figure de la scène littéraire française, et mélancolique entomologiste des Soirs
de Paris (Gallimard, 10 euros) peuplés de beaux gosses. De quoi imaginer
une improbable rencontre entre ces deux esprits marginaux que séparent deux
lettres seulement…
FM [l’œil qui frise] – Eh bien, mon ami…Voilà, qui nous surplombe, un titre pour le moins explicite !
PM [ronchon] – Certes…Déjà que l’idée de ce dialogue ne m’enchantait guère…
FM – Ah bon ? Pourquoi cela ?
PM – En nous réunissant ainsi, ne cherche-t-on pas à accoupler artificiellement le Ciel, où vous êtes, et les pédés, où je suis ?
FM – Possible. Mais je suis aussi un peu du côté des pédés, depuis que Jean-Luc Barré a levé le voile – un voile usé à la corde, il est vrai, et donc presque transparent – sur mon homosexualité, laquelle donne une clé de compréhension essentielle de mon œuvre et de ma personne. Qui vous dit, à l’inverse, que vous n’êtes pas un peu du côté du Ciel ?
PM – Vous n’avez qu’à lire ce que j’écris pour vous en convaincre. Nous ne sommes pas de la même planète.
FM – Détrompez-vous, mon ami ! Je vous ai lu, figurez-vous. Donnez-moi dix secondes…Ah, voilà, j’y suis, pages 51 et 52 : « Il s’exaspérait singulièrement de ce rituel désormais obligé par lequel les garçons athlétiques (…) soulevaient leur tee-shirts pour exhiber ce bien précieux entre tous : une sangle abdominale sèche (…) Plus rien de l’insouciance, de la généreuse inconscience qui était à ses yeux la définition même de la beauté. » Je suis comme vous : la caricature, l’esprit grégaire, le calcul, les cases où l’on enferme les gens, les clivages stricts, je les ai en horreur.
PM – D’accord, nous avons peut-être en commun un vif attachement à la liberté…Mais ça ne fait pas de moi un familier du Ciel.
FM – Certes, mais cela vous dispose à le devenir. Saint Augustin ne disait-il pas : « Aime et fais ce que tu veux » ?
PM [songeur] – Les mots ne nous aident pas, en réalité.
FM – Que voulez-vous dire par là ?
PM – Je repense à ce titre : sous l’intention louable de nous mettre en dialogue, et de révéler la possibilité, entre nous, d’identités croisées, subsistent la distance, la différence, l’étrangeté. En affirmant de manière provocante que le Ciel est ouvert, ou offert, aux pédés, on suppose qu’il s’agit là d’une nouveauté ou d’un exploit. On est dans le registre de l’exception. Et, d’ailleurs, pour la plupart des esprits religieux, la règle demeure inchangée : l’homosexualité est un péché.
FM – Certes. Il ne faut pas être naïf. Et je suis mal placé pour jouer les fanfarons, moi qui n’ai jamais été convaincu du contraire…
PM – Le contraire ? Quel contraire ?
FM – Eh bien…que l’homosexualité N’est PAS un péché. Comprenez-moi : je milite, certes maladroitement, pour que l’on retrouve – que les "esprits religieux", pour reprendre vos termes, retrouvent le sens de la complexité. L’être humain est suffisamment complexe pour que puissent coexister des personnes dont l’homosexualité les rapproche de Dieu, et des personnes dont l’homosexualité les éloigne de Dieu.
PM [dubitatif] – Je crois comprendre mais…cela me déplaît. Votre point de vue est très relativiste, et je ne suis pas sûr de l’être autant que vous, finalement. Que faites-vous de la nature humaine ? Y croyez-vous, oui ou non ? Il me semble que cette notion est au cœur du catholicisme dont vous faites profession…
FM [s’exaltant] – Ah ! mon ami ! vous pointez au cœur ! Le catholicisme est la religion de la complexité assumée, du paradoxe jubilatoire, du tiraillement jouissif. La nature, la nature ! Nous ne sommes pas des clébards ! Jamais je ne m’enrôlerai dans une milice de la morale naturelle. Peut-être l’homosexualité est-elle contre-nature…Mais, si c’est le cas, c’est parce que l’humanité elle-même est contre-nature !
Documents joints à cet article
4 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON