Le cinéma actuel d’Antonin Peretjatko
(Rêvé du haut d’un arbre sur une machine à écrire.)
À ce jour, selon Wikipédia, Antonin Peretjatko a réalisé 3 longs-métrages, 1 moyen et 10 courts. En route vers la cinquantaine, le bonhomme a déjà 25 ans de travaux derrière lui même si son premier long, « La Fille du 14 juillet », n’est sorti en salles qu’en 2013. C’est à peu près le même délai qu’entre le moment où Jacques Tati a tourné dans son premier court et celui où il a bouclé « Jour de fête ». Le temps de se forger un point de vue, un caractère, une opinion. Le temps de mûrir pour célébrer la jeunesse, la vie, et pour décrire la situation qui l’anime et la contraint. Les comédies intelligentes, ça ne court pas les rues.
Il est difficile de ne pas voir le torrent d’influences qui alimente les œuvres de Peretjatko (pêle-mêle, les spécialistes citent feu Godard, feu Max Pécas, les Charlots de feu...). Il est difficile aussi de ne pas constater qu’il est singulier aujourd’hui dans le cinéma français, et qu’il parle du passé, du présent, du présent du passé, et parfois même du futur.
Avec le recul, ses deux premiers longs, « La Fille du 14 juillet » et « La Loi de la jungle », annoncent le tournant de 2017 bien avant qu’il n’ait lieu. Dans le premier film, c’est flagrant. La crise économique doit être réglée ? On prend tout le monde de court et on raccourcit les vacances estivales d’un mois pour remettre tout le pays au boulot. C’est Sarkozy, qui a repris la présidence à Hollande sans que personne ne s’en aperçoive, qui annonce la mesure à la télévision. Cette brutalité disruptive que le film présente comme une parodie, tout le monde l’a connue en mars 2020 quand du jour au lendemain nous tous avons été assignés à résidence au nom d’une guerre contre un ennemi aussi invisible que la crise économique (vous vous rappelez quand gamin vous n’aviez qu’une seule télé à la maison ?). Dans le second film, c’est plus diffus et en même temps plus présent. La jungle dans laquelle se débattent Marc Châtaigne et Tarzan est évidemment un reflet de ce qu’est en train de devenir la France, « un pays qui pourrit ». Livrés à eux-mêmes, forcés de mettre en œuvre des projets de la gérontocratie nationale qui va chercher ses financements au Qatar, en Chine ou dans les fonds de pension américains, les protagonistes se révéleront français dans toute leur splendeur, indolents, débrouillards et passionnés en amour. J’ai l’impression ferme que le film figure métaphoriquement une France telle qu’elle sera en 2026, voire en 2030, et des jeunes gens qui devront s’y créer une place, quitte à refonder entièrement la société, entre défense exagérée du patrimoine et technocratie absurdement oppressive, pour mieux lui opposer, afin de la mettre en garde, la continuité fantasmée d’une identité qui a disparu il y a fort longtemps (« la Guyane, c’est la France ! »).
L’anticipation s’est transformée en contestation avec le moyen-métrage « Les Rendez-vous du samedi » et le dernier long « La Pièce rapportée », où les Gilets Jaunes figurent en victimes expiatoires du nouveau régime présidentiel. Le moyen-métrage sourd de l’énergie des deux premiers longs et libère toute l’ironie et la colère contenue de leur auteur, sans perdre l’accroche sentimentale de fond, en s’accrochant aux silhouettes de jeunes femmes légèrement vêtues. Chez Peretjatko, les femmes sont belles. Vimala Pons, Marie-Lorna Vaconsin, Anaïs Demoustier, Josiane Balasko, dont le personnage dans l’aigreur dissimule un puits de poésie réprimée… Réprimée en effet son adaptation de « La Pièce rapportée », l’histoire s’y déploie souvent en intérieur. Comme si la folie en plein air d’auparavant devait se trouver un corset pour pouvoir être jouée, et la critique des exactions contre le corps social un vêtement de laine plutôt qu’un bikini.
Chez Peretjatko, les vacances sont comme chez Tati le moment de vérité, celui qui sépare le travailleur qui ne peut s’empêcher d’avoir un agenda et le glandeur qui travaille à son bonheur sans se forcer la main ni l’esprit. Et le parti est pris bien entendu pour les seconds, car les premiers sont affreusement rasoirs dans « La Fille du 14 juillet », tellement qu’on ne les voit pas à l’écran. Dans « La Loi de la jungle », ils sont plus drôles, sans que leur férocité et leur corruption ne soient occultées, bien au contraire. Nul manichéisme pour autant : le Docteur Placenta, charlatan notoire, est également un des personnages les plus généreux de « La Fille du 14 juillet ». Généreux, c’est le qualificatif qui s’applique le mieux à l’univers de Peretjatko. Et ses acteurs le lui rendent bien. Les performances de Vimala Pons et de Vincent Macaigne dans « La Loi de la jungle » doivent être vues pour être crues. À ce niveau d’investissement, on est au-delà du jeu d’acteur, on est dans la grande aventure.
Le cinéma de Peretjatko est tellement futuriste que ses personnages n’utilisent presque jamais de téléphones portables et quand bien même ils voudraient sont rapidement obligés de se débrouiller avec les moyens du bord. Le téléphone portable est une solution de repli scénaristique tellement simple que les meilleurs narrateurs autant que les moins bons cherchent absolument à s’en passer, et en s’en passant, ils oublient de décrire le réel post-2007, où un simple appel ou un recours à la cartographie réseau permettent de résoudre des situations autrefois inextricables. Au moins Peretjatko a le mérite de les montrer dans ses films, pour mieux s’en débarrasser ensuite. Et par là, il prouve que nous n’en avons pas vraiment besoin, qu’on ne risque rien de sérieux et tout de rigolo en s’en passant. En cette heure où on promeut l’importance des économies d’électricité sur des abribus éclairés toute la nuit, c’est une leçon nécessaire.
Une autre obsession qui revient dans les deux premiers longs est la dichotomie entre le brouillon et le propre, appliquée aux œuvres, aux relations, aux gens. Nous ne sommes jamais terminés, nous ébauchons, nous essayons de faire assez net, et puis un beau jour, nous livrons une œuvre qui nous ressemble dans son désordre en se battant pour qu’elle se tienne – ce que je ne cherche pas à faire ici, trop occupé à empiler les idées et les éloges, à parler de ce que j’aime.
Consacrer un article à un réalisateur qui a encore une longue carrière devant lui est le meilleur hommage que je pouvais lui rendre dans le cas où les financiers rechigneraient à lui filer des thunes pour qu’il puisse poursuivre son œuvre. J’espère que ce foutoir vous aura plu et encouragé à découvrir ou à revoir ses films.
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