Le Dernier Roi d’Ecosse : magistral !
Les années noires de l’Ouganda, sous la main de fer d’Idi Amin Dada, vue par un témoin fictif, avec un héros pas du tout positif. Une subtile analyse du rapport au pouvoir.
Alors là, chef d’oeuvre ! Des films comme ça, il y en a un tous les trois ou quatre ans, pas question de le laisser passer sans réagir.
Un jeune médecin écossais, Nicholas Garrigan, joué par James Mc Avoy, décide de partir en Afrique pour échapper à un avenir qu’il juge trop terne (s’associer avec son père dans son trou perdu au fond de l’Ecosse). Arrivé dans un dispensaire en Ouganda, par un concours de circonstances, il devient le médecin personnel et le confident d’Idi Amin Dada, le nouveau chef de l’Etat ougandais, incarné par un Forest Whitaker en état de possession.
Et là, surprise : le jeune héros s’avère être fasciné par le dictateur, il s’insère dans sa vie, tout heureux d’être si proche d’un homme de pouvoir. Le malaise provoqué par le film est dans cette distance qui s’installe entre ce que nous, spectateurs, voyons sur l"écran (Amin est fou et dangereux), et la complaisance de Nicholas devant son maître. On a envie de l’alerter, de le mettre en garde, mais rien n’y fait : détendu, suffisant, il se laisse griser par la proximité du pouvoir, fort de son impunité, jusqu’à ce qu’il réalise dans la douleur son insiginifiance.
Sans cesse, Amin domine Nicholas, il l’écrase à proprement parler : il le serre dans ses bras, entre chez lui, fouille ses affaires, le fait convoquer, l’étouffe sous les cadeaux, puis le menace, sans transition. Passant de la colère à la peur de mourir, puis aux rires enfantins, Forest Whitaker nous offre une composition hallucinée d’un fou meurtrier et paranoïaque. En face de lui, James McEvoy incarne un Nicholas faible et fasciné, suivant Amin comme un petit chien, puis se persuadant peu à peu de son importance. Ce personnage est loin d’être positif : satisfait de lui-même, inconscient du danger, parfois traitre et méprisant, profiteur, cachant sa lâcheté sous une fermeté de façade, il est tout à sa proximité du pouvoir, et lui sacrifie tout. Et pourtant, à cause de sa jeunesse, et par contraste avec le sanguinaire Amin, on est tenté de lui pardonner.
Le fim s’achève pendant l’affaire du
détournement de l’avion Air France sur Entebbé, où Amin Dada s’était
offert comme médiateur, qui s’acheva par un raid éclair des Israéliens
pour récupérer leurs ressortissants tenus en otage. Un film oubliable a
d’ailleurs été tiré à l’époque de cette action militaire spectaculaire
: Raid sur Entebbé (1979), avec Charles Bronson dans sa période "casseur de méchants bronzés", et où Yaphet Kotto tenait le rôle d’Amin.
Pour les spectateurs à mémoire longue, Le Dernier Roi d ’Ecosse fait évidemment écho au documentaire de 1974, Général Idi Amin Dada,
de Barbet Schroeder. La réalisation nerveuse est très proche de celle
d’un documentaire, les gros plans de Forest Whitaker en sueur sont
criants de vérité, et certains scènes sont directement reprises du film
de Schroeder. En particulier, celle de la piscine, où Amin défie ses
ministres à la natation, et plonge avant le coup de feu censé donner le
départ ! Ce film a une histoire intéressante : à l’origine commandé par
Amin Dada lui-même, ce devait être un panégyrique, mais les producteurs
et le réalisateurs, une fois rentrés en Europe, proposèrent un montage
mettant en valeur au contraire son côté mégalomaniaque et dangereux, et
pour tout dire, complètement ridicule. Et ce fut cette version qui fut
diffusée en salles. On se retrouva en plein incident diplomatique,
d’autant que les producteurs auraient projeté, dit-on, de rééditer le
coup quelques années plus tard avec Khadafi.
Pour l’histoire post-coloniale du Royaume-Uni, Amin Dada tient à peu près la place qu’a tenu pour nous autres Français le simultané et folklorique Empereur de Centrafrique Jean-Bedel Bokassa. Un sous-officier (Amin était en fait cuisinier), placé au pouvoir puis destitué après une période de folie meurtrière. Il est frappant de constater les parallèles entre les deux tyrans : fastes et extravagances, brutales répressions et mégalomanie, bruyantes amitiés avec le lybien Khadafi, accusations de cannibalisme (vraisemblablement montées par les révolutionnaires et ceux qui les inspiraient), et fuite éperdue de par le monde après leur chute.
Y a-t-il une morale au Dernier Roi d’Ecosse ? Le film n’en propose aucune, on assiste juste à la chute de Nicholas, perdu par son inconscience et sa fatuité, sans parti pris ni indication du réalisateur (cette fin est extrêmement violente, c’est à faire savoir). On aurait pu intituler ce film Grandeur et décadence d’un courtisan, si ce terme de courtisan n’était pas si anodin, face à la brutalité sanguinaire de la situation.
A remarquer : un très jolie prestation de Gillian Anderson, discrète et cependant très présente.
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