Le Dr Clint et l’inspecteur Eastwood
Un monstre du 7e art qui n’a pas toujours été sacré.

A l’époque de Dirty Harry, dans les mid-seventies, Clint Eastwood incarnait tout ce que la gauche bien-pensante, culturelle comme il se doit, détestait : le flic fasciste qui préfère dégommer lui-même les criminels asociaux plutôt que de les envoyer en taule aux frais du contribuable, la droite aussi brutale qu’inculte, le cinéma commercial roublard et ramasse-dollars subventionné par la NRA*.
Trente-cinq ans plus tard, comme quoi la rédemption cinéphilique est possible à condition qu’on soit plus doué que Ronald Reagan ou Charles Bronson, Clint
apparaît au soir de son existence tel un demi-dieu du 7e art, une sorte de Midas moderne qui transforme en nobles tragédies à l’antique tous les scripts a priori atrocement mélodramatiques qu’il lui prend de tourner.
Ce qui interpelle dans cette évolution critique, c’est que ce n’est pas lui qui a changé – il est taillé dans le même marbre que le piédestal érigé à sa gloire par les professionnels et le public –, toujours aussi farouchement libéral que républicain, mais la société qui juge de ses œuvres.
Pour regarder ce que réalise le Clint sensible et bienveillant, nous n’avons plus qu’un œil ouvert, le bon, celui qui observe la profonde humanité des personnages du meilleur de sa production (Bird, Un monde parfait, Sur la route de Madison, Minuit dans le jardin du Bien et du Mal, Mystic River, Million Dollar Baby) en évacuant aussitôt de son champ de vision les petites touches réactionnaires, tandis que sur l’autre œil, le mauvais, nous gardons prudemment collée la paume d’une main afin d’ignorer la permanence du Eastwood macho, cocardier et doloriste qui exalte la virilité, le sacrifice et les vertus militaires (Le Maître de guerre, Space Cowboys, Mémoires de nos pères, Lettres d’Iwo Jima, pour ne citer que ses propres œuvres).
Plus étonnant, la cote critique et publique de Clint – indépendamment des indéniables qualités artistiques de celui-ci- après qu’elle a croisé celle de Woody Allen vers le milieu des années 90 sur les ponts du comté de Madison – a connu une trajectoire ascendante tandis que celle de l’hypocondriaque de Manhattan, naguère coqueluche de l’intelligentsia, déclinait lentement, mais assez sûrement pour que sa production ne suscitât plus vraiment l’enthousiasme du spectateur.
Woody sort son film annuel ? Encore ? Bof !
C’est qu’en nos temps postmodernes attachés à relativiser toutes les valeurs, l’ambiguïté politique du Dr Clint, l’ambivalence éthique de l’inspecteur Eastwood, contre la peine de mort, mais tout contre, séduisent davantage que l’humanisme intello de gauche à bout de souffle du psy Allen, qu’on a pourtant la faiblesse de continuer à considérer comme politiquement moins correct et cinématographiquement plus inventif que le géant de Carmel, California.
*National Rifle Association, très puissant lobby militant en faveur de la liberté de commercialisation et de détention des armes individuelles.
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