Le droit d’un homme à sa propre vie (Ayn Rand)
Ayn Rand prétend avancer une philosophie objectiviste, c'est-à-dire une philosophie qui pose l'objectivité du réel au principe de l'ensemble de ses raisonnements et s'y soumet ou croit s'y soumettre à raison. Naturellement, c'est un postulat, et lire Ayn Rand en témoigne assez bien, qui procède par assertions précipitées et sempiternelles [...] Tout ceci aurait dû rester sans importance. Hélas, Ayn Rand est la deuxième lecture des Étasuniens après la Bible.

Dans la Vertu d'égoïsme, 1961, la penseure Ayn Rand énonce ce qui suit :
Ayn Rand, ''la Vertu d'égoïsme'', p.108-109, les Belles Lettres, 2011, trad. Alain Laurent, a écrit : Un "droit" est un principe moral définissant et sanctionnant une liberté d'action, pour un homme, dans un contexte social. Il n'y a quun seul droit fondamental (tous les autres sont ses conséquences ou ses corollaires) : le droit d'un homme à sa propre vie. La vie est un processus d'action qui s'auto-génère et s'auto-entretient ; le droit à la vie signifie le droit de s'engager dans un tel processus, c'est-à-dire la liberté de prendre toutes les actions requises par la nature d'un être rationnel, pour la conservation, le développement, l'accomplissement et la jouissance de sa propre vie. Telle est la signification du droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.
Ayn Rand prétend avancer une philosophie objectiviste, c'est-à-dire une philosophie qui pose l'objectivité du réel au principe de l'ensemble de ses raisonnements et s'y soumet ou croit s'y soumettre à raison. Naturellement, c'est un postulat, et lire Ayn Rand en témoigne assez bien, qui procède par assertions précipitées et sempiternelles tout au long des courts essais de son ouvrage la Vertu d'égoïsme (à commencer par cela que l'égoïsme serait une valeur morale, une vertu). Or, c'est ainsi, à coups de paradoxes apparents, qu'avance Ayn Rand, à nous démanteler l'altruisme et tout esprit de sacrifice : elle procède par assertions apparemment paradoxales mal explicitées, mais toujours assénées, comme en méthode Coué auto-persuasive. A commencer par cela, que c'est pourtant un geste relativement altruiste, qui la pousse à décréter la Vertu d'égoïsme, au fond.
Tout ceci aurait dû rester sans importance. Hélas, Ayn Rand est la deuxième lecture des Étasuniens après la Bible. Ne soyons pas ignorants, car ainsi - au fond - Ayn Rand procède à travers non pas des paradoxes philosophiques, mais des "dysdoxes" : des opinions torses.
Ayn Rand, ''la Vertu d'égoïsme'', p.108-109, les Belles Lettres, 2011, trad. Alain Laurent, a écrit :Un "droit" est un principe moral définissant et sanctionnant une liberté d'action, pour un homme, dans un contexte social.
Premier dysdoxe : le droit comme principe moral. Au contraire, jusque là, il nous avait semblé à tous qu'un droit, par définition, correspondait à une autorisation-permission sociopolitique, légalement et juridiquement établie. Qu'il puisse découler d'un principe moral, c'est tout à fait possible voire souhaitable, mais ça n'en fait pas en soi un principe moral.
C'est-à-dire que d'emblée, Ayn Rand fait d'une métonymie une vérité générale, voire métaphysique (elle prend la partie - droit - pour le tout - principe moral). Ce déplacement n'est pas indifférent, puisqu'intimement il inocule la pénalité dans les socialités naturelles, abstraction faite de la juridiction nécessaire à son instauration.
C'est-à-dire que l'institution juridictionnelle est refoulée, puis retrouvée sous la forme d'une sublimation en jusnaturalisme (droit naturel). Un tel judiciarisme natural, une telle judiciarisation du réel, laisse songeur quant à l'objectivisme. La nature n'est-elle pas, sommes toutes, profondément indifférente ?
Il n'y a quun seul droit fondamental (tous les autres sont ses conséquences ou ses corollaires) : le droit d'un homme à sa propre vie.
Toujours des assertions, pour le deuxième dysdoxe faisant le titre de ce propos : le droit d'un homme à sa propre vie. Autrement dit : sous la juridiction de Dame Nature, il y a ce décret nous disant va, tu as le droit de vivre, tu es libre de vivre. Or, tout cela sonne fallacieusement : on peut à peine dire que notre mère - et Mère Nature ! - nous donne la vie. En effet, cette donation est déjà une métaphore, puisqu'au fond c'est la vie elle-même de nos mères, qui "vit de faire vivre" si l'on peut dire.
C'est-à-dire qu'il n'y a même pas de donation : comment y aurait-il droit ? ... La vie n'est même pas un mérite, même s'il a fallu présenter une constitution a priori apte, pour advenir vivant à la vie de la vie par la vie.
A partir de quoi, donc, on ne saurait dire qu'une chose : il n'y a pas de droit d'un homme à sa propre vie, mais l'affirmation d'un tel droit, toutefois, survient probablement dans les conditions où l'on - où Ayn Rand - craint d'en être privé, et que l'on tient par-dessus tout - c'est de bonne guerre - à n'en pas être privé.
C'est ainsi qu'il y a dysdoxe, (ré)torsion, à inoculer quelque juridiction dans le vivre-même, à travers cette métaphysique d'un droit à sa propre vie, quand bien même si ça rassurerait le chaland. Le principe d'une telle assertion est déjà post-posé, sous des airs antéposés.
La vie est un processus d'action qui s'auto-génère et s'auto-entretient ; le droit à la vie signifie le droit de s'engager dans un tel processus, c'est-à-dire la liberté de prendre toutes les actions requises par la nature d'un être rationnel, pour la conservation, le développement, l'accomplissement et la jouissance de sa propre vie.
Le nourrisson qui inspire à hurler, pour la première fois, puis cherche spontanément la tété ... ce nourrisson n'a attendu aucun droit. En fait, ce nourrisson démontre quelque chose comme tel axiome : la vie se prend, la vie se maintient, la vie se défend. Mais si tel axiome semble recouper le propos randien ("la vie comme liberté de prendre toutes les actions requises par la nature d'un être rationnel, pour la conservation, le développement, l'accomplissement et la jouissance de sa propre vie") en fait, on comprend bien toute la nuance : il n'y a pas de liberté dans cette prise-maintien-défense de la vie, mais uniquement la nécessité.
Encore une fois, Ayn Rand inocule dans la Nature quelque chose qui n'y était pas, en plus de la juridiction : elle y inocule la libre décision. Tout cela sonne faux, il suffit de constater les inhibitions à se suicider pour s'en convaincre. Ne se suicide pas qui veut ; si tel était le cas, la choix de vivre ou de ne plus vivre nous indifférerait, mais la question du suicide est telle qu'Albert Camus estimait que c'était le seul problème philosophique sérieux (le Mythe de Sisyphe, première ligne) et n'est pas Sénèque qui veut, prêt à se suicider stoïquement sur commande (et encore, Sénèque était âgé, tout en ayant quelque chose à prouver en répondant à la commande impériale).
Bref, le randisme est fallacieux, dysdoxal.
Telle est la signification du droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.
Alors, dernier dysdoxe de notre propos, l'apparition d'une telle signification intrinsèque à la libre décision d'une telle juridiction naturelle. C'est-à-dire que ce droit, pour Ayn Rand et tous les libéraux derrière elle, appartient au "code génétique" de l'objectivité du réel, que sa signification et sa portée son comme engrammatiques, encodées dans les choses (vérité métaphysique, deuxième acte venant scellé le premier).
Comment ne pas voir à quel point tout cela est présomptueux, surfait, et uniquement là pour se rassurer ? ...
Hélas, que la vie n'est ni un droit, ni une donation, ni un devoir d'ailleurs, ni un mérité, etc. est une pensée inquiétante : à quelles conséquences cela nous entraîne-t-il ? ... C'était justement pour en détourner, qu'Ayn Rand prétendait à l'objectivisme. Reste qu'un véritable esprit objectif comprend très bien qu'une telle inquiétude n'entraîne rien du tout, et qu'il faut avoir l'esprit aussi pervers qu'est tors celui d'Ayn Rand en faveur du libéralisme, pour encenser l'absolutisme.
La vie certes, n'est probablement pas manichéenne.
Mal' - LibertéPhilo
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