Le fil rouge d’un roman
Non ! Point de « Place Brasillach » où les amoureux de Paris pourraient se donner rendez-vous ! Frileuse, notre époque préfère les sites de rencontre sur internet et les sms aux bouquets de roses. Cette rencontre romantique a pourtant bien lieu quelque part. Entre les pages d'un roman. Un chef d’œuvre qui frôla le prix Goncourt en 1939.
Si l'on veut bien revenir au sens originel du terme "texte". Textus : "Ce qui est tissé", alors un fil inédit participe à la trame de ce roman amoureux. Le fil qui fait passer du réalisme au merveilleux. Rouge comme le Petit Chaperon de la légende.
En lisant une page de Brasillach, on se rend compte combien son style touche comme la ligne de l'horizon, à la fois la terre et le ciel. La prose dentelle de Brasillach ouvre le monde intérieur de notre âme comme le fait une aurore avec ses doigts de rose. D'où l'impression de lointain et pourtant de proche et de fraîcheur qui nous remplit à sa lecture.
Les exemples de ces petits miracles narratifs abondent, mais c'est dans un passage des Sept Couleurs que ces deux "octaves" - le proche et le lointain - apparaissent au plus claire de leur matin. Le premier : les personnages Catherine et Patrice, amoureux sans chercher à l'être, visitent le cimetière de Charonne (celui-là même où la dépouille de l'écrivain sera inhumée en 1945). A la faveur de cette hasardeuse promenade, le couple tombe (si j'ose dire) face à la sépulture d'un certain Bègue, dit Magloire, secrétaire de Robespierre. Ils lisent l'épitaphe gravée sur la tombe... C'est l'octave du "proche". Rugueusement historique. Celui qui tient du document, voire du cadastre. On est donc au maximum de réalisme de ce que l'on peut trouver dans un cimetière : un nom gravé sur une tombe.
C'est pourtant à cet instant de réalisme qu'intervient - selon moi à dessein - le petit garçon de la légende. Le garçonnet parle aux visiteurs avec un naturel déconcertant, celui des enfants qui racontent des histoires. Il remplit nos yeux de surprise et de merveille. Il court et ramène une petite fille aux tresses blondes et au tablier à carreaux bleus ; on croit voir Cendrillon ! C'est la double postulation du réalisme et du merveilleux, un des sceaux caractéristiques du style Brasillach.
Un atome de beauté apparaît entre le point final de cette phrase de description du cimetière et la majuscule de la suivante, quand apparaît le petit garçon. C'est ici où le fil blanc de l'histoire laisse place au fil rouge de la légende. Brasillach innove. Il invente ce que l'on pourrait appeler l' « École transfigurique ». Celle qui fait passer de « la banalité courante à un empyrée de mythologie » (heureuse expression que l'auteur emploie à l'endroit de la Tante Espérance).
Mais pourquoi transfigurique ? Parce qu'il choisit une scène dans un cimetière, lieu de mort, pour faire apparaître le merveilleux, le surnaturel. En outre, il ne choisit pas n'importe quel cimetière mais celui où il sera enterré. Ce courant « transfigurique », distinct à la fois du Fantastique et du Réalisme, aurait pu faire florès si l'Histoire tragique du XX e Siècle n'en avait pas décidé autrement. Sur quoi repose ce magistère ?
Sur la capacité de mettre en contact la trame de l'Histoire et celle de la Légende. Une histoire d'aiguille et de fil ? En quelque sorte, une histoire de haute couture. De « point de Croix » ou de « point Bruges » ? Je propose que l'on baptise ce point de couture : "Le point Brasillach". Celui qui, dixit Goethe, "travaille à la trame du temps et tisse la robe vivante des dieux"...
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