Le Hobbit : un voyage aussi inattendu que décevant !
Comment passer sous silence un morceau de bravoure à 500 millions de dollars ? Le premier volet d’un nouveau triptyque anglo-américano-néo-zélandais censé faire vibrer en nous les échos de nos anciens contes toujours ancrés dans les arcanes de notre infra conscience atavique. Un fonds légendaire condensé dans l’œuvre fantastique et épique de John Ronald Reuel Tolkien impérissable auteur du « Seigneur des Anneaux » qu’il publia entre 1954 et 1955 … celui-ci, tout comme d’autres, tel Macpherson par exemple avec Ossian, su réinventer un univers dont les racines puisent loin dans l’imaginaire de nos origines prémodernes.
L’indéniable succès commercial - justifié - de la première série due à l’immense talent du néo-zélandais Peter Jackson et de ses équipiers devait immanquablement les conduire à remettre le métier sur la table. Le “Voyage imprévu“ tiré du roman de 1937, Le Hobbit, sortant en France ce 12 décembre 2012, sera donc suivi de deux autres épisodes – « La désolation de Smaug » et « Histoire d’un aller et retour » - échelonnés sur les deux années à venir.
Brièvement, car il ne s’agit pas de déflorer le sujet, le récit se déroule avant la Guerre de l'Anneau et met en scène Bilbon Sacquet oncle de Frodon embarqué par onze vaillants nains en quête d’un joyau gardé par le dragon qui, des lustres auparavant, détruisit leur florissant royaume. Le mage Gandalf le Gris est le douzième membre de cette “compagnie“, le Hobbit aux pieds nus et velus en étant la pièce rapportée, soit le treizième guerrier ! Au cours d’un voyage - journey - plein d’embûches et de périls, l’Anneau maudit tombera dans l’escarcelle de sire Hobbit et avec icelui se manifestera le réveil de forces maléfiques dont l’ombre s’étendra progressivement sur la Terre du milieu. Un sujet d’actualité en quelque sorte.
Voilà pour le thème. Maintenant disons-le tout net le film en 3 D se révèle à l’usage décevant. Surtout pour ceux qui se sont délectés par le truchement une immersion répétée dans les trois opus précédents. Ici, sauf pour ceux qui découvriront pour la première fois l’univers de Tolkien porté à l’écran par des virtuoses du Septième art numérique, rien de nouveau, pour ne pas dire rien qui n’ait été mille fois rabâché depuis vingt ans… telle la figure de l’orque manchot mille fois vue sous toutes les couture et dans toutes ses variantes. Et en effet, le Hobbit est une “préquelle“ universelle – film d’avant le film – à savoir une resucée grandiose de tous les films de “fantastique héroïque“ produits ces dernières années, et pas seulement un retour au sources la trilogie de l’Anneau ! Préquelle – puisque c’est la mode d’exploiter les filons jusqu’à la trame – au demeurant infiniment moins sagouinée que le navrant et stupide « Prometheus » à 130 millions de $ censé nous faire découvrir les antécédents du réputé “classique“ « Alien, le huitième passager », du désormais tout aussi navrant Ridley Scott !
Il n’en reste pas moins que si dans ce “Hobbit“ les créatures virtuelles sont de plus en plus fignolées, de plus en plus réalistes, aussi peu ragoûtantes que possibles, curieusement, quelque chose ne passe pas. La technique a accompli des bonds de géant, mais le merveilleux n’est plus au rendez-vous. Serions-nous éteints ? Aurions-nous perdu notre regard d’enfant ? Peut-être pas tout à fait, car même les plus blasés des parisianistes se sont laissés emportés par la magie, le souffle océanique qui accompagne le voyage mystique de π - « L’odyssée de Pi » - du taïwanais Ang Lee, certainement l’une des dix œuvres les plus marquantes de ce début de Troisième millénaire.
Bien sûr, les décors naturels où évoluent la Compagnie des nains sont à couper le souffle et parlent violement à nos cœurs. Qu’il est en effet vivifiant de voir resurgir des paysages souterrainement présents dans les tréfonds de notre mémoire génétique, gravés et engrammés au fin fond de notre être, appelés à persister aussi longtemps que dureront nos muets souvenirs ataviques. Pourtant, hélas, le film n’est qu’une suite de séquences tumultueuses mettant en scène toutes les ressources de la diablerie virtuelle : gobelins des montagnes patauds, gloutons et loquaces, orques hideux chevauchant des loups infernaux, pullulant et déferlant comme la Marabunta - la ravageuse migration des fourmis légionnaires - au cœur de la selve amazonienne. Mis bout à bout, aussi intense soit chacune de ces séquences, cela ne tisse pas une histoire… d’abord parce que la débauche cataclysmique d’effets spéciaux tue a priori toute magie. Nos héros dégringolent au bas d’abysses vertigineux sans jamais récolter la moindre bosse ! À la longue cela devient lassant. Cela affaiblit et ruine une fiction qui n’est en fin de compte qu’une avalanche de chocs visuels ayant pour cadre des architectures dantesques nées de la cervelle enfiévrée d’un Piranèse atteint de démence précoce… Une histoire qui croule sous les amoncellements de cadavres… exclusivement ceux des monstres jaillis à flot continu des flancs du Tartare – l’Enfer des anciens – lesquels, pour leur mauvaise heur, se mettent en travers du chemin de nos héros. Enfin puisque tout est toujours joué d’avance, à quoi bon ? Ceux qui ont été durant leur adolescence adepte des jeux de rôle “Donjons et Dragons“, nous trouverons désespérément ringards. Peut-être, mais !
Au demeurant parmi les passages les plus notables, la rencontre avec l’Anneau que le Gollum laisse incidemment s’échapper. Nous disons “s’échapper“ parce nous savons que l’Anneau est doué de forme de “vie“ qui lui est propre ! Gollum quant à lui est une créature - humain à l’origine - solitaire, livide, exophtalmique, roulant d’immenses yeux azuréens de prédateur nocturne, normalement ichtyophage – mangeur de poisson - qui se mue ici en un redoutable Sphinx cannibal manieur de mortelles énigmes. Hormis cette séquence fondatrice de la Saga, celle du “Précieux “ - My precious, sera leitmotiv hypnotique que le Gollum agitera comme une crécelle jusqu’au retour final de l’Anneau dans le feu primordial – rien ne marque spécialement le spectateur qui, au bout du compte, va rester sur sa faim et sur une pénible et persistante impression de “déjà vu“ ! Pire, avec la certitude que rien ne se passera de plus au cours des deux prochains épisodes… la conclusion n’est-elle pas connue depuis la clôture de la première série ?
Puisqu’il est ici question des entrailles sanglantes de la Terre vomissant la lave purificatrice, disons que le merveilleux, tout comme le fantastique, ne sauraient se situer qu’à la charnière des mondes, un peu à la façon d’un film récent plutôt réussi « Blanche neige et le chasseur » de Rupert Sanders où la fiction ne s’éloigne pas démesurément hors d’un monde familier à notre imagination d’enfants devenus adultes. Notons malgré tout un vrai moment de grâce dans ce Voyage impromptu, moment terriblement fugace mais restera à demeure, celui du “chant des nains“… À la veille de partir dans leur Quête, les nains chantent au tomber du jour. Leur mélopée fait alors passer le souffle envoûtant du vent courant sur la lande. Dommage, que la magie que l’on pressent à cet instant, s’évanouisse aussitôt pour ne plus revenir…
Espérons donc que pour le prochain épisode Peter Jackson saura retrouver la poésie épique inhérente au “fantastique héroïque“, genre pour lequel il semblerait malgré tout être né. Une condition cependant : rompre avec la navrante tendance hollywoodienne de la démesure aussi frénétique qu’inutile, voire névrotique. Car ce n’est pas la surenchère visuelle, l’inflation exponentielles d’écroulements, dans le grouillement de monstres plus bêtes qu’effrayants, que les auteurs parviendront à créer le charme et le mystère sans lesquels ce type d’œuvres est condamné à rester inabouti. En un mot, moins de chocs de titans de carton pâte et plus de substance spirituelle à l’instar de ce petit bijou qu’est « Le Guerrier silencieux »… une film particulièrement original que nous a offert en 2010, avec infiniment moins de moyens, le danois Nicolas Winding Refn. Les deux œuvres ne sauraient évidemment être comparées. Un monde et un fleuve d’argent les séparent, reste que le prochain “Hobbit“ devrait s’en inspirer à la fois pour l’économie de moyens, la sobriété du propos, la densité des présences et la puissance d’évocation.
Le chant des nains 1’30 - En Anglais : http://www.youtube.com/watch?v=WHy5fXrTjKo
Traduit : http://www.youtube.com/watch?v=e7O1TJEJdDs
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