Le livre ne fait pas recette
Marchés de Noël : Que du futile !
Pas même un regard pour cette chose étrange.
Depuis que je tente l'aventure insensée de vendre un livre, je me rends compte à quel point cet objet paraît étrange à bon nombre de gens. Moi qui ne passe jamais devant une librairie ou bien un bouquiniste sans feuilleter un ouvrage, regarder quelques titres, admirer des illustrations, lire une quatrième de couverture, je constate, effaré, que je suis un anormal, un être d'exception dans une masse indifférente à la chose écrite.
Il y a d'abord des raisons objectives, liées à la conjoncture. Le livre est cher et pour bon nombre de gens, c'est devenu un luxe. Cette dimension apparaît très vite quand certaines personnes demandent le prix et renoncent bien vite à discuter plus avant. Je comprends aisément leur gène et aurais envie de m'excuser du prix si c'était moi qui avais le pouvoir de le fixer.
Il y a encore une évidence qui survient avec l'âge, malheureusement. J'ai entendu plusieurs fois des personnes âgées me dire, à regret, que c'était désormais un loisir qui leur était refusé. Les yeux ne peuvent plus suivre les lignes, d'autant plus quand elles sont écrites en petits caractères. Que leur répondre ? Certains passionnés cependant, je le sais, ne renoncent pas et utilisent, tant bien que mal , une loupe.
Mais ceux qui me désolent surtout ce sont ces gens qui détournent le regard quand ils voient un livre ou pire même, qui se permettent une remarque ironique sur l'inutilité de la lecture. Nous avons clairement basculé dans un autre paradigme : non seulement ce n'est plus une gêne que de se reconnaître non-lecteur, mais encore c'est devenu une fierté, un signe de modernité.
« Que voulez-vous que je fasse d'un livre ? » me demande, sincère, un passant portant tous les signes extérieurs de l'humain branché et résolument moderne. Je n'ai effectivement rien à répondre, même si je me lance parfois dans mon histoire du livre pour conjurer ce qui va immanquablement survenir tôt ou tard : la mort du livre papier.
Il y a encore ces gens que je connais, que je sais enseignants et qui détournent le regard. Eux non plus ne lisent pas. Oui, j'en connais véritablement et cette fois, j'enrage que cela puisse être. Comment peut-on pratiquer une telle activité et ne pas avoir cette curiosité pour la chose écrite ? Cela relève pour moi de l'incompatible, de la faute professionnelle presque. Mais là encore, je dois passer pour un archaïque indécrottable.
Il y a ces enfants dont le regard ne brillent plus devant un ouvrage. Quelle misère ! Que deviendront-ils ? Quels adultes seront-ils s'ils ne se sont pas construits entre rêve et imagination. La télévision pour unique perspective et une vie loin de ce bonheur incomparable ; j'en ai froid dans le dos . Les pauvres !
Il y a tous les autres, les pressés, les importants, les fagotés, les déguisés, les élégants en goguette, les sous-doués en sortie, les ventres qui ruminent ou qui dévorent, les badauds indifférents et tant d'autres qui passent et qui ne daignent pas accorder un regard, un sourire, une seconde de considération. Pourquoi sont-ils ainsi ? Je me sens si démuni et si touché au plus profond de mon être.
Ce livre, j'y ai mis beaucoup de ce que je suis. Qu'ils puissent ainsi le mépriser, refuser, ne serait-ce que de l'ouvrir ou simplement d'en lire le titre, je le vis comme une agression alors que, sans doute, ils ne l'ont même pas remarqué. La douleur est réelle, la plaie profonde à chaque fois que cela se reproduit.
C'est juré, la prochaine fois j'écris un livre de cuisine, je fais un recueil de photographies ou bien de dessins, j'y glisse des blagues stupides, je choisis une couverture affriolante, je couche avec la femme du président, je passe à la télévision pour y dire des niaiseries et m'extasier aux propos lénifiants de l'animateur.
Je ne ferai naturellement rien de tout ça et je vais devoir ravaler ma fierté, mon orgueil démesuré. Mon livre finira au pilon ou bien dans un placard, oublié des hommes , ignoré parmi tous ces livres qui peuplent mes lectures. Il sera effacé de la mémoire de l'humanité. Je n'avais donc aucun talent et j'ai eu cette folle prétention de le croire quelques instants ! L'illusion est retombée, tous ces gens qui passent et ne me regardent pas me renvoient cette absence en plein ego.
Désolément mien.
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