Le magnifique assassiné
1940. Au milieu de la lande baignée de nuit, un manoir se dresse tel un promontoire dominant l’océan. Un poète y vit, ainsi que sa fille Divine. Mais la barbarie nazie s’est répandue partout ! La bête imposera sa présence infâme jusqu’en ces lieux reculés, sauvages et purs. Elle ne reculera devant aucun sanctuaire. Cette nuit-là, elle a le visage d’un soldat allemand ivre qui frappe à la porte et qui réclame la "demoiselle". Suivit le drame...

Le poète que Stéphane Mallarmé avait sacré son "fils", et qu’André Breton voyait comme son "maître", celui que les Symbolistes surnommèrent "le Magnifique", mourut de chagrin après le viol de sa fille, le meurtre de sa servante et le saccage de son manoir et de ses oeuvres en cette nuit de juin 1940.
La barbarie nazie ne pardonna pas au poète d’avoir écrit "Supplique du Christ", une oeuvre de protestation contre le comportement des nazis envers les juifs allemands. L’oeuvre était dédiée à Albert Einstein, cet autre grand esprit. Mais en ces années sombres que pesaient les forces spirituelles face à la brutalité d’une idéologie aveugle qui voulait contre la pensée faire un immense autodafé et instaurer pour des siècles l’esclavage ? C’est un peu comme si, sous les traits du soldat ivre, le loup d’Outre-Rhin était venu frapper lui-même à la porte du poète retiré du monde au milieu des landes de Camaret.
C’est en 1898 que le poète se retira à Camaret, loin des agitations de la vie parisienne, avec le dessein d’écrire pour la postérité. L’homme était né près de Marseille et il était monté à Paris à vingt ans. Après un détour par les Ardennes où il devient l’ami de Verlaine - le frère de Paul- et où il achève son oeuvre théâtrale "La Dame à la faulx", le voilà qui quite la capitale - définitivement - fâché par les critiques. Une danseuse de foire lui prédit que son destin se jouera en terre de Celtie. "Allez à Camaret !", dit-elle au poète et à sa femme. C’est chose faite : dès le lendemain, le couple est en Bretagne ! Le poète y demeurera 42 ans.
A la naissance de sa fille, Divine, la chaumière de Roscanvel se révèle trop petite, et la famille aménage à Camaret dans une cabane de pêcheur qui sera transformée en manoir à huit tourelles baptisée "Manoir de Coecilian", en honneur au fils Coecilian mort au combat près de Verdun. Après le drame de la nuit de juin 1940, le manoir sera occupé par les Allemands et à la Libération, il sera rasé par les bombardements des Alliés. Seules demeurent les tourelles grâce au travail de restauration de la municipalité. Et c’est en ces lieux mythiques que le poète parisien Jean-Pierre Rosnay, très inspiré, se rendit chaque année comme en pélerinage pour donner des récitals en hommage à Saint-Pol-Roux le Magnifique, pour échapper, lui aussi, un moment, à la vie parisienne de la rue de Bourgogne où loge le Club des poètes. La Bretagne est terre de légende et terre de poésie, dit Jean-Pierre Rosnay. Il semble que la vie et l’oeuvre de Saint-Pol-Roux s’assemblent et prouvent de façon édifiante cette double affirmation. Saint-Pol-Roux adorait ce pays qui était pour lui comme un véritable "champ magnétique" et c’est en ces terres qu’il disait vouloir écrire "pour dans 50 ans". C’est en Bretagne qu’ils formait le projet quotidien de "magnifier la vie", lui déjà magnifié puisque baptisé "le magnifique" par les Symbolistes.
Mais en suivant ce chemin, c’est à l’oubli qu’il se voua... "Le fait est, hélas, significatif. Il faut bien en convenir, Saint-Pol-Roux, telle la langue grecque au Moyen-Age, existe mais on ne le lit pas", déclarait Michel Décaudin, sortant de l’oubli les oeuvres du poète qui n’étaient pas encore rassemblées aux éditions Rougerie.
Aujourd’hui, un hommage est rendu à Saint-Pol-Roux, jusqu’au 15 mars 2009 à la bibliothèque et au musée des Beaux-Arts de Brest.
L’exposition suit le parcours biographique du poète, rend compte de ses activités multiples, de son engagement poétique, de sa rencontre avec les avant-gardes et le surréalisme. Elle évoque aussi l’admiration du poète pour Paul Gauguin dont il sera le premier détenteur de son oeuvre en bois gravés et peints de "La maison du Jouir" (aujourd’hui au musée d’Orsay). C’est en effet le poète breton Victor Segalen, grand voyageur, qui la lui confia après la mort du peintre aux îles Marquises. Saint-Pol-Roux sera ainsi détenteur de nombreux souvenirs de Gauguin : peintures, dessins, objets, livres, manuscrits et photographies. L’exposition les met en valeur.
Cette exposition montre aussi les liens du poète avec des artistes rencontrés en Bretagne : Maurice Denis, Paul Sérusier, Charles Filiger et des artistes fréquentés à Camaret comme Charles Cottet, Henri Rivière, Jim Sévellec, Marcel Sauvaige, Mary Piriou, Pierre Péron, Louis-Marie Désiré- Lucas ou Rodolphe Strébelle.
Exposition "Bretagne est univers" consacrée à Saint-Pol-Roux du 16 décembre 2008 au 15 mars 2009 à Brest :
Liens :
Programme et illustrations.
dossier de presse.
Une bibliographie de Saint-Pol-Roux
N.B : Illustrations : portrait de Saint-Pol-Roux par Mary Piriou (Musée des Beaux-Arts de Brest), manoir de Coecilian.
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