Le mythe Galilée
Non, Galilée n'a pas eu raison seul contre tous. Il n'a pas été méprisé par les scientifiques de son temps. Il n'a pas eu à lutter contre la communauté scientifique. Au contraire. Il était adulé, ou du moins très écouté, par de très nombreux scientifiques de son époque. Précisions sur un mythe moderne.
L'exemple de Galilée est souvent utilisé par les défenseurs des phénomènes paranormaux, des théories parascientifiques ou paramédicales ainsi que par les négationnistes de la science moderne tel que les climato-sceptiques. "Voyez Galilée, disent-ils, ce génial découvreur, incompris et méprisé par les scientifiques de son époque pour avoir affirmé que la Terre était ronde, condamné à la prison pour avoir dit le contraire de ce que disait l'establishment, de ce que disait le consensus". L'avantage d'un tel discours est qu'il peut légitimer toute théorie fumeuse quelle qu'elle soit et permet de répondre d’avance à toute critique issue de la communauté scientifique.
En réalité, tout est faux ou presque dans ces affirmations. Elles tiennent avant tout du mythe. Galilée n’a jamais été incompris ou méprisé par la communauté scientifique. Commençons par évacuer la première erreur, grossière et pourtant très répandue non seulement auprès du grand public mais également auprès des esprits censés être éclairés. Galilée n'a jamais affirmé que la Terre était ronde, tout simplement parce qu'on le savait déjà depuis deux mille ans. Pythagore, en 500 av. JC, en faisait déjà la démonstration, repris par Aristote, repris par la science occidentale après Ptolémée, repris ensuite officiellement l'Église.
Mais surtout il n'était pas ignoré de ses contemporains. Bien au contraire, il était respecté et admiré, amis des puissants et des savants, suivis par ses élèves de l’université, et ses travaux étaient suivis avec passion par toute l'Europe savante. Ses thèses pouvaient faire l'objet de débats, mais c’est une réaction tout à fait normale et même indispensable. Certains scientifiques étaient d'accord, d'autres non, cela fait partie du débat scientifique. Heureusement que certains n'étaient pas d'accord d’ailleurs, car, comme beaucoup d'autres grands scientifiques, il lui arrivait de se tromper. Notamment sur l’orbite circulaire des planètes, dont pourtant Kepler avait déjà démontré la forme elliptique.
Il n'a pas non plus inventé seul une théorie tout droit sortie de son esprit. Son affirmation la plus connue consiste à établir la double rotation de la Terre autour d'elle-même et du soleil. Or cette théorie avait été défendue publiquement par Kepler peu avant que Galilée se décide à le faire, et avait été mise en lumière un siècle avant lui par Copernic, qui lui-même avait utilisé la théorie d'Aristarque de Samos, un scientifique du IIIe siècle av. JC. Galilée a développé l'idée d'inertie et de relativité du mouvement, idée peu répandue certes, et qui allait à l'encontre de la physique de son époque, mais Pierre Duhem a montré qu'il existait dès le XIVe siècle des remises en cause de la théorie du mouvement d'Aristote ainsi que des approches de l'idée d'inertie. Giordano Bruno a évoqué l’idée d’inertie quelques années avant lui à l’aide d’un exemple devenu fameux, repris par le savant, d’une pierre tombant du mat d’un bateau. Il a d'ailleurs fallu attendre Descartes et Newton pour qu’elle soit exprimée sous la forme d’un principe, et un siècle encore avec Euler pour que cette idée reçoive une formulation définitive. Mais son apport le plus fondamental est sans doute le développement de la méthode expérimentale propre à la science moderne. Par cette méthode il ne se contente pas d'observer la nature, il conçoit des expériences qui permettent d’établir et de vérifier des hypothèses, expériences conçues également pour faciliter les mesures. Était-il le premier à pratiquer ce type d'expérimentations ? Archimède, que Galilée admirait tant, aurait mené plusieurs siècles auparavant ce type d’expérimentations, quoique sans doute de manière moins méthodique. Il est sûr en tout cas que Galilée a été favorisé dans cette voie par les développements techniques de son époque et par l’atmosphère d’effervescence scientifique qui existait dans sa jeunesse. Bref, c’est un homme de son temps bien dans son temps, ami du pape et des souverains, professeur d’université, reconnu par ses pairs et immensément populaire dans toute l’Europe.
Certes, il a été condamné par l'inquisition, mais celle-ci ne doit pas être confondue avec le monde scientifique. Le monde savant de son époque était choqué et pétrifié par cette condamnation, comme Descartes par exemple, qui décida de s'installer aux Pays-Bas, loin de la Sorbonne, et de différer la publication du Traité du monde et de la lumière dans lequel le mouvement de la Terre tenait une place centrale. En fait tout le monde savait bien que les arguments de Galilée étaient scientifiquement solides, à commencer par le chef de l'Église lui-même, le pape Urbain VIII. Cette condamnation était due probablement à un mélange de motifs politiques et psychologiques. Il y avait certes également des motifs religieux plus profonds, qui ont conduit par la suite l'Église à lutter pendant plusieurs siècles contre la plupart des avancées scientifiques : âge de la Terre, évolution des espèces, atomisme. Mais L'Église n'est pas la science. Son combat était perdu d'avance dans une Europe déjà convertie à la raison. Elle n'a pas empêché le monde scientifique de discuter et d’adopter ce qui était juste dans les thèses de Galilée.
En somme Galilée n'a jamais été un savant incompris et méprisé, inventant en solitaire une idée neuve, bataillant contre le monde scientifique. Il n'a pas eu raison contre tous, il a eu raison avec le monde scientifique. Il a été pris au sérieux dès le départ. Le débat a eu lieu immédiatement sur un plan scientifique avec les scientifiques : discuté par les plus grands savants, les calculs et les raisonnements ont été repris, décortiqués, appuyés ou réfutés, mais toujours avec l’estime de ses pairs. Comme avec Darwin, Einstein et bien d’autres.
Galilée, enfin, n'a jamais critiqué la valeur de la science moderne. Bien au contraire, c'est lui qui a contribué à son développement. Si la science moderne consiste à essayer et à expérimenter, elle consiste aussi à vérifier ses hypothèses de la manière la plus rigoureuse possible et à les discuter avec les autres scientifiques. Ne rien affirmer qui ne puisse être appuyé par des mesures vérifiables par d’autres. Donc oui, soyons galiléens. Essayons et cherchons. Et acceptons le verdict de la mesure et de la rigueur scientifique.
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