Le nouveau Cyrano a atterri au café de la gare
Je suis allé voir Cyrano m’était conté, écrite et mise en scène par Sotha.
L’auteure m’ a accordé un entretien dont sont reproduites ici quelques réponses....
Cyrano m’était conté ?
Petit déjà, Savinien était fasciné par la lune. Sa vie durant il se fixera des buts inatteignables qu’il poursuivra, corps et âme, acharné, extrême, border-line.
La mise en scène de Sotha nous emmène dans une course onirique à travers le temps. D’Artagnan est un mentor superbe, Corneille un rival littéraire, Pinocchio l’œuvre d’un paternel absent... Mille références viennent enrichir le mythe de Cyrano.
Cette pièce contentera les spectateurs venus se divertir comme ceux qui veulent se cultiver.
Car pour la première fois, on nous montre un Cyrano intime, décalé et burlesque. Loin du romantisme éculé de Rostand.
18 personnages allant de Le Bret (fidèle parmi les fidèles) à sœur Catherine (interprété par l’hilarant Philippe Manesse), en passant par de Guiche et bien sûr Roxane (séduisante Christine Anglio), peuplent ce Paris du 17°siècle foisonnant de bons mots, de bons plats, de combats à l’épée. Les rimes fusent. Les hommes se battent pour rien. Parfois pour le plaisir. Les comédiens sont appliqués et la chorégraphie, bien exécutée. D’une manière générale, tous se montrent à la hauteur d’un spectacle ambitieux.
Les comédiens s’adonnent parfois à des improvisations qui réjouissent le public. Je me suis toujours imaginé ainsi les comédiens de la grande époque de la commedia Del’ Arte, qui improvisaient à partir de canevas imposés. Il peut se passer n’importe quoi, ceux-là continueront de jouer.
A la fin du spectacle, au moment des saluts, on est étonné de ne voir que 5 comédiens. A se demander s’ils possèdent aussi la faculté de se dédoubler. Sotha choisit de faire cohabiter Cyrano et d’autres figures littéraires de son temps. Si leurs rencontres sur scène sont inédites, un regard sur une chronologie montre qu’elles sont tout à fait vraisemblables. Cyrano m’était conté montre que les qualités humaines ont autant d’importance que le travail des mots, dans la construction d’une œuvre littéraire. Ainsi Corneille, que Sotha dépeint comme un être méprisant et imbu de lui même*, interprété avec justesse par Pierre-Jean Chérer, excelle dans la construction d’un vers, mais semble perdu devant la vivacité d’un Jean-Baptiste Poquelin, qui n’est pas encore Molière.
Sotha nous entraine dans le quotidien de ses personnages. On les écoute échanger des alexandrins, entre un chou et un duel, comme on échange des applications de smart-phone de nos jours, entre un sushi et une partie de jeu vidéo.
*Rectification de Sotha : Je ne trouve pas que Corneille soit méprisant et imbu de lui-même. Il réagit comme un auteur critiqué par un type qui a priori n’est pas plus fort que lui, et se comporte assez grossièrement. Il n’est préoccupé que par la cour qu’il fait à Roxane. Pour le faire parler, je ne me suis inspirée que de ses portraits (il était laid, le pauvre), du fait qu’il n’était pas très doué pour la comédie, et de la fin de la chanson de Brassens, écrite par Tristan Bernard qui ajoute après le poème de Ronsard (si je ne m’abuse) : « Peut-être que je serai vieille, répond Marquise, cependant, j’ai vingt six ans, mon vieux Corneille, et je t’emmerde en attendant. »
Entretien avec Sotha, Fondatrice du café de la gare et auteur de Cyrano m’était conté, actuellement à l’affiche.
« Baptiste Caruana : Quand es-tu montée pour la première fois sur les planches ? Peux-tu nous raconter tes débuts ?
Sotha : En 6ème, au lycée Montaigne. je jouais le Bourgeois Gentilhomme, j’avais dix ans , 1m22 et 28 kilos de trac. Je n’ai jamais voulu être actrice. Jusqu’à l’âge de 20 ans, j’étais incapable de parler en public. Je voulais être architecte, à la rigueur réalisatrice de cinéma.
Après le bac, j’ai préparé l’Idhec (actuelle FEMIS) en section réalisateur. Un ami de mon père, Raymond Rouleau, y donnait des cours de direction d’acteurs. Il avait fondé « La Communauté Théâtrale » et m’a conseillé d’y passer. On y donnait des cours de théâtre, on y montait des pièces, la devise (paradoxale dans ce métier) était « anonymat et bénévolat ». Donc, inutile d’y rêver de devenir star. J’y ai appris à me servir des projecteurs, des décors, des costumes, des mots, et surtout des acteurs. J’ai aussi participé à la construction d’un théâtre, avec mes mains, pas en regardant les ouvriers, et sont nés du néant le théâtre Mouffetard et l’Epée de bois. J’y ai même fait un enfant, qui vient de construire son premier théâtre. Les chiens ne font pas des chats.
Puis je suis devenue secrétaire au théâtre La Bruyère, où mon chemin a croisé – entre autres – celui de Romain Bouteille qui jouait « L’Échappée Belle ». Avec lui j’ai tourné mon premier film, hanté les cabarets rive gauche (La Méthode, l’Ecluse), le premier café-théâtre (La Vieille Grille), et rencontré Rufus, Higelin, Brigitte Fontaine, les acteurs de chez Marc’O, c’était les débuts des « idoles ». Nous mangions, travaillions, dormions, chantions ensemble comme tous les gens de 20 ans, dans toutes les générations, je pense.
En 68, j’ai commencé à pouvoir parler en public. Sans doute parce que j’avais quelque chose à dire.
Cette année-là Romain et moi avons rencontré Coluche, Patrick Dewaere, et avec une poignée d’égarés de tous bords nous avons fait ce que nous aimions faire : construire un théâtre, nous moquer de tout, écrire, et finalement, jouer sur scène. Ce n’est qu’en faisant ce que nous AIMIONS faire que nous avons appris à le faire.
Sauf moi. Je n’aimais pas beaucoup jouer, je n’ai pas vraiment appris. Mais j’étais un peu obligée, c’est agréable de faire rire, et d’être applaudi.
Je crois qu’il est alors facile de comprendre pourquoi j’ai raconté quelques scènes de la vie de Cyrano comme je l’ai fait. Quand j’ai découvert que Molière, Pascal et Condé étaient nés pratiquement en même temps, que Corneille avait l’âge de d’Artagnan, les mots se sont écrits tout seuls. Je SAVAIS ce qu’ils auraient pu se dire.
B . C. : Quel rapport as-tu à l’écriture ?
Sotha : Ecrire ne me pose aucun problème, mon père était écrivain, très érudit, professeur d’histoire du théâtre au Conservatoire. Nous avons vécu dans le respect des livres, de la langue française – jamais une faute de français qui ne soit corrigée au passage –et de l’histoire (même romancée, merci Dumas, m’a valu tant de bonnes notes).
Autant vous dire que j’ai toujours eu beaucoup de mal à faire accepter mes textes à la télé.
L’idée d’écrire un Cyrano m’est, je crois, venue après avoir trouvé la blague du titre. Je devais écrire un spectacle et vous n’imaginez pas ce que le public fait avec nos titres. Je cherchais quelque chose que les gens n‘oublieraient pas (il y en a quand même qui disent : Si Cyrano m’était conté).
B.C. Quand as-tu décidé de monter ce spectacle ?
Sotha : J’avais déjà écrit un Cyrano, au début du Café de la Gare. Il durait 8 minutes, entièrement en onomatopées, il racontait la même histoire que Rostand. Avec Henri Guybet, qui, d’après lui, est le seul acteur pouvant jouer Cyrano sans prothèse, Patrick Dewaere en Christian et Romain Bouteille en de Guiche, l’affaire était faite. Non, Miou Miou ne jouait pas Roxane, elle était trop jeune, quant à moi je pense que je ne faisais rien, j’ai toujours été nulle en onomatopées. En tout cas les gens riaient beaucoup.
Je pense que Cyrano de Bergerac a été le premier grand spectacle de théâtre que j’ai vu, au Châtelet, monté par Raymond Rouleau, avec Pierre Dux. J’ai le souvenir d’un magnifique spectacle, d’une belle histoire, très triste. Une de mes pièces préférées, avec Phèdre, et On ne badine pas avec l’amour.
Mais pourquoi ne pas la raconter autrement ? en faisant rire, en faisant réfléchir, mais en restant émouvant ? C’est ce que j’ai essayé de faire, en ajoutant quelques contraintes : cinq acteurs, un décor, peu de costumes, et pas plus d’une heure et demie.
Oui, j’ai voulu faire mon intéressante. Je n’ignore pas que je n’aurais pas écris la même pièce si Rostand ne l’avait pas fait avant, et je compte bien sur le souvenir que les gens en ont pour pouvoir aller plus vite que lui, et quelquefois faire rire à cause de lui. Tout ce que j’espère c’est que ça l’aurait amusé aussi. Bon, d’accord, il était un peu plus de droite que moi, et un peu moins rebelle que Cyrano. Les temps changent… »
Informations pratiques
Café de la Gare
41 rue du Temple
75004 Paris - Métro Hotel de ville ou Rambuteau
Dimanche, lundi, mardi 20H30,
vendredi, samedi 21H30
Plein tarif : 24€ - Tarifs réduits : 20€, 15€, 10€ à la tête du client.
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