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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « Le Nouveau Royaume » (« La Planète des Singes »), un p’tit truc en (...)

« Le Nouveau Royaume » (« La Planète des Singes »), un p’tit truc en moins…

Le nouvel opus de La Planète des Singes (Le Nouveau Royaume), sorti le mercredi 8 mai dernier dans les salles en France, réunit, pour sa première semaine d’exploitation, 825 979 spectateurs (source : Ecran total), avec 629 écrans mis à sa disposition, ce qui est bien, mais il n’arrive que deuxième au box-office, se voyant dépasser par la surprise du moment, à savoir Un p’tit truc en plus qui, visiblement, porte bien son nom puisque cette comédie humaniste sur l’expérience collective du handicap mental, premier long-métrage de l’humoriste Artus, totalise de son côté, pour sa deuxième semaine de sortie nationale, 830 012 entrées, avec moins d’écrans pourtant (558), BFMTV ayant même annoncé, le 13 mai dernier, que ce film, au démarrage historique, avait dépassé le cap des deux millions d’entrées.

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Changement de cap, de la comédie, en passe de devenir un film-phénomène, à la science-fiction : il s’agit du dixième film de la franchise La Planète des Singes, dystopie évoquant un monde où les primates sont doués de parole et ont le pouvoir sur les humains, inspirée du roman du même nom, publié en 1963, de Pierre Boulle (1912-1994), un des pionniers de la SF française, auteur également du Pont de la rivière Kwai (adapté au cinoche, quant à lui, en 1957), écrivain visionnaire qui, pour l’occasion, fort de ses études d’éthologie, s’était penché sur les ouvrages de grands primatologues, tel Frans de Waal, afin d’inviter les lecteurs à prendre du recul sur eux-mêmes (« En fait, les films de la franchise La Planète des Singes racontent l’histoire de l’humanité sous le masque des singes depuis longtemps », dixit Wes Ball), nos plus proches parents, les grands singes, nous servant alors de miroir afin de réfléchir à ce que nous devenons, sachant qu’on accédait, originellement, au point de vue même d’un chimpanzé, Doogie, à l’expression orale différente de la nôtre.

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Icône de la culture pop : « La Planète des singes », 1968, par Franklin Schaffner (musique de Jerry Goldsmith)

La domination de la Terre par les singes

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Noa et Nova dans « Le Nouveau Royaume » (2024, Wes Ball)

Que raconte ce nouvel épisode de la saga culte de La Planète des Singes, au succès ininterrompu depuis soixante ans ? Plusieurs générations après le règne de César, les singes ont définitivement pris le pouvoir : la Terre, désormais, leur appartient ! Quant à nous les humains, leurs voisins, et frères ennemis, nous avons régressé à l’état sauvage et vivons en retrait. Alors qu’un nouveau chef tyrannique, un certain Proximus, admirateur de César, le « Moïse » du peuple des singes, construit peu à peu son empire babylonien dantesque, en mordant sur une plage semblant déboucher sur une caverne fortifiée agissant comme boîte de Pandore contenant des armes dont la plus dangereuse étant celle du savoir (« Nous avons traité le savoir comme un virus, dit Ball. Nous avons réfléchi à la manière dont on peut l’attraper, comment il peut se répandre. Finalement, le savoir est plus dangereux que n’importe quelle arme pour un singe. Il est à la source de nombreux conflits »), un jeune chimpanzé, un certain Noa (Owen Teague), membre d’un clan pacifique de dresseurs de rapaces, entreprend un périlleux voyage qui l’amènera à questionner tout ce qu’il sait du passé et à faire des choix qui définiront l’avenir tant des singes que des humains. Sur sa route, en tant que compagnons de voyage, il croise bientôt un vieil orang-outan, surnommé Raka (très bon Peter Macon), historien érudit en possession d’informations sur la descendance de César, et une mystérieuse humaine, Nova (campée par Freya Allan, héroïne de la série Netflix The Witcher), qui parvient à communiquer avec les singes.

Saga transgénérationnelle incontournable de la pop culture, La Planète des Singes (propriété de Disney depuis le rachat de la Fox en 2019), arrivant dix ans avant des séries phénomènes comme Star Wars (1977), Alien (1979), Star Trek (1979) ou Terminator (1984) et s’inspirant très largement du roman de Pierre Boulle, « devenu la pierre angulaire d’une nouvelle mythologie moderne », selon Nicolas Allard dans son livre analytique passionnant sorti récemment aux éditions Pix’n Love (2024), La Planète des Singes. Du roman aux écrans : la fabuleuse histoire, connaît, pour rappel, sa première adaptation au cinéma par Franklin Schaffner (1920-1989), cinq ans après sa parution en 1963, film matriciel qui sera récompensé – seulement ! – de l’Oscar du meilleur maquillage ; personne n’a oublié, entre autres, la remarquable interprétation, parfois poignante, sous le masque du chimpanzé Cornélius, de Roddy McDowall dans ce premier film, datant de 1968, adapté du best-seller de Pierre Boulle, auteur ayant, avec le temps, grave les boules puisqu’il le considérait comme un texte, au fond, secondaire de sa production romanesque. Suivront quatre films, de qualité inégale, sortis dans les années 1970 (Le Secret de la Planète des Singes, Les Évadés de la Planète des Singes, La Conquête de la Planète des Singes, La Bataille de la Planète des Singes), deux séries télévisées, un remake (un peu oublié du premier titre) par Tim Burton en 2001 avant un reboot de la saga en 2011, qui s’est avéré très rentable (les budgets oscillent entre 90 et 170 millions de dollars), dont La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume est le quatrième opus.

Après Matt Reeves (The Batman), qui avait signé de manière plutôt réussie les deux derniers épisodes, c’est le nouveau venu Wes Ball (la saga Le Labyrinthe) qui reprend le flambeau du réalisateur en charge d’être inspiré et d’apporter du nouveau. Franchement, pas facile de passer après tout ça, pas impossible que la barre soit trop haute. Ball, qui succède à Rupert Wyatt (La Planète des Singes : les origines, qui a rapporté 471 millions de dollars), sans oublier Matt Reeves (La Planète des Singes : l'affrontement, La Planète des Singes – Suprématie, respectivement 711 millions et 490 millions), précisait avec franchise, à la fois modeste et fier, pour la sortie de son film, qui lui a pris cinq ans pour en venir à bout : « Cette série a été créée en 1968 et c’est incroyable d’en faire partie après toutes ces années. Nous avons un devoir d’honorer ce qui a été accompli avec cette saga mythique. Mais nous n’essayons pas de continuer ce qui a été créé précédemment : nous tentons vraiment de créer une nouvelle vision pour cet univers. Je pense que ce nouveau film va plus loin. Le message est que plus nous apprenons, plus nous devenons maîtres de notre pensée. ».

Dans un Figaro récent (#24791, 8 mai 2024, propos recueillis par Olivier Delcroix, in article Wes Ball : La Planète des Singes traite le savoir comme un virus), le metteur en scène, sur fonds verts, poursuit : « C’est vrai que je n’ai pas accepté immédiatement la proposition. Je me suis d’abord demandé si nous avions besoin, ou même envie, de voir un nouveau film de la saga La Planète des Singes. Il fallait une sacrée bonne raison pour que je me lance dans l’aventure. Avant tout, je voulais que le film soit autonome. Ce fut la condition sine qua non avant de me lancer. Ensuite, j’ai voulu situer l’intrigue environ trois cents ans après la mort du singe César, héros de la trilogie des années 2011-2017. Ce saut temporel a libéré notre imaginaire. Je sais maintenant que c’est le bon choix. Même si César fait partie de l’histoire et que son esprit reste attaché à cette nouvelle intrigue. »

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Wes Ball au travail, sur le tournage de « La Planète des singes : le nouveau royaume ». Photo Jasin Boland/The Walt Disney Company France

Perso, ce film, je l’ai vu au mk2 Odéon (côté St-Germain, Paris), salle 1, à moitié pleine. Franchement, opus pas top (malgré quelques bonnes idées, je reviendrai dessus). Trop long ; pour info, La Planète des singes : Le Nouveau Royaume, qui dure 2h25 (on regarde plusieurs fois sa montre tant son récit, trop linéaire, trop bavard, par moments confus, fait souvent du surplace), est le film le plus long de la saga depuis le premier film, en 1968, signé Franklin Schaffner, dépassant ainsi de 5 minutes La Planète des singes : Suprématie de Matt Reeves, sorti en 2017. Ce Nouveau Royaume, par Wes Ball, réalisateur américain de 43 ans né en 1980 en Floride, patine beaucoup, au début notamment, avec le temps – long - de l’exposition de la trame. Le coup des œufs collectionnés, chipés dans des nids surélevés au-dessus de cascades d’eau, qui doivent servir aux jeunes chimpanzés Noa, Anaya et Soona pour un rite de passage à l’âge adulte, aussi précieux et convoités que ceux, colorés, de Pâques, ainsi que celui des aigles chahutés puis, plus tard, apprivoisés par les singes chapardeurs, diantre, que c’est répétitif ! On sent que le réalisateur est content de sa trouvaille, le rajout des puissants plumitifs à la saga, alors il en rajoute. En même temps, c’est un mal pour un bien, ça m'a fait penser à un formidable tableau, des éleveurs de faucons, se trouvant au musée d'Orsay, au niveau de son rez-de-chaussée. Faudra que j'aille le revoir. Puissance de la peinture (en un tableau, un peintre fait mieux que 2h20 poussives de film, concernant l'union possible de l'homme et de l'animal) : Chasse au faucon en Algérie : la curée, 1863, Eugène Fromentin (1820-1876), 162,5 x 118 cm, fleuron du musée parisien consacré, entre autres, aux impressionnistes.

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Image tirée de la saga originelle de « La Planète des Singes »

Le film Le Nouveau Royaume, mes impressions ? On dirait que son auteur, Wes Ball, a du mal à se dépatouiller avec les longs précédents, tant avec les originaux (au nombre de cinq, dont le tout premier, 1968, sorti la même année que 2001, avec la formidable musique abstraite de Jerry Goldsmith, aussi culte que le film - celle du dernier opus, signée sans aucune inventivité John Paesano, est inexistante en comparaison -, objet culte bénéficiant de la présence charismatique du culturiste bronzé à souhait Charlton Heston, finissant sur les ruines de la statue de la Liberté échouée sur le sable, twist pop génial, connu même de ceux qui n’ont pas vu le film !) qu'avec les trois autres, plus récents (2011/2014/2017), dont l'un avec le beau gosse James Franco (Les Origines, 2011), sans oublier, au passage, le Tim Burton de 2001, raté, malgré un design des casques des singes guerriers, assez stupéfiant, dans mon souvenir.

« J’avais envie d’un vrai film d’aventures, dans le sens le plus noble du terme, note le cinéaste Ball (cité par Fabrice Leclerc, dans Paris Match n°3914, p. 13, mai 2024, in article La Planète des Singes : aux origines littéraires). Et d’une histoire d’apprentissage de la vie et de rébellion. Les héros, comme moi-même, devaient se faire leur propre opinion et tracer leur propre chemin. Quitte à se rebeller. Il est beaucoup question de désinformation et de la liberté de pensée ici. Même si ce n’est pas le lieu pour un pamphlet politique. Nous sommes dans la distraction. Alors, il ne faut surtout pas tomber dans le dogmatisme. » Malheureusement (car distraction n’empêche point réflexion et ambition), soyons clairs, Wes Ball, malgré un budget somme toute confortable – on parle de 150 millions de dollars – et sa volonté manifeste d’être un bon élève de la saga répondant grosso modo au cahier des charges, n’arrive pas à faire grand-chose d’un matériau de départ pourtant des plus puissants et d’une acuité ô combien remarquable : la saga d’anticipation culte produite par la 20th Century Fox, parle, en filant la métaphore d’un plaidoyer pour le vivre-ensemble, de la ségrégation aux States ou encore de son époque (des références à la guerre du Vietnam et aux dangers de la guerre nucléaire, confinant à l’apocalypse), avec, dans son déroulé, de nombreux revirements de situation pour la lutte et la conservation du pouvoir, les singes belliqueux, appelés « Les Masques » (des gorilles très très méchants), dans le numéro de Ball, Le Nouveau Royaume, matant les hommes, en ayant fermement et violemment le pouvoir (ou les délices et affres de la domination inversée), moment maso jouissif !

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Comme une chasse à courre pour cueillir les humains : « Le Nouveau Royaume », 2024, estampillé Wes Ball
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Pierre qui Boulle amasse mousse : le chimpanzé Cornélius (Roddy McDowall) dans « La Planète des Singes », 1968, le premier film adapté du roman éponyme

Dernièrement, grâce à un doc inédit remarquable diffusé récemment (le vendredi 1er mai 2024), sur Arte à 22h25 (La Planète des Singes, une odyssée de l’espèce, France, 2023, 55 mn.), par Antoine Coursat, on se rendait compte combien les auteurs de cette saga sociétale, dont un rescapé de l’épuration maccarthyste, ont fomenté un film de studio de grand spectacle à visée civique, porté magistralement, à l’époque, par un Charlton Heston alors démocrate, pré-NRA et dirigeant du syndicat des acteurs. Le producteur Michael Wilson a apporté une « profondeur politique » au film de Schaffner, en s’appuyant sur le « traitement du racisme et des discriminations », l’idée étant d’en faire « un brûlot qui se nourrit des malaises internes des États-Unis », notamment dans le rapport tendu Blancs/Noirs ; il a ajouté les scènes mythiques de la battue à cheval, reprises, en moins fort, dans le Wes Ball, et du procès, qui faisait écho à la répression des manifestations pour les droits civiques, dont la marche de 1963. De son côté, Rod Sterling, pièce maîtresse scénaristique de La Quatrième Dimension, a choisi de placer l’intrigue dans une ère post-apocalyptique nucléaire. Le danseur et afro-américain Sammy Davis Jr. (1925-1990) ira jusqu’à dire qu’il s’agit, sous son apparence de divertissement popcorn grand public, du « meilleur film sur la ségrégation » qu’il ait jamais vu. Respect, donc.

Attention, danger : rapprocher de trop l’univers de La Planète des Singes de celui d’Avatar

Bizarrement, dans sa volonté de célébrer la nature et sa diversité (cf. l’épisode beau et kitsch du premier regard innocent sur les zèbres, telle une épiphanie, parmi les hommes et femmes nus ou à pagnes comme sortis d'une crèche ou de l'arche de Noé ; la fascination pour la canopée et la quête des sommets) face à l’hubris des hommes, qui ont furieusement merdé par le passé, couplée à la dangereuse folie des grandeurs du tout-puissant Proximus Caesar devenu, quelque 300 ans après la mort du « prophète » César, le Roi Singe despotique d’un royaume monté de toutes pièces avec des vestiges ataviques, Ball, avec son Nouveau Royaume, lorgne du côté de l’univers visuel et symbolique d’Avatar, les aigles amis des singes rappelant fortement, par exemple, dans Pandora, les grands volatiles, les Banshee, domptés par les Na’vis pour se déplacer dans les airs. Wes le reconnaît d’ailleurs volontiers : « Je pense que si on a un grand reset, tout redeviendra d’une beauté incroyable. La nature reprendra ses droits et la planète sera florissante. Même si, en dessous de tout, il y a les vestiges de notre civilisation, comme un fantôme qui reste en suspens. Visuellement, j’ai essayé de m’élever au niveau de Avatar mais sans avoir le budget de James Cameron.  »

Dans ses interventions dans la presse, il est à noter que ce réalisateur semble faire une petite fixation sur la franchise en cours et L'art de James Cameron, en même temps, à sa décharge, avouons qu’il était souvent interrogé là-dessus. Dans Aujourd’hui en France #8202 (8 mai 2024, p. 27, propos rapportés par Renaud Baronian), le jeune cinéaste, sans faux-semblants, avoue sa dette envers Avatar  : « On a pu faire sur ce film des choses qui auraient été impossibles il y a cinq ou six ans. Car on a bénéficié des dernières nouveautés mises au point par les équipes de James Cameron sur Avatar : La Voie de l’eau. Sans ce film, le nôtre n’existerait pas tel qu’il est. Mais c’est un processus étrange pour un cinéaste : sur le tournage, on a l’impression d’être constamment suivi par un camion géant bourré d’ordinateurs qui enregistrent tout ce qu’on filme. (…) Contrairement à Avatar, j’ai la chance de n’avoir pratiquement que des décors naturels, tournés en Australie, ce qui est très beau pour le rendu final mais qui me contraint à une sorte de carcan pour les cadres : une fois que ces décors sont filmés, je ne peux les redessiner pour les adapter aux personnages comme le fait James Cameron. »

Puis, dans Le Figaro (#24791, à la question pertinente du journaliste lui demandant si, après le Charlton Heston fascinant du tout premier, le public allait pouvoir s’identifier au personnage principal de son film qui n’est autre qu’un singe, le naïf Noa), Wes Ball répondait tout de go : « [Rires] Cela a déjà été fait, et j’étais confiant à l’idée de repartir de cet acquis pour réussir à l’améliorer. Il ne faut pas oublier que, dans Avatar, James Cameron a réussi à faire que les spectateurs s’identifient à de longues créatures bleues très félines ! Alors pourquoi pas un singe ? La vraie question était de savoir si le public acceptait de s’investir émotionnellement dans ce qui apparaît d’abord comme une histoire de singes.  »

Mais, ouille, James Cameron vole bien plus haut ! Car lui, malin comme un orang-outan aguerri (le sage chez les singes, le chimpanzé y étant le gentil malin et, le gorille, la grosse brute méchante), revient carrément, par-delà sa SF luxuriante, aux origines même du cinéma, art des feintes comme fête foraine pour les yeux, via une remise au goût du jour du diorama : être, par le prisme de la 3D agissant comme bain amniotique pour le spectateur, dans l’image immersive-toile d’araignée, toucher du doigt des yeux, tel un bébé ravi ou saint Thomas, une méduse alien volante : c’est par l’artifice le plus extrême (les trucages numériques et effets spéciaux d'ingénieur à foison, faune et flore n'étant qu'images de synthèse) qu’il célèbre le retour providentiel au vivant et à l’authenticité, ou vérité nue, de dame Nature ; on y entend même le terme, qui sacralise, de « terre mère » de la part du peuple indigène et autochtone na'vi avec laquelle il rentre en symbiose. Chiasme, ou paradoxe, fascinant !

Cela conduisait habilement Cyprien Caddeo à écrire, dans L’Humanité n°23757 (21 août 2023, pp.18-19, in papier Le paradoxe Avatar, une ode au vivant de synthèse), que cette fresque écologique qu'est Avatar, qui néanmoins est loin d’être un film écologique au passeport vert irréprochable dans sa fabrication (les intelligences artificielles génératives du tout-numérique, véritables ogres à l’empreinte carbone gargantuesque, consomment une quantité affolante d’énergie : on raconte que, lors du calcul final des images finales de La Voie de l’eau, la puissance requise par Weta Digital dépassait les ressources en électricité de Wellington, la ville de Nouvelle-Zélande où est implantée l’entreprise), nous faire revivre, lunettes 3-D lourdes sur le nez, et via le panorama immersif d'un baume factice (tout y est propre et lumineux, point de bas matérialisme et d'entropie), « le vertige d'une nature perdue, clonée synthétiquement. (...) Les rares plans en extérieur, réalisés en Nouvelle-Zélande, ne sont que des bases pour retravailler ensuite, en postproduction et par ordinateur, les paysages de Pandora. Bref, on est loin de l'odeur des embruns et de l'herbe fraîche. (...) C'est le paradoxe Avatar  : un plaidoyer écologiste qui n'est qu'un fac-similé écologique.  »

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Image finale de « La Planète des Singes : Les Origines » (2011, Rupert Wyatt), comme un air d’« Avatar »

Cerise sur le gâteau, et il faudra cultiver ici un certain esprit de contradiction, en se posant la question Qui copie qui ?, il se trouve que James Cameron lui-même, pour orchestrer son foisonnant Avatar qui, comme la saga cultissime des singes parlants, vient s’enrouler dans la dialectique animalité/civilité, se soit, en partie, inspiré de l’historique Planète des Singes, franchise ciné pop ayant entraîné avec elle une pléthore de séries TV, de bandes dessinées, de jeux vidéo et autres produits dérivés : « Au cinéma, dixit Nicolas Allard, professeur agrégé de lettres modernes en classes préparatoires, dans son bouquin éclairant La Planète des Singes. Du roman aux écrans : la fabuleuse histoire (pp. 167-168), les films Avatar de James Cameron mettent en scène les Na’avis. La population autochtone de la planète Pandora se voit attribuer le méprisant surnom de ‌"singes bleus" par les colons humains. Comme certains primates, ils sont dotés d’une queue. Ils sont proches de la nature, au point d’être en communion avec elle. L’une des tribus les plus importantes de l’intrigue, les Omaticayas, vit d’ailleurs dans un arbre. Ils sont farouchement opposés aux hommes, qu’ils perçoivent comme destructeurs. Une véritable guerre pour la conquête de Pandora est initiée dès le premier long métrage de cette nouvelle franchise (2009), elle est aussi produite par la Fox. » Bien vu ! 

Manque un je-ne-sais-quoi et presque-rien pour s’élever jusqu’aux aigles royaux

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Freya Allan est Mae, alias Nova, dans « La Planète des singes : Le Nouveau Royaume »

Quoi qu’il en soit, j’ai été particulièrement déçu par la nouvelle production hollywoodienne simiesque, même si, dans le Wes Ball (son nom, tout rond en bouche, me fait marrer, on dirait un pseudo, un Ball pour adapter du Boulle !), j’aime certaines choses : le décorum hanté des restes industriels humains d’un monde perdu (du côté de la Californie, Los Angeles et ses environs, avec une nature reprenant toujours ses droits comme dans Jurassic Park, asphyxiante et agressive, s’épanouissant parmi des ruines, des terrains vagues, un aéroport abandonné, où l’on y trouve un grand télescope qui aura son importance dans l’arc narratif, des décombres et des épaves rouillées), certains thèmes d’hier et d’aujourd’hui abordés, via la monstration d’un monde déchiré tiraillé par la montée inquiétante des nationalismes (et si le singe leader Proximus, aux discours séduisants revisitant l’Histoire et la figure du prophète à sa façon, n’était autre qu’un portrait à peine masqué du renard Donald Trump ?), le racisme et les menaces écologiques, sans oublier le clin d'œil vers la fin à King Kong (surpuissance du grand méchant poilu occupant, de par sa masse, tout l'écran), puis tout le passage avec William H. Macy, une sorte de collabo ayant renoncé à l’âge d’or humain, lettré féru d’histoire devenu pour Proximus une espèce d’éminence grise, stagnant ici dans son antre sombre (puits de connaissance plongé parmi les vieux livres rescapés de l’apocalypse, le réalisateur des Labyrinthes étant assez à l’aise avec une topographie comme compartimentée, avec chausse-trappes et avancée de l'intrigue par paliers genre jeu vidéo, son prochain long serait d’ailleurs une adaptation de la série de jeux vidéo The Legend of Zelda). Loser magnifique du cinoche (Fargo Forever !) : Macy, loin d'être un messie, semble ici, dans cette séquence (fonctionnant un peu comme un film dans le film, c'est son moment !), avec son air éternellement fatigué et résigné, genre chien battu, comme égaré dans une photographie panoramique du contemporain Gregory Crewdson, grand photographe américain « de cinéma » à qui il sert parfois, aux côtés de Julianne Moore et de Tilda Swinton, de modèle - terme qu’utilisait d’ailleurs le « cinéaste-peintre » Robert Bresson, metteur en scène, et en gestes, pour ses comédiens.

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L’éternel perdant William H. Macy, acteur mis en scène par l’Américain Gregory Crewdson, photo « cinématographique » tirée de la série « Dream House », 2002, « Hunter »

Et, last but not least, l’actrice (britannique) du film, pourtant pas mal critiquée (« catastrophique  » (sic) si l’on en croit Libé), une certaine Freya Allan (je la découvrais, visage presque... avataresque, graphique en tout cas, semblant presque moins réelle que les acteurs, jouant les singes, filmés en « capture de mouvement », à savoir avec des combinaisons truffés de capteurs enregistrant le moindre mouvement, ensuite digitalisé), est superbe ! Elle assure, faisant le job.

Au sujet de Freya Allan sur le tournage, notait le réalisateur dans la presse (Aujourd’hui en France n°8202), « Elle était la seule sans combinaison ni capteurs, entourée parfois de dizaines de comédiens vêtus de ce complexe appareillage. Mais puisqu’ils se comportaient comme des singes durant les séquences, elle était dans le bain et n’avait pas de mal à s’y retrouver. » Avec ses yeux mouillés de « femme-enfant sauvage » façon François Truffaut (cinéaste français, trop tôt disparu, qu’aime d’ailleurs citer Ball, « Un bon film est un mélange parfait entre la vérité et le spectacle  »), en apparence non civilisée - mais chut, je ne veux pas divulgâcher -, on prend plaisir à la suivre : ici, le futur est assurément femme, source d’espoir, dans un récit se voulant ouvertement initiatique. Elle est sexy, retorse et combattante, flingue en main (ses motivations profondes restant, pour autant, regrettablement en flottement) - les virilistes de tous poils en prennent sacrément pour leur grade ! D’ailleurs, ouf, avec ce personnage féminin de caractère (Mae/Nova, qui veut dire Nouvelle), ce film, appartenant à une franchise antiraciste, voire antispéciste, et à bien des égards anticapitaliste, retrouve même la part féministe de la saga - eh oui, ne pas oublier que, dans le couple mythique de chimpanzés Cornélius-Zira, c’est Madame qui conduit. 

Toutefois, les acteurs ne font pas un film, ça se saurait, il faut un gouvernail solide pour que la sauce prenne pleinement avec toutes les étoiles alignées, Wes Ball, assez virtuose pourtant dans le clair-obscur poétique (la confusion du jour et de la nuit), manque sérieusement d’amplitude filmique. Sans réelle patte personnelle, l’ensemble demeure trop plat, pas assez nerveux, dommage, du 2,5 sur 5 pour moiphotos V. D.). Et il lui manque le plus embêtant, un supplément d’âme, une réelle émotion, un p’tit truc en plus dans le sensible à l’œuvre, ou un je-ne-sais-quoi et presque-rien comme disait le philosophe Jankélévitch, pour vraiment nous embarquer avec lui, au-delà d’un divertissement hollywoodien de base. Certes, c’est bien d’admirer Mister Cameron, mais comme le disait Brancusi ayant quitté, assez tôt, l’atelier du maestro Rodin pour tracer son propre sillon dans le domaine de la sculpture moderne, « Rien ne pousse à l’ombre des grands arbres ».

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L’amour singe dans une nature-refuge envahissante : « Le Nouveau Royaume », 10e opus de la saga de « La Planète des Singes »

Enfin, bien sûr, nous sommes à Hollywood, donc, ne nous leurrons pas, cet inégal Nouveau Royaume est possiblement, et ce d’autant plus s’il cartonne, le premier maillon d’une nouvelle trilogie labellisée Planète des Singes à venir, Wes Ball lui-même n’étant pas dupe de la grande manœuvre commerciale (toujours cité par F. Leclerc, dans le Paris Match sus-cité), « J’ai vraiment pensé le projet comme un tout, mais je ne suis pas naïf non plus. Nous sommes à Hollywood et je sais que le studio songe à une nouvelle trilogie. J’ai donc d’autres idées en tête pour la suite. Notamment la thématique de la science-fiction qui est quand même l’ADN de la saga. » Et il se murmure, dans les tuyaux, et bambous, que les nouveaux thèmes de cette grande franchise caméléonesque, pour ces prochaines années, en allant surfer sur la vague verte en guise de lanceuse d’alerte pour sauver notre planète bleue, tourneraient autour, si l’on en croit l’auteur bien renseigné Nicolas Allard, de questions d’importance du temps présent, au cœur des préoccupations humaines, liées au réchauffement climatique, au transhumanisme et à l’intelligence artificielle. Programme en vue qui promet. À suivre, donc. Nonobstant, pour ma part, je veux bien encore un énième opus, s’ajoutant à cette saga légendaire, celle-ci entraînant toutes sortes de lectures allégoriques, politiques et morales bienvenues, parfois même vertigineuses, quand c’est globalement réussi, mais je me passerais bien volontiers de Wes Ball, quadragénaire tout de même un peu faiblard pour porter sur ses épaules une telle mythologie prospective. Alors, pourquoi pas le GOAT James Cameron en personne aux commandes ? Je blague (ou je rêve) ! 

La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume (Kingdom of the Planet of the Apes), 2024 – 2h25. États-Unis. Couleur. Scénario : Patrick Aison, Josh Friedman, Rick Jaffa et Amanda Silver. De Wes Ball. Avec Freya Allan, Owen Teague, Kevin Durand, Peter Macon, William H. Macy, Travis Jeffery. En salles depuis le 8 mai 2024.


Moyenne des avis sur cet article :  2.65/5   (17 votes)




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15 réactions à cet article    


  • zygzornifle zygzornifle 20 mai 10:31

    On a bien le royaume des lapins crétins a l’Elysée .... 



    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 20 mai 11:38

      Je ne comprends pas qu’on puisse se passionner pour ces films.

      Déjà le roman de Pierre Boulle m’avait écœuré, et pourtant j’étais fan de SF.


      • Gollum Gollum 20 mai 11:43

        @Francis, agnotologue

        Et moi je ne comprends vraiment pas votre écœurement... ?? smiley

        Qu’on soit écœuré par un film gore de façon outrancière ça se comprend mais là.. ??

        Z’en avez parlé à un psy ?


      • xana 23 mai 08:18

        @Francis, agnotologue
        Je suis parfaitement de votre avis. Je ne comprends pas la fascination du public pour ce genre de sottise.


      • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 23 mai 13:58

        @xana
         
         Quand je dis que je ne comprends pas qu’on aime ces histoires de singes au ciné, c’est un euphémisme. En fait, ça me débecte.
         Et ça me rassure de constater qu’un mec qui me débecte, suivez mon regard, aime ça. Logique.


      • Gollum Gollum 23 mai 14:04

        @Francis, agnotologue

        Je n’ai jamais dit que j’aimais cette saga, z’avez vu ça où ?

        Toujours la malveillance chevillée aux neurones hein Francis ? On se refait pas..

        J’ai juste dit que le roman de Boulle était tout à fait anodin et que votre allergie était suspecte et même incompréhensible, à la limite de la pathologie.


      • Gollum Gollum 23 mai 14:52

        Au passage suffit de remplacer les singes par des peaux-rouges dans les films et on n’a rien d’autre qu’un western très classique avec bagarres et toute la panoplie habituelle.. Rien que de très basique.

        Pour être allergique à ça faut vraiment avoir un problème freudien.

        Les autres qui n’aiment pas, de la même façon que certains n’aiment pas les westerns ou les films policiers, rien que de très banal aussi.

        Perso j’ai regardé mais sans jamais avoir déboursé un centime, et sans être un inconditionnel ni un allergique. Ça se laisse regarder sans plus.


      • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 23 mai 15:26

        @Gollum

         ’’suffit de remplacer les singes par des peaux-rouges dans les films et on n’a rien d’autre qu’un western très classique’’
        >
        Et c’est ce mec qui ne fait pas de différence entre un singe et un Amérindiens qui voit des pathologies chez les autres.
         
        MDR.
         


      • Gollum Gollum 23 mai 15:33

        @Francis, agnotologue

        MDR en effet. Donc vous êtes allergique aux singes. Créationniste ? Remise en cause de Darwin ? Allez avouez quoi... smiley


      • confiture 20 mai 12:14

        cela me souvient un film Allemand sur un couple qui vivaient en différé, l’un est humain(e) mais pas en même temps, l’autre animal.


        • Pour moi,

          le concept du roman satirique-politique et la franchise cinéma de la planète des singes ne sont pas de la S-F . 

          Mais du Fantastique comme le film ’ Le règne animal ’ d’ailleurs ce dernier est excellent .

          Hypérion(à essence mythologique) de Dan Simmons est une série de roman S-F .

          Comme Dune , Fondation ..etc .

          La série 2019 « La guerre des mondes » c’est de la science fiction ...



          • Tout est devant nos yeux, le passé, le présent et l’avenir. 
            Notre monde n’est qu’une simulation collective d’un futur qui existe déjà.
            Le temps n’existe pas .


          • slave1802 slave1802 21 mai 16:22

            @SPQR audacieux complotiste chasseur de complot

            Le temps n’existe pas
            SPQR audacieux complotiste chasseur de complot

            n’existe pas non plus.

            Hélas, il semblerait que si. smiley


          • xana 23 mai 08:22

            Ceux qui ont déjà réellement assisté aux « réunions » d’une tribu de singes ont pu constater à quel point les forums humains leur sont semblables.

            La différence est que les hommes portent des cravates et des slips.

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