Ces propos ne se veulent en aucun cas didactiques et ne reposent que sur des impressions personnelles, le lecteur est donc en droit de ne pas les partager et même de les contester. Cela dit, s’il m’arrive de boire sans problème de l’ouzo, du raki, de la rakia et surtout de l’arak, j’ai toujours eu une certaine réticence vis-à-vis du pastis sous ses diverses présentations, Ricard, Pernod, Casanis ou autre. Ce n’est pas une question de saveur, mais d’environnement. Autant je me sens à l’aise à Paris, à Beyrouth ou Damas devant une bouteille d’arak (celui de Zahlé et de Chtaura pour les connaisseurs) entourée d’une vingtaine de raviers contenant des mezzés, autant je me sens contraint d’avaler mon verre en vitesse avec les buveurs de pastis. Ce qui me gêne le plus, c’est le mélange de décontraction bovine et de superficialité de ce genre de buveurs (du moins d’un nombre non négligeable d’entre eux). Le côté joueur de pétanque en short et en tongs, maitre-chien, parieur de PMU fréquentant les Points Courses, propriétaire de camping-car ou de caravane prenant l’apéro sur des chaises pliantes dans un village-de-toile rempli de Dupond-Lajoie m’horripile. De plus, je n’ai jamais été sensible au charme des films tirés de l’œuvre de Pagnol et ne suis non plus un fan de « Plus belle la vie », donc, l’ambiance Belle de Mai et petit port de Cassis me laisse totalement insensible à son charme. Cela vient probablement que je me sens plus proche culturellement des Francs que des Gallo-Romains et que Charles Pasqua, Raimu et Fernandel sont loin d’être mes comiques préférés. Et même, quand je suis chez des « bourgeois parisiens » avec le Ricard à la main, il me suffit de fermer les yeux quelques secondes pour les imaginer avec horreur en tongs, en marcel et en short. Par contre, cela ne m’arrive jamais avec la vodka, le cognac ou l’aquavit et encore moins avec la slivovic ! La bière, peut aussi s’entourer de vulgarité, mais c’est un tout autre climat auquel je suis plus habitué. Si les buveurs de bière peuvent pisser en groupe, cela ne se fait pas chez les buveurs de pastis.
Avec le rap, j’éprouve un sentiment similaire. Certains auteurs interprètes sont meilleurs que d’autres, certains textes sortent heureusement de la débilité lénifiante ambiante et sont de véritables poèmes. La musicalité, ou plutôt son absence, on s’y fait aussi après un certain temps d’écoute. Mais le plus atroce à supporter, c’est le côté bling-bling, le street-wear et les capuches, la gestuelle et la manière de se mouvoir dans l’espace (imitée de la pimp walk américaine, marche des maquereaux) des adeptes du rap et le côté victime de la société qu’ils arborent, alors qu’ils se font plus de fric qu’un ouvrier ou un fonctionnaire des postes avec leurs petites chansons.
Grossièrement se confrontent plus que ne s’opposent le rap américain et le rap français. Aux USA, de gros lards adipeux, habillés trois tailles au dessus, se la jouent maquereaux à gourmettes en or et grosses bagnoles entourées de filles superbes et minces qui donnent l’impression d’aller au tapin pour ces abrutis. D’ailleurs beaucoup de chanteurs noirs américains (sans oublier les latinos dans un autre genre musical) cultivent la gangsta attitude et se vantent de passages au poste de police, en garde à vue ou en prison, comme si c’étaient des lignes gratifiantes de leur CV. En voyant leurs clips, on se croirait dans un remake de Scarface, réalisé par un cinéaste de seconde zone. L’image du personnage de Tony Montana a depuis longtemps traversé l’Atlantique et certains en France s’y réfèrent comme s’il s’agissait de leur Dieu. Et pourtant le film est sublime, comme vision aphorique de la mégalomanie sous cocaïne. Là, encore, ce n’est pas le film qui est critiquable, mais ceux qui se le sont appropriés. Le style, « Devenir riche vite ou mourir en essayant » fait école et certains se sont retrouvés à ce jeu à l’hôpital ou à la morgue. Mais cela concerne encore plus souvent les amateurs de rap que les chanteurs. Il ne s’agit donc pas d’une sous-culture, mais hélas d’une absence évidente de culture et de distanciation.
Et puis, il y a le phénomène Eminem, plus musical certes, plus rythmé, mais dans la même ligne de provocation facile, de course à l’audimat, tout comme les chanteurs des autres styles musicaux, je le concède. Le fait d’être blanc lui attire un autre public aux USA, mais la donne est la même, le côté petit morveux en plus. Les gestes compulsifs, index et majeur agités et pointés devant soi et en direction des autres, le regard éteint sentant l’échec scolaire, le mode, pour ne pas dire le code vestimentaire, les façons de se saluer, font que pour moi, le rap est nettement plus supportable à la radio, qu’à la télévision ou sur Internet. Au moins, je ne les vois pas !
Ce qui me fait vibrer, ce sont les Rolling Stones, Led Zeppelin, Clash, Stranglers, ACDC, les Doors, Tina Turner, Aretha Franklin, et même James Brown, qui se disait pourtant l’inventeur du rap et enfin Fela le Pape de l’afro beat. C’est de mon âge, diront les plus jeunes mais je ne vois pas non plus la différence entre Tino Rossi d’une part et les Beatles et Elvis Presley de l’autre. S’il faut écouter de la daube en France, nous avons déjà Sardou, Halliday, Bruel et Fiori, alors pas besoin d’en rajouter, le côté banlieue misérabiliste en plus. On ne peut-être que consterné au vu de l’expression faciale et des mimiques atones d’Alibi Montana et de Sinik, Rohff étant légèrement plus expressif, de la pauvreté de leurs textes et du pseudo message qu’ils véhiculent. A côté de certains nouveaux artistes de cette lignée, Joe Star et Doc Gynéco font figures de Nobels de littérature. Les paroles de trop nombreuses chansons atteignent le niveau philosophique des déclarations de Nadine Morano ou de Yannick Noah, l’agressivité en plus ! Ce qui est encore plus affligeant, c’est d’entendre éructer certains chanteurs lors d’émissions télé, où ils sont invités pour faire de l’audience, mélangés à des politiques, des intellectuels et de pseudo philosophes et les voir se prendre pour des notoriétés. Et toujours le même discours formaté, le même disque rayé sur la banlieue, les discriminations, la police, bref toujours le même univers. Pour beaucoup de ces jeunes le milieu qu’ils fréquentent est mentalement plus carcéral que les murs d’une prison. Toute proportion gardée, les rappeurs sont enfermés dans le même monde que les personnages de la Comtesse de Ségur qui ne sort jamais du même milieu et des mêmes histoires. Il est certain qu’un esprit ouvert en a vite marre des souvenirs et des faits d’armes du 9.3. Ces pseudo racailles imitent aux antipodes le comportement des jeunes privilégiés du VIIème arrondissement toujours entre eux parlant de fringues, de vacances et de rallies ou de Bal des debs, et ils n’en ont même pas conscience. Dans les deux cas, ces comportements traduisent une semblable absence d’ouverture au monde extérieur. Enraciné dans le « ghetto » suburbain, les rappeurs ont peu de chance de se faire un jour « jeter dans l’Indre par tout un fan club », car leurs admirateurs ne s’aventurent que rarement au delà du périph et encore moins dans le Tarn-et-Marne. Un cas à part, celui de Grand Corps Malade, dont le slam lancinant n’atteint pourtant pas l’ironie de sa parodie par les Guignols. Mais à la longue, on se lasse vite de ce côté geignard.
Mais le plus comique, c’est de voir un jeune sur la ligne 13 se ruiner le tympan sur son i-pod, oscillant le buste d’avant en arrière de façon répétitive en marmonnant comme un pratiquant devant le mur des lamentations. L’ironie suprême serait de lui tendre la Thora et une kippa en lui disant mazeltov. Mais comme la plupart n’ont pas d’humour, cela pourrait finir très mal.
En dehors du vestimentaire et des accessoires qui vont avec, ce qui accompagne cette musique, c’est obligatoirement la junk food des MacQuick et des pizzas à livrer. La créativité, la vrai provocation, serait de délocaliser cet art à Gaveau, en queue-de-pie ou en frac et de dire Nietzsche en slam et de s’attabler ensuite devant une choucroute ou une poularde de Bresse. Et les filles qui suivent le mouvement pourraient au moins faire l’effort d’abandonner les accessoires Dolce&Gabbana et les petits sacs Marionnaud et Sephora, quintessence de l’élégance vulgaire des barres HLM. Quant à Diam’s voilée ou non, elle véhicule par ses message basiques, son adiposité naissante, son manque de féminité, la même culture du fast food avec ses frites grasses, qu’il soit halal ou non.
Merci cependant à Albatar pour son approche intelligente et structurée de cette musique qui n’est pas la mienne, mais qui peut en intéresser d’autres. Son article avait le mérite d’être clair et ne faisait pas la part belle à l’attitude actuelle des rappeurs. Finalement, ce n’est donc pas le rap ou le pastis qui me dérange, mais tout ce qu’il y a autour. Un autre univers que celui de Soldat Louis avec du rhum, des femmes et de la bière et pourtant, il ne fait pas dans la dentelle, lui non plus, mais il reste le second degré. J’attends avec impatience qu’un chanteur de rap reprenne Charles Aznavour et nous entonne : « Nous irons aux Ullis, un beau jour tous les deux ».