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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Le rocher de LINDOS, à Rhodes sur les traces de Cléobule

Le rocher de LINDOS, à Rhodes sur les traces de Cléobule

ARTICLE ORIGINAL :

https://epigrammeoeil.blogspot.fr/2017/07/le-rocher-de-lindos-rhodes-sur-les.html

 

Des sept sages de la Grèce antique (οἱ ἑπτά σοφοί)  ;

 

L’un déambulait dans les rues pentues de Priène, sous l’ombre du mont Mycale. Il pensait que «  La plupart des hommes sont mauvais ». Comment lui donner tout à fait tort, alors qu’il vivait dans une ville qui bientôt verrait le passage d’Alexandre qui, à défaut de faire de l’ombre au Cynique, déposera, pour prix de ses forfaits, une offrande au temple d’Athena, dont il ne reste aujourd’hui debout que 5 colonnes ? 

Mais Bias de Priène s’inclinera devant la postérité de son voisin de Milet, Thalès, philosophe et mathématicien, ayant eu le bonheur de trépasser alors qu’il assistait à une joute athlétique – mort par déshydratation, une manière d’illustrer la vertu thérapeutique du sport….

 

Des quatre autres justes grecs de la tradition je ne dirai rien ici, pour ne m’intéresser qu’au dernier, Cléobule de Lindos, dont la devise était « La modération est le plus grand bien. » (Μέτρον ἄριστον), ce qui vaut bien autre chose… Il n’était d’ailleurs pas l’homme d’une unique formule, et on lui doit aussi l’idée qu’il « faut marier les filles quand elles sont encore des jeunes filles pour l’âge, et déjà des femmes pour la raison ».

Né vers 630 av. JC, il deviendra par héritage tyran de la cité. A l’origine de la reconstruction du temple d’Athéna (détruit depuis le VIIIe s), son règne coïncidera avec l’apogée de Lindos et, à son trépas vers 560, il recevra cette épitaphe : « Le sage Cléobule est mort, et sur lui pleure. Lindos, sa patrie que la mer de toutes parts entoure. »[1]

Vue du village de Lindos, grimpant vers la forteresse (photo par Axel)

 

La légende veut que Lindos fût fondé par le petit-fils du dieu Hélios, figure tutélaire de l’île de Rhodes.

Il faut dire qu’avec son acropole posée sur un énorme rocher planté au-dessus de la mer Egée et dont le sommet, à la forme d’un plateau triangulaire, porte à sa proue un temple d’Athéna, les lieux en imposent.

Dans les faits, les premiers vestiges archéologiques sur le site remontent à l’époque néolithique et des tombes mycéniennes (14ième siècle av. JC), démontrent la présence des Achéens dans la région.[2] Une histoire vieille de plus de trois mille ans. Nous y reviendrons.

Sur les pentes de Lindos (photo par Axel)

Depuis la route en provenance du nord, d’un coup la forteresse médiévale, comme une apparition, se découpe au loin sur le ciel. Après quelques lacets, on commence à en deviner ses créneaux. Il est alors bon de s’arrêter pour savourer le paysage. Un paysage grandiose, avec ce caillou invraisemblable, posé là par la volonté de quelques dieux de l’Olympe. A ses pieds, parure étirée en demi-cercle, repose le village et ses 3600 âmes. Au-devant, une anse d’un bleu profond bordée par le filet d’une plage, sommeille encore. Il est tôt[3] et le site n’est pas encore envahi par ces groupes de touristes déversés en masse par d’énormes bus et qui, affublés d’écouteurs, se déplacent en essaim d’un endroit l’autre au gré des explications stéréotypées de guides qui n’en peuvent plus de répéter leur litanie.

Au premier plan, un groupe d’arbres isolé dans la rocaille se serre dans le silence… Une corneille mantelée rigole. Et les derniers kilomètres…

Venelles de Lindos (photo par Axel)

Pour caresser les vestiges archéologiques il faut encore sinuer à pied au travers les venelles pentues de Lindos – quel bonheur que les véhicules motorisés ne puissent y atteindre ! Longer les cours au charme indéniable des maisons des capitaines, ces ‘archontika’, dont certaines remontent au XVIe siècle. Puis grimper sur un sentier aménagé, à flanc de rocher, déclinant évidemment les offres des muletiers.

A mi-parcours, si on jette un coup d’œil en contrebas sur les ondulations du paysage, on pourra aviser, lovée à flanc de paroi entre deux plateaux de caillasse, une étrange cavité située au-delà du croissant du village. Flanquée de fragments de colonnades, ce gouffre d’ombre constitue les restes du mausolée de la famille d’un certain Archocratès, prêtre de la déesse. L’ensemble est daté de deux siècles avant JC.

Tout passe…

Entrée de la forteresse médiévale (Photo par Axel)

De Rhodes Pindare raconte : « Des eaux profondes émergea Rhodes, enfant de la déesse de l’amour Aphrodite, pour devenir la muse d’Hélios. Zeus aima tant les habitants de Rhodes qu’il leur envoya une pluie d’or  ». Ile maîtresse de Dodécanèse, les premiers habitants connus en foulèrent le sol il y a de cela 7000 ans. La mythologie, volontiers contradictoire, leur donnera le nom d’Héliades et d’Hélectriones. Car les Héliades sont aussi les filles d’Hélios, celles dont le chagrin se mua en ambre, avant d’être elles-mêmes métamorphosées en arbres.

Trirème gravée (Photo par Axel)

De ces lignées incertaines naquirent trois fils, qui donneront les noms des trois premières villes-états : Kamiros (dont je parlerai peut-être dans un prochain billet), située à flanc de colline face à la côte ouest, et dont on peut aujourd’hui admirer les vestiges, Ialyssos, érigée juste à côté de la ville de Rhodes actuelle, et donc Lindos, fondée selon la tradition par les Doriens entre les douzièmes et dixièmes siècles avant JC.

Un destin illustre était promis à cette île bénie des dieux. Aussi n’est-il pas surprenant de voir Homère, dans son catalogue des vaisseaux (passage du chant II de l’Iliade), indiquer que les rhodiens envoyèrent, sous le commandement de Tlépolème, neufs nefs à la guerre de Troie : « Tlépolème, le noble et grand Héraclide,avait amené de Rhodes neuf vaisseaux de Rhodiens à la fière attitude ; ils habitaient Rhodes, répartis en trois groupes : Lindos, Iélysos et la blanche Camire ».

Eschine, l’un des grands orateurs de l’antiquité grecque et adversaire de Démosthène, y fondera en 324 av JC une école de rhétorique. Viendra plus tard Charès, l’architecte du célèbre colosse, érigé en 292 av JC et qui sera renversé 65 ans plus tard par un tremblement de terre. Puis Apollonios, poète épique du IIIe av JC, fauteur des Argonautiques, une épopée en quatre chants, restée dans les mémoires…

Les secousses telluriques fréquentes, associés à la conquête de Rhodes par le romain Cassius en 42 avant l’ère chrétienne, sonneront le déclin de l’île. De nombreux conquérants s’y succéderont ensuite. Parmi eux, les Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean qui, de 1309 à 1522, gouverneront Rhodes, avant de céder la place pour quatre siècles aux Ottomans. Rhodes ne sera finalement rattachée à la Grèce qu’à la fin de la seconde guerre mondiale, après être passée en 1912 sous férule italienne.

Heurs et malheurs d’une île au cours des âges…

Chaos de pierre (photo par Axel)

Mais il en temps de payer son écot à la modernité, et pénétrer dans l’enceinte médiévale. Car c’est ce qui fait aussi la richesse de Lindos : la superposition visible des époques.

Aux pieds de la muraille, un imposant escalier mène au palais du chevalier gouverneur. Avant cela il nous faut admirer, sculptée à même la pierre, la proue d’une trirème daté de 170 av. JC, destinée à servir de support à une statue en bronze à la gloire d’une figure honorée par les habitants de Lindos.

Intérieur de la forteresse de Lindos (photo par Axel)

Ensuite, sans oublier de saluer au passage les anciennes inscriptions et les socles de figures effondrées, déambulant sans suivre une quelconque logique de visite, fuyant plutôt le contact avec les pèlerins grégarisés sous le franc soleil égéen, encore peu nombreux à cette heure matinale, on passera le long des créneaux de la forteresse médiévale, dans un chaos de pierre pour rejoindre les Propylées et l’allée romaine conduisant au temple d’Athéna.

Faucon crécerelette (Photo par Axel)

De là, entre ciel et mer, à flanc de falaise une fulgurance ; le tournoiement en cercles rapides de faucons crécerellettes. Arrimé au parapet, face à l’Acropole, on peut y suivre leur course vertigineuse, tandis qu’en contrebas éclatent les vagues sur les récifs. Ils glissent dans le bleu du ciel avec l’élégance indifférente de qui ne vit pas au travers du regard d’autrui. Au loin se dessine l’œil du port de Saint-Paul[4] – d’ailleurs, sauf l’ami des oiseaux, qui a conscience de leur présence ? Certainement pas ces gens pressés, juste avides d’un selfie avant de se ruer vers leur bus.

Temple d'Athéna (photo par Axel)

Situé au point le plus élevé du caillou de Lindos, le temple d’Athéna domine la proue de ce navire de pierre formé par l’Acropole. Long de 22 mètre et large de 8, les ruines visibles aujourd’hui sont celles du temple datant du Ive siècle av JC, restaurée au début du XXe siècle, pendant la période d’occupation italienne. L’histoire de ce temple nous est rapportée par les Chroniques de Lindos, attribuées à Timachidas[5] de Rhodes en 99 av. JC. Ce document se présente sous la forme d’une plaque gravée sur un bloc de marbre, qui se dressait dans le sanctuaire d’Athéna.

Vue du village depuis la proue du rocher de Lindos (photo par Axel)

 

A flanc de falaise (photo par Axel)

Colonnes de l'allée hellénistique (photo par Axel)

En contre bas, le village, d’un blanc immaculé tranche sur le paysage ocre piqué de végétations… Et l’on se prend à imaginer les perses, en 491 av. JC, commandés par Datis, un navarque de la flotte de Darius premier, assiéger Lindos où s’étaient réfugiés une bonne part de la population de Rhodes. Et tandis que l’assaillant attendait que les assiégés[6] viennent à manquer d’eau, Athéna apparut en rêve à un prêtre du temple, demandant de conserver courage, qu’elle allait demander de l’eau à son père, Zeus. Il répéta le rêve aux habitants, et lorsqu’ils vérifièrent leurs réserves ils virent qu’ils avaient de l’eau pour tenir cinq jours. Ils demandèrent aux Perses une trêve de cette durée, se disant que si Athéna ne les avaient pas aidés d’ici là ils se rendraient. Datis fut amusé. Mais le lendemain le ciel s’assombrit et des trombes d’eau se déversèrent sur les assiégés - et pas sur les troupes perses également assoiffées. Abasourdit Datis envoya ses plus beaux habits - sa cape, son collier, son brassard - en offrande à la déesse, ainsi qu’une tiare perse, une épée courte et un char de guerre.

Colonnades et escaliers de Lindos (photo par Axel)

Pierres gravées (photo par Axel)

En contrebas, vue de l'allée hellénistique (photo par Axel)

Redescendus par le grand escalier, l’humeur vagabonde on parcourt l’allée hellénistique, datant de 200 av. JC, longue de 87 mètres et qui, aux temps de sa splendeur, se trouvait semée de 42 colonnes doriennes. De là, il est loisible d’aller méditer, assis sur les pierres disposées en demi-cercle, contre le mur de la chapelle byzantine de Saint-Jean, au destin mortel des civilisations.

Chapelle byzantine de Lindos (photo par Axel)

Enfin, avec le soleil du zénith perché à la verticale au-dessus de nos têtes, nos pas iront se perdre au-delà de l’escalier post-hellénistique, dans le désordre des allées encombrées de vestiges et d’arbustes. Et laisser les accidents du paysage nous conter l’histoire d’un monde qui n’est plus ; entre un passé bel et bien révolu, ravivé par nos songeries, et ce présent immédiat, illustré par le ronflement d’un bateau venus déposer sa cargaison humaine aux pieds du rocher…

Arrivée du bateau à Lindos (photo par Axel)

Une fois hors de l’enceinte, puisque nous ne sommes pas pressés, l’envie se fera sentir de goûter la saveur d’une balade pédestre. Et nous voilà à tourner autour de la muraille et de son rocher comme autour d’une statue colossale, saisissant ici les stries régulières, à même la colline, du théâtre antique (Ive av. JC), et là la béance monstrueuse située sous le socle même du rocher. Bouche d’ombre sur laquelle papillonnent, réduits à de minuscules taches colorées, les badauds de Lindos. Alors, saisis de vertige on ira se perdre du côté des criques et de la mer, parmi les oiseaux, les plantes et les herbes folles.

Forteresse de Lindos (photo par Axel)

 

Vue de Lindos (photo par Axel)

 

Vue de Lindos (photo par Axel)

 

Proue du rocher de Lindos (photo par Axel)

 

Théâtre antique de Lindos (photo par Axel)

Enfin…

S’adonner face à la mer au ravissement de l’instant.

Pourquoi non ?


 

[1] Cité par Diogène Laërce.

[2] Nombre d’informations historiques sur Lindos reprises dans ce billet proviennent d’un petit guide de voyage intitulé Lindos, 30 siècles de beauté, (editions Marmatakis).

[3] Sommes venus en mai, hors période de vacances scolaire. Je n’ose imaginer la fréquentation du site en plein été.

[4] Paul de Tarse aurait sejourné à Lindos en 57, lors de son périple vers Ephèse.

[5] Voir le document https://kernos.revues.org/452

« Le décret précise les noms des deux auteurs de la Chronique, Tharsagoras, fils de Stratos, de Ladarma et Timachidas, fils d’Hage­sitimos, de Lindos, qui est le fils du proposant du décret » et la note de bas de page correspondante : « Timachidas est cité ailleurs, comme grammairien notamment, ce qui a poussé des auteurs modernes à le considérer comme seul véritable auteur de la « Chronique ». On peut se demander pourquoi le décret, proposé par le père de Timachidas, mentionnerait un autre auteur que son fils, s’il n’avait pas une part reconnue de responsabilité dans le texte. »

[6] Tiré de Omens and Oracles : Divination in Ancient Greece, p 296.


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2 réactions à cet article    


  • Robin Guilloux Robin Guilloux 24 février 2018 16:30

    Magnifique article, merci !



    • Jean Roque Jean Roque 25 février 2018 11:29

      La Grèce devrait vendre tout ça à Rothschild et Goldman-Sachs pour rembourser la dette, et Rhodes accueillir 100000 « réfugiés ».

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