« Le Soulier de Satin » Apothéose festive dédiée Eric Ruf à La Comédie Française
En choisissant de clôturer son mandat administratif à la tête du Français depuis dix ans par une nouvelle version de cette pièce emblématique de Paul Claudel réduite à six heures trente, le sociétaire honoraire Eric Ruf prolonge ainsi l’expérience du Théâtre à la table qu’il avait initiée durant le confinement Covid et dont lui-même avait alors dirigé la première des 4 journées constitutives de ce « Soulier » déjà dans la Salle Richelieu mais bien entendu, lors de cette période, vide de tout spectateur.
Cette fois-ci durant quatre mois, la jauge sera archi-pleine mais, en revanche, ce sont les décors qui seront absents pour cause d’ateliers artisanaux en réfection... à l’exception de toiles peintes dévolues et surtout en présence hyper réaliste de toute la machinerie Richelieu « brut de décoffrage » ainsi que de sa panoplie insondable en cintres et autres jeux de lumières mettant notamment en exergue les magnifiques costumes repensés par Christian Lacroix.
Bien que fort étroite pour y évoluer aisément à 360° ou s’y entrecroiser, une passerelle est dressée au beau milieu & juste au-dessus des fauteuils d’orchestre reliant la dernière de ses rangées jusqu’à la scène afin de rendre ce spectacle-Monde pleinement immersif tant du point de vue des comédiens que des spectateurs. Bon pied bon oeil sont ainsi sollicités en quête d’équilibre désordonné !
Rappelons que « Le Soulier de Satin » aura été créé ici même en Richelieu pour la toute première fois en 1943 par Jean-Louis Barrault durant l’occupation allemande tout en étant alors à la merci des multiples alertes et par conséquent d’annulations partielles ou totales avec ensuite 5 reprises jusqu’au Théâtre d’Orsay en 1980.
Plus tard, Antoine Vitez au Festival d’Avignon 1987 en fera une version intégrale de référence sur 12 heures particulièrement présente dans la mémoire collective (Ludmila Mikaël / Didier Sandre) de même qu’Olivier Py en 2003 repris à L’Odéon en 2009 sur 11 heures (Jeanne Balibar / Philippe Girard).
Et voici donc qu’en 2025 Eric Ruf, lui, aura décidé de fêter son départ (effectif en août) avec cette pièce dont l’ensemble des didascalies affirment que la spontanéité et même l’improvisation concernant la direction d’acteurs doivent contribuer à en assurer la crédibilité essentielle sous les auspices d’une joie partagée par tous car forcément non feinte.
Il s’agit donc d’une épopée flamboyante au Siècle d’or où les Conquistadors déambulent à travers l’Univers au gré de leurs prises de pouvoir sans doute davantage imaginaires que nécessairement profitables alors qu’en toile de fond, Claudel tisse des liens à travers les mailles de l’Amour sous toutes ses composantes afin de faire surgir hors des tribulations géopolitiques, les piments charnels, affectifs, mystiques et transcendants tentant de composer d’avec la Société humaine telle qu’elle pouvait apparaître à cette époque ainsi qu’à l’instar de toutes les autres et pourquoi pas la nôtre ?
Au sein d’un jeu délibérément interactif où la majorité des 18 comédiens jouent moult rôles télescopables pendant que les super women, Marina Hands (Doña Prouhèze), Suliane Brahim (Doña Sept-Epées) ou Florence Viala (Doña Isabel) fomentent des souhaits exhorbitants ou truculents auprès de charimatiques figures tels que Laurent Stocker (Don Balthazar), Baptiste Chabauty (Don Rodrigue) ou Christophe Montenez (Don Camille) et alors qu’en contrepartie des modérateurs diplomates Serge Bagdassarian (L’Annoncier), Didier Sandre (Don Pélage) ou Danièle Lebrun (Doña Honoria) font diversion fort judicieuse, reste néanmoins qu’au final Alain Lenglet, bien seul, lui en Père Jésuite expirera ligoté sur le pont d’une caravelle démâtée coulant sous elle tout le « Mal du Monde » bien qu’un Soulier de Satin eût pourtant d’emblée été confié à la Vierge avec pour mission de servir de gage universel... en assurant dûment une claudication punitive assignée.
En établissant un relais ô combien symbolique entre Ludmila Mikaël et sa fille Marina Hands pour le rôle de Prouhèze ainsi qu’en faisant passer Didier Sandre de celui de Rodrigue (amant de Prouhèze) à Pélage (mari de Prouhèze), Eric Ruf a installé délibérement une continuité puissante en émotions contenues sur près d’un demi-siècle que les ex-protagonistes amoureux assument avec tact désormais focalisé sur Baptiste Chabauty puisque, lui, est maintenant devenu le nouveau Rodrigue auquel ne parviendra donc la fameuse lettre de son amante passionnée que plus de 10 ans après qu’elle y eut imploré sa délivrance.
D’ailleurs, dans ce contexte, personne n’échappe à son destin même Claudel, qui par cet essai théâtral qu’il jugeait initialement injouable, aura tenté une approche autant autobiographique que rédemptrice pourvu que les voies célestes lui soient conciliantes pouvant confirmer ainsi l’intuition que « Le pire n’est pas toujours sûr ».
Alors que les comédiens déjà présents dans la salle et sur le plateau accueillent cordialement les spectateurs rejoignant en musique live leurs places réservées au fur et à mesure de leurs arrivées dans le lieu magique, certains d’entre eux peuvent aussi recevoir en cadeau de bienvenue des « fraises » (collerettes) dont ils seront invités à se parer lors de cérémonies officielles à venir par les deux annonciers, Florence Viala & Serge Bagdassarian, en charge du narratif explicatif tout au long des phases successives de ce spectacle fleuve.
Les huit heures et demie que durent l’ensemble de la représentation agrémentée de deux entractes d’un quart d’heure chacun ainsi que d’une pause repas d’une heure et demie sous le coup de 18h30 passent à la vitesse d’un songe éveillé où tous les sens seraient en émoi perpétuel sous l’égide néanmoins du renoncement au nom d’obligations éminemment spirituelles ou morales mais sans que jamais le spectateur n’ait l’opportunité ou simplement l’envie de se distancier d’un tel enjeu théâtral à la fois particulièrement empathique, tellement ludique & ô combien joyeux.
photos 1 à 6 © Jean-Louis Fernandez, coll. Comédie-Française
photos 7 à 9 © Theothea.com
LE SOULIER DE SATIN - **** Theothea.com - de Paul Claudel - mise en scène Eric Ruf - avec la troupe de La Comédie-Française Alain Lenglet, Florence Viala, Coraly Zahonero, Laurent Stocker, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Suliane Brahim (en alternance), Didier Sandre, Christophe Montenez, Marina Hands, Danièle Lebrun, Birane Ba, Sefa Yeboah, Baptiste Chabauty, Edith Proust (en alternance) & les membres de l’académie de la Comédie-Française Fanny Barthod, Rachel Collignon, Gabriel Draper, Aurélia Bonaque Ferrat ainsi que le musicien, les musiciennes Vincent Leterme, Merel Junge & Ingrid Schoenlaub - Comédie-Française Salle Richelieu
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON