Le « Tartuffe » orgasmique de Van Hove ravive les « Damnés » à La Comédie Française
A l’instar de Pasolini engendrant son « Théorème » christique se dressera désormais, en exergue de la pièce de Molière initialement interdite, Ivo Van Hove dont Le « Tartuffe » fait irruption dans une famille déphasée à l’image des « Damnés » de Visconti.
Ce « Tartuffe ou l’hypocrite », n’ayant donc été joué qu’une seule fois à la cour de Louis XIV, aura été reconstitué « génétiquement » par Georges Forestier selon trois actes auxquels Molière, sous la pression de la censure, en aura ajouté deux autres supplémentaires pour perpétuer les faveurs royales et laisser ainsi à la postérité la version traditionnelle et patrimoniale de son « Tartuffe ou l’imposteur ».
Assumant à rebours une véritable création, Ivo van Hove avait toute latitude à s’emparer de l’œuvre « originelle » mise à l’index pour la parfaire à sa mesure visionnaire et en extraire une projection névrotique du syndrome familial destiné néanmoins au final à se libérer pleinement de son carcan.
C’est histoire d’une fascination collective à laquelle tous les protagonistes souscrivent d’emblée plus ou moins dans une ascension vers la conscience nécessitant d’abandonner les illusions auxquelles Orgon (Denis Podalydès), lui, s’accroche désespérément jusqu’à l’instant fatidique.
C’est le récit de l’esprit critique devant remonter les paliers des certitudes acquises dans ses interrelations dévotiques trompées jusqu’à la méconnaissance de la réalité tangible.
Et pourtant, on ne peut pas dire que Tartuffe (Christophe Montenez) fasse beaucoup d’efforts pour abuser son monde, il aurait même tendance à feindre l’auto-dévalorisation en système de conquête.
Ivo van Hove s’appuie sur cet aplomb contradictoire en le généralisant à chacun des membres de cette famille pris dans un faisceau de rivalités imbriquées afin de susciter une sorte d’escalade vers l’enfer domestique.
L’ensemble du dispositif scénique aura à charge de baigner ce psychodrame sur un ring virtuel dans des lumières hystérisées, des torches enflammées, des flashs disjonctifs, des postures sarcastiques, des emportements démoniaques, des contorsions diaboliques, des transes ensorcelées…
Cependant toute cette agitation psychopathe semble mue par un mécanisme d’horlogerie rituel à la manière des procédures asiatiques codant les corps à corps sur tatami au rythme d’esprits délibérément disciplinés par les règles procédurales.
Chic et choc, tout s’entremêle sous dominante de l’âme noire faisant de ces fulgurances impulsives des êtres que la raison mystique pourrait maîtriser en dernière instance.
Cette lutte au sommet entre sérénité et dégénérescence est orchestrée par l’amour libidinal qui sera appelé à s’exprimer grâce à tous ses agents transmetteurs avec comme juge de paix la confiance et l’amitié portées en emblèmes intransgressibles.
Marina Hands (Elmire) et Christophe Montenez sont convoqués à des ébats torrides et sensuels pleinement stylisés et chorégraphiés dans l’extrême intensité des tensions épidermiques.
Dominique Blanc (Dorine) poussera l’outrecuidance à braver frontalement l’opinion du maître de maison pour oser lui faire retrouver raison.
Loïc Corbery (Cléante) s’évertuera sans cesse à tenter de suppléer au commandement de ce vaisseau en perdition.
Claude Mathieu (Mme Pernelle) mettra en jeu son pronostic vital en régentant son pouvoir matriarcal à l’aune d’une volonté absolutiste sans nuance.
Denis Podalydès sera l’empêcheur de tourner en rond affichant une extrême radicalité aboutissant à la perte effective de tous ses biens jusqu’à l’ultime preuve sans retour.
Le show est hollywoodien mais l’indicible est constamment sollicité pour scruter le mystère ambivalent des relations humaines en totale désorientation.
Au demeurant avec la musique irradiante d’Alexandre Desplat marquant toutes les inflexions des pulsions en cours, le démiurge Ivo van Hove réussit à fasciner de bout en bout les spectateurs tout en les contraignant à réfléchir à l’aide d’intertitres introduisant chaque étape mentale de l’enjeu sur le « pourquoi » de l’instant présent.
Ce va-et-vient dialectique entre soi « sous sécurité relative » et les autres « pris dans la tourmente » possède l’immense vertu d’incitation à donner du sens à ce que chaque observateur voit, entend, perçoit en temps réel du maelstrom ambiant tout en sachant intimement que la mise en scène magnétique d’Ivo van Hove ne fait, de toute évidence, que servir scrupuleusement l’analyse comportementaliste de Molière… au plus proche de la Lettre et de l’Esprit.
photos 1 à 5 © Jan Versweyveld
photo 6 © Theothea.com
TARTUFFE ou L'HYPOCRITE - **** Theothea.com - de Molière - mise en scène Ivo van Hove - avec Claude Mathieu, Denis Podalydès, Loïc Corbery, Christophe Montenez, Dominique Blanc, Julien Frison, Marina Hands et les comédiennes et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Vianney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Jouffroy, Emma Laristan - Comédie Française / Salle Richelieu
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