Le trépas de l’exception culturelle à la Française
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En se saisissant d’un des meilleurs ouvrages de synonymie, le constat fait figure d’ironie tragique : le vocable exception est accouplé à celui d’anomalie.
L’exception culturelle, ce joyau imaginé par le Général de Gaulle à la fin de la décennie 1950, faisait suite à un constat simple mais indubitable : les œuvres artistiques populaires, pour la plupart étrangères allaient mener à la déconfiture des créations françaises, principalement dans le domaine l’audiovisuel. Ainsi, en créant en 1959 un ministère dédié à la cause culturelle, le Président, épaulé par André Malraux, mettait en place un dispositif astucieux permettant aux succès de toutes natures de financer, par le reversement systématique d’une partie de leurs bénéfices, les créations cinématographiques et théâtrales plus confidentielles, mais surtout moins consensuelles.
Plus d’un demi-siècle plus tard, le constat est sans appel : la France est un haut lieu de production culturelle et n’a rien à envier à ses voisins Européens. Son rayonnement est tel qu’elle détient également le quasi-monopole des festivals dédiés au septième art, organisant subséquemment des festivals liés au court métrage -Clermont Ferrand-, aux films d’animation à Annecy, aux films policiers –Beaune- et évidemment aux longs métrages, à Cannes. Si la France eut choisi la culture en guise d’étendard il fut un temps, ce fanion semble désormais bien terni à l’heure où, à titre d’exemple, 81% des Français déclaraient ne pas être allé au théâtre durant l’année 2011 (Statistique 2011 de l’INJEP, étude réalisée sous la dir. de Chantal Dahan).
Dès lors, une triste contradiction s’amorce au pays de la noble lettre. D’une part, les productions culturelles confidentielles abondent, par exemple dans le cinéma où les œuvres discrètes ont droit de cité grâce au système de redistribution. Mais d’autre part, elles ne parviennent pas ou plus à se faire une place sous un soleil qui s’américanise. Ainsi, face au dictat d’une culture monochrome et aux horizons croissement outre-Atlantique, le coquelet ne peut que s’égosiller jusqu’à en perdre haleine.
La culture, en tant que monument, ne semble paradoxalement pas avoir été lésinée par les appareils successifs de la Cinquième. Ainsi, chaque président eut aimé à avoir son nom accolé à celui d’un projet pharaonique, du musée Pompidou au révolutionnaire Quai Branly cher au président zytologue en passant par le Géant du Marais, défendu corps et âme par Mitterrand. Toutefois, cette culture d’apparat semble aujourd’hui s’effacer et laisser un boulevard au tout-américain. La télévision et le dictat impétueux de l’audimat, seraient dès lors le principal fermant de cette métamorphose de la chose culturelle en France.
La globalisation, l’accroissement des flux, ne seraient que bien facile à incriminer et ne les sont que déjà trop par les mouvements aux idées aussi flétries que le sens commun de leurs leaders. Cette démultiplication des échanges aurait toutefois pu rendre plus accessible une culture transnationale, permettre la migration multilatérale des œuvres de toute nature. Elle s’est, contre toute attente, recentrée, jusqu’à être simplifiée, réduite, à un monopole Américain autour des productions, audiovisuelles, pour la plupart, les plus primitives. Et la télévision a emboité le pas du cinéma, ne proposant qu’un mélange grossier de cette soupe grasse et morne que constituent les sitcoms recyclés abondamment et à moindre frais par les chaînes hertziennes.
Pourtant, Fleur Pellerin n’avait pas hésité à préciser dès son entrée en fonction, en août 2014, que l’Etat soutiendrait la création culturelle amateur, donnerait un écho certain aux productions plus confidentielles pour leur permettre d’émerger dans un monde menacé par l’uniformisation. Elle avait alors lancé sur les ondes de France Culture « Nous ne pouvons pas nous permettre de passer à côté du créateur de demain, qui est le patrimoine d'après-demain ». Toujours est-il qu’aujourd’hui, à défaut du denier étatique, c’est bien le secteur privé qui a choisi, bon an mal an, de faire vivre la création culturelle.
Ainsi, si Bernard Arnault s’est offert un fastueux et ostentatoire temple dédié à l’art à l’orée bois de Boulogne, c’est bien parce que les magnats et autres industriels ont désormais un réel rôle à jouer pour suppléer le manque d’investissement public dans la création artistique, avec le risque, dès lors de monétiser davantage un univers qui devrait pourtant s’affranchir des règles de la sacro-sainte rentabilité.
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