Les 10 Commandements de Diam’s : quand un intello de Sciences Po décortique « Ma France à moi »
Dans le monde médiatique, on estime qu’une personnalité accède au degré supérieur de l’influence quand... elle a sa marionnette aux Guignols ! Dans le monde artistique, une œuvre laisse son empreinte quand des intellectuels a priori étrangers à l’univers qu’elle représente en analysent la portée sociologique, philosophique ou politique. A ce compte-là, Diam’s serait-elle en passe de devenir un phénomène universitaire ?
En effet, dans son dernier ouvrage au titre fort accrocheur, Traité à l’usage de mes potes de droite qui ont du mal à kiffer la France de Diam’s, Matthieu Grimpret procède au décorticage intellectuel des paroles de la chanson-phare de la rappeuse engagée, Ma France à moi (album Dans ma bulle, EMI, 2006). Chercheur à Sciences Po, où il travaille sur une thèse de doctorat consacrée à la théologie politique américaine, professeur d’histoire et essayiste, Matthieu Grimpret estime que les banlieues sont le foyer d’un « élan vital » à encourager - et parfois aussi à réguler, pour éviter que leur énergie soit mise au service du désordre et de la destruction. Selon lui, les jeunes de banlieue sont en quelque sorte l’avenir de la nation, ne serait-ce que d’un point de vue quantitatif - la démographie est « de leur côté » - mais surtout d’un point de vue qualitatif : ils font preuve d’une créativité extraordinaire dans les domaines artistique, économique, social et culturel. Matthieu Grimpret écrit ainsi : « les banlieues, contrairement à l’image qu’en donnent certains médias, résistent mieux que d’autres à la version moderne du "divertissement pascalien", l’assistanat étatiste (...) Ce qui est sauvage est fragile, mais aussi prometteur, gorgé d’une vie à l’état brut. »
Diam’s, dans tout cela ? Elle est en quelque sorte l’emblème de cette « deuxième France » qui refuse d’être assimilée à la « France profonde », c’est-à-dire ce que Philippe Sollers avait appelée la « France moisie » dans un article du Monde, en 1999, qui avait provoqué une vive controverse. Les chansons de Diam’s, et en particulier Ma France à moi, sont porteuses de certaines valeurs que Matthieu Grimpret compare, de manière osée, à celles de la droite libérale, son milieu d’origine : « Diam’s serait-elle une néo-conservatrice ? (...) Le néo-conservatisme n’est ni une idéologie ni une conspiration, mais une conviction patiemment forgée, reposant sur la croyance en un ordre transcendant, le refus de l’égalitarisme, la certitude que la liberté et la propriété sont étroitement liées, la méfiance envers les systèmes de pensée abstraits, l’attachement aux enseignements du passé et du bon sens ». Surprise ! Il repère de nombreuses accointances entre son propre univers politico-intellectuel et celui de la rappeuse - il va même jusqu’à établir les 10 Commandements de Diam’s, illustrés par de nombreux extraits de la chanteuse (dont nous ne reprenons ici qu’une petite partie, le lecteur se reportera au livre pour plus de développements) :
1. Fidélité en amour, de toi et d’autrui, tu exigeras : "Jeune demoiselle recherche un mec fidèle" (Jeune demoiselle)
2. Pour la stabilité de ta famille, tu te battras : "Y a trop d’enfants du divorce, trop de parents qui s’amochent, et se menacent devant les gosses" (Dans ma bulle)
3. Le « tout-sexuel », tu refuseras : "Dans ma bulle, y a trop de filles malsaines" (Dans ma bulle) "On va pas s’en sortir si à 7 ans, elles portent le string" (Cause à effet)
4. Une mère exemplaire, tu deviendras : "On rêve toutes d’être bonnes mères, on rêve d’être femmes, on rêve d’être braves sur la bonne voie" (Big Up)
5. Le déracinement, tu dénonceras : "Merde, je me perds, métissée je reste le cul entre deux chaises" (TS)
6. L’amour du travail, tu cultiveras : "Mon rap, c’est des tonnes et des tonnes d’encre noire" (Petite banlieusarde)
7. Dieu, tu adoreras : "Certains matins, y a tout qui te dégoûte, tu demandes de l’aide à Dieu, et t’attends que ça aille mieux" (Car tu portes mon nom)
8. Le péché, tu craindras : "Je fais du rap pour me libérer du mal" (Petite banlieusarde)
9. Un homme solide, tu chercheras : "Ton papa m’attend quelque part (...) Je l’imagine père, je l’imagine mari, je l’imagine fier, je l’imagine fragile" (Car tu portes mon nom)
10. De l’argent gagné honnêtement, tu n’auras pas honte : "J’ai tort d’être forte, en France on n’adore que les nuls" (Me revoilà)
Bref, un petit essai inclassable - avec les raccourcis qu’impliquent le refus du politiquement correct et la tendance à tirer la couverture vers soi, pour étayer la thèse défendue - qui fait du bien en ces temps de morosité. Avec un regard bienveillant sur les jeunes de banlieue (qu’il connaît bien grâce à son expérience de professeur-éducateur à Bondy, Sarcelles et Toulon), et sur leur star Diam’s, Matthieu Grimpret nous dit que, non, la France n’est pas condamnée à la guerre des communautés. Au contraire, les Français doivent considérer la diversité de leurs origines et de leurs cultures comme une chance pour le siècle qui s’ouvre. Tel est l’un des messages les plus saillants de ce Traité un peu étrange, à lire sans tarder !
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