Les bas résilles de l’édition : la « 4eme de couv. »
Même si parfois, après lecture du livre, « la féerie sera pour une autre fois », la quatrième de couverture a pour fonction d’appâter le chaland. Comme la photo de cet article, qui a fait que vous l’avez « cliqué », alors que je sais que vous allez bien vite le refermer quand vous aurez compris son sujet. Ce sont les bas résilles de l’éditeur (parfois de l’auteur) pour que le badaud arpentant la librairie passe à l’acte, achète et… éventuellement lise. C’est dire son importance.
Petit voyage dans les dessous chics de ce racolage passif des librairies.

Qu’est ce qu’une « 4 eme de couv ? » ?
Y figure parfois la photo de l’auteur et un CV résumé (rare dans les romans, plus fréquent dans les « best seller » de gare que sont les livres de reportage, de polémique, d’enquête, les confessions de stars ou les biographies).
Mais principalement, il s’agit de décider le lecteur hésitant, qui a été d’abord intrigué par le titre et qui, en retournant le livre, veut en savoir plus avant de se décider. Ou bien qui a eu l’œil attiré par la renommée de l’auteur (Djian, Besson, Moix, Echenoz etc.) et qui veut juste vérifier que le contenu lui plait (ou savoir si l’auteur s’est renouvelé).
On y trouvera donc soit un « résumé » (souvent laborieux) par l’éditeur, parfois une simple extrait de l’ouvrage sensé être représentatif du livre, soit un texte complètement inédit et dédié, bâti pour « faire acheter », quitte à ce qu’il y ait tromperie face au contenu réel de l’ouvrage. C’est en ce sens qu’on peut parfois – pas toujours, soyons honnête - parler de racolage.
C’est alors un festival de « révélations intimes et inédites », de « voyage au bout de la douleur », une avalanche de « livres choc », de « vérités cachées enfin révélées par l’auteur » etc., etc.
L’exercice est cependant plus délicat pour les livres historiques, les essais politiques ou philosophiques. Il est difficile de rendre « sexy » un essai sur l’œuvre d’Heidegger, un roman historique ou une étude comparée des Mérovingiens versus les Carolingiens…
De même, il est difficile d’être subtil en dix lignes pour rendre compte d’un roman, sauf à citer carrément un passage entre guillemets, solution de facilité souvent choisie par les éditeurs sérieux.
Mais le jeu est en revanche souvent savoureux avec les polars, qui se prêtent à la brièveté de l’exercice. Hormis les « grands maîtres » reconnus, les polars s’achètent souvent au hasard et dans l’urgence d’une gare ou d’un aéroport. Il faut alors cogner, car il faut aller vite, décider rapidement l’hésitant. On peut même parfois se régaler rien qu’en lisant les 4eme de couv. au rayon polar d’une FNAC, sans en acheter un seul…
(voir ci-dessous les 4 eme de couv. de Jean-Patrick Manchette, qu’il écrivait lui-même)
Qui l’écrit ?
En général, c’est l’éditeur, ou plutôt les « nègres » anonymes de l’éditeur (1). Vu qu’il s’agit essentiellement de racoler et de faire acheter, l’éditeur aime bien s’en charger, ne faisant qu’une confiance limitée à l’auteur. Lequel est parfois, en effet, réticent à « vendre » son œuvre, ou incapable de le faire lui-même.
Dans la plupart des cas, bien que juridiquement la 4 eme de couverture ne fasse pas partie de l’œuvre en tant que telle, ni incluse dans le « bon à tirer » (tel que déposé à la SGDL et sujet à droits d’auteurs), l’éditeur soumet tout de même ce texte à l’auteur, mais il est rare qu’il puisse si opposer, sauf à être un gros vendeur très connu, « une locomotive » des librairies.
Le plus souvent, l’éditeur explique « qu’il connaît les bonnes recettes », et qu’il est de l’intérêt bien compris des deux parties que l’ouvrage ait le plus de succès, en dehors des autres facteurs que sont l’appui – ou non- de la critique, les espaces publicitaires, l’emplacement du dépôt dans les grandes surfaces, etc.
Mais il arrive que ce soit l’auteur qui s’en charge, ou qui exige de le faire (lorsqu’il est assez connu pour l’imposer). C’est un exercice difficile, qu’en général ne réussissent que ceux dont le style est naturellement porté sur les phrases courtes, la plume chirurgicale, les jeux de mots ou les formules chocs. Ou du moins ceux qui sont capables de se plier à l’exercice et de le réussir, même si le style de l’ouvrage lui-même est différent.
A quoi ça sert ?
Il y a des fins louables et d’autres moins.
Au titre des buts avoués, il y a le souci de donner une tonalité générale de l’ouvrage au lecteur indécis, avant qu’il ne se décide. Le renseigner par un résumé, la citation d’un passage, une brève présentation de l’auteur, ou encore un extrait d’une critique littéraire élogieuse.
Pour le reste, il est clair qu’il s’agit souvent d’une publicité un peu racoleuse, où toutes les ficelles sont bonnes pour affubler de bas résilles ou à coutures de biens vilaines jambes aux varices plus ou moins apparentes. Il y a parfois de désagréables similitudes avec les cris de la poissonnière vantant la fraîcheur de son étal sous les effluves malodorantes des chaleurs de juillet.
Par ailleurs, si cette figure imposée persiste encore, elle masque mal l’ampleur du problème : on lit de moins en moins de titres de littérature générale (romans, essais). Le nombre de titres augmente chaque année, mais leur tirage baisse, et le total des livres vendus dans ce secteur d’effondre. Dans les étals des libraires, un nouvel ouvrage reste à peine deux semaines, et on doit le signaler en l’affublant de bandeaux fluorescents signalant « le dernier Djian », comme on signalait jadis le Goncourt ou le Renaudot.
Les éditeurs ne survivent souvent qu’avec les biographies, les livres de photos, animaliers ou de contes pour enfants. Voire la BD.
Sans même parler de la menace du livre numérique (pour l’instant limité au geek « branchouille », étudiants urbains etc.), il est patent que l’acheteur se détermine de plus en plus, dans l’achat d’un livre, par d’autres vecteurs que la 4 eme de couverture.
Par le bouche à oreille d’amis sûrs, évidement, les critiques littéraires, mais aussi par des mailing commerciaux agressifs, communs à tous types de produits et qui encombrent nos boites mails.
Peut être les quatrièmes de couverture ne seront-elles bientôt plus qu’une curiosité qu’on regardera avec des yeux attendris, comme jadis la publicité « Du beau, du bon, Dubonnet » peinte dans les tunnels du métro.
Quelques pépites :
« Le malaise des cadres, c’est pas rien. Et ça vous fait faire de drôles de choses. Vous avez femme, enfants, bagnole, veau, vache, cochon, télé, et voilà que vous vous sauvez droit devant vous. Tout ça parce que deux rigolos essaient de vous trouer à coups de flingue votre bel estomac de chef. Et vous savez même pas pourquoi. Un jour, camarade, faudra quand même comprendre. »
(Jean-Patrick Manchette, « le petit bleu de la côte ouest », Carré Noir)
« Martin Terrier était pauvre, esseulé, bête et méchant, mais pour changer tout ça, il avait un plan de vie beau comme une ligne droite. Après avoir pratiqué dix ans le métier d’assassin, fait sa pelote et appris les bonnes manières, il allait rentrer au pays retrouver sa promise et faire des ronds dans l’eau…Mais pour se baigner deux fois dans l’eau du même fleuve, il faut que beaucoup de sang passe sous les ponts. »
(Jean-Patrick Manchette, « La position du tireur couché », Série Noire, Gallimard)
« Une vraie tête à claques, ce Butron. Méchant, prétentieux, naïf, paranoïaque et sadique sur les bords, il voulait tout et tout de suite et se prenait pour un pur. Il se mêla de politique et de complots, pour la rigolade, l’argent, la gloire, et N’Gustro, un leader du Tiers Monde, paya les pots cassés. Butron, floué par les Puissants, les Barbouzes, les Politicards, n’avait aucune chance de s’en tirer.
Il ne s’en tira pas. »
(Jean-Patrick Manchette, « L’affaire N’Gustro », Carré Noir)
« Après avoir lu ce livre, mon éditeur, ma sœur et ma femme me demandent pourquoi l’aubergiste Gilberte a la tête enfermée dans un sac plastique, au moment où son corps pendu est découvert dans le cellier. Je réponds que je n’en sais rien. Peut être s’agit-il d’un ultime geste de coquetterie assez compréhensible de la part d’une femme qu’on devine accorte mais pudique et qui aurait jugé inconvenant de montrer une langue pendante au premier découvreur de cadavre venu ?
Mais peut être pas.
C’est un mystère.
Il faut parfois laisser traîner des mystères à la sortie des livres.
Aux derniers chants de l’Odyssée, qui célèbre le retour à Ithaque, l’auteur n’évite-t-il pas, et avec quelle délicatesse, de s’étendre sur la surprise d’Ulysse décelant une odeur d’after-shave au fond du lit conjugal enfin retrouvé ? Le lecteur aura compris que ce livre est en réalité un humble mais profond hommage rendu à Homère et à sa cécité.
Signé : l’Auteur ».
(Pierre Desproges, 4 eme de couv. de « Des femmes qui tombent », chez Points.)
« J’ai épousé un lance-flammes. Dans la vitesse, l’assassine ne pensait à rien. La radio diffusait un sketch. Je suis le seul homme sur la terre à avoir perdu ses enfants à cause de Fernand Raynaud. L’assassine riait. Dans une minute, trente huit secondes et douze centièmes, femme, tu vas donner la mort. En attendant tu souris, le paysage défile, allure, bitume. Freine, putain, freine. Tu n’as pas freiné. Alors tout a tourné, tout a brûlé. Sur la banquette arrière, deux bambins jouaient au jeu des sept familles. Ils avaient du jeu. Je n’ai plus de famille.
Et toi tu es là. Avec tes cheveux, avec tes lèvres. Tu es là avec tes yeux qui regardent. Tu n’es pas morte et tu te nourris pour rester vivante. Car il ne te suffit pas de ne pas être partie avec eux : tu fais tout pour rester. Tu t’accroches à la vie. Mais tu ne mérites plus la terre, ses fruits, son vin ».
(Yann Moix, « Les cimetières sont des champs de fleurs », Grasset)
(1) L’auteur de cet article éprouve une sympathie particulière pour « les nègres de l’édition », pour avoir fait partie de cette confrérie de l’ombre il y a une quinzaine d’années, pour tenter de payer son loyer.

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