« Les Belles Années du Milieu 1940-1944 » - Retour sur un aspect méconnu de l’occupation allemande
En janvier 2013, les éditions Michalon ont réédité le livre de Grégory Auda, Les Belles années du "Milieu" 1940-1944 - Le grand banditisme dans la machine répressive allemande. Ce livre revient sur les implications du grand banditisme français dans la répression allemande, au travers de l'histoire du tristement célèbre Henri Lafont et de sa bande de la "Carlingue", appelée aussi la "Gestapo française de la rue Lauriston". Cette bande n'était que la plus influente des groupes de criminels qui furent insérés plus ou moins officiellement dans l'appareil répressif allemand, que ce soient au travers des services secrets de la Wehrmacht, des Waffen-SS, ou des services de police divers, variés et redondants qu'on amalgame généralement sous le nom de Gestapo.
Pour ce travail jusqu'ici presque unique, Grégory Auda a eu accès à toutes les sources sur le sujet (à l'exception notable des archives des services secrets de la France Libre) et met en lumière quatre sujets méconnus du grand public : outre l'association du grand bandistisme à la répression nazie, il détaille la vaste organisation de pillage et d'appauvrissement systématique des pays occupés, en l'occurence la France, dans laquelle ces bandes criminelles jouent un rôle de premier plan. Le livre aborde aussi le rôle de ces bandes criminels dans la refonte du grand banditisme français jusque dans les années 1970. Il explique aussi en détail la (non-)organisation des divers services allemands de l'occupation, dont la structure redondante est une composante peu connue en France de la volonté de contrôle totalitaire du régime national-socialiste.
Pillage et répression
Quand l'Allemagne rentre en guerre en 1939, elle ne dispose pas d'un trésor suffisant pour financer une guerre sur le long terme. L'or du plus riche pays du monde (la France) lui échappe en 1940, et il lui faut donc trouver des ressources pour financer notamment ses achats d'acier et d'armes par la Suisse, et pour pourvoir à l'entretien de sa colossale machine de guerre.
Comme dans tous les pays occupés par le Reich, la France est, dès la signature de l'armistice du 22 juin 1940, insérée dans le vaste appareil qui doit ramer toutes les ressources disponibles (or, devises, tissus, cuir, ferraille et métaux divers, nourriture, etc) vers l'Allemagne. Le système s'organise notamment autour de Bureaux d'achats centralisés autour du Devisenschutzkommando. Ces bureaux d'achats achètent à très bon prix (d'autant plus que les prix du commerce sont fixes) tout ce qu'on leur apporte. Avec quel argent ? Celui de l'Allemagne (l'armistice a fixé le cours du Franc à 20 Reichsmarks, alors qu'il était à 17 avant-guerre), et avec celui de la France, les biens des Juifs et des réfugiés saisis, et les énormes indemnités fixés à Compiègne : 400 millions de Francs par jour, que les négotiateurs français mandatés par Weygand et Pétain ont vainement tenté de refuser.
Pour collecter au moyen de cette vaste manne tout ce qui peut aider la poursuite de la guerre et appauvrir la France, le régime nazi, au travers des services de la Wehrmacht (les militaires allemands ont tenté dans un premier temps d'écarter au maximum les SS et la Gestapo pour éviter que les atrocités qu'ils ont déjà vu à l'Est ne provoque un soutien massif à la résistance naissante), va s'appuyer sur les criminels et opportunistes de tout poils prêts à dénoncer, à piller, à arrêter et à tuer en zone occupée et en zone libre.
De la criminalité officielle à la répression active et le destin des criminels à la Libération
Dès 1940 se succèdent à Paris cambriolages officiels, arnaques aux "faux policiers", libération de criminels, etc. La Police française ne pourra que les observer et sera parfois victime de représailles sanglantes. D'abord largement informelle, l'organisation de ces auxiliaires des basses oeuvres dont l'enrichissement est sidérant va progressivement s'insérer dans l'appareil répressif nazi. C'est ce processus qui forme le coeur de l'ouvrage, toujours au travers de l'histoire de la "Gestapo française de la rue Lauriston", la plus sinistre et la plus influente de ces bandes.
Petit à petit, ces bandits dont les méthodes sont souvent décrites comme pire que celles de la Gestapo allemande vont se révéler indispensables par leurs contacts, leur audace et leur brutalité, à la répression allemande contre une résistance de plus en plus active.
Grégory Auda décrit notamment les activités de la Brigade Nord Africaine, unité auxiliaire de la Waffen-SS formée par Henri Lafont avec des repris de justice et des criminels maghrébins, (à ne pas confondre avec les unités marocaines de la France Libre qui vinrent à bout des troupes de montagnes allemandes réputées invincibles au Mont Cassin), qui commit de nombreux crimes dans la région de Limoges.
Le dernier aspect du livre concerne le destin des principaux chefs de ces organisations à la libération, et de leur influence dans la formation des filières française de criminalité, notamment leurs associations avec les filières corses, et la célèbre French connection.
Conclusion
Cette réédition arrive dans un contexte de redécouverte de la période étrangement méconnue de la vie de la France sous l'occupation allemande, et malgré le style un peu trop universitaire ce livre extrêmement documenté agrémenté de quelques pages de photos est véritablement passionant pour ceux qui s'intéressent aux "pages sombres de notre histoire" pour reprendre la formule si populaire chez les journalistes actuellement.
Grégory Auda, Les Belles années du « Milieu » 1940-1944, Michalon 2013, 256 pages - 21 €
ISBN : 978 2 84186 678 6
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