Les birettes aux oubliettes
L’indifférence venue d’en haut.
Tout ne fait pas culture dans notre belle région et, paradoxalement, ce qui touche à l’âme même du Berry, de nos campagnes profondes ou de la Sologne est passé sous silence par des décideurs qui sont gens des villes et de la modernité, du copinage et des paillettes. Pourtant, rien n’est plus culturel et traditionnel que la relation profonde et secrète qui a mêlé intimement notre territoire et la sorcellerie. Rien n’est plus mystérieux, obscur et parfois ténébreux ; c’est sans doute ce qui les dérange.
Le musée de la sorcellerie, installé entre Blancafort et Concressaut va fermer définitivement ses portes à la fin du mois d’août après avoir reçu plus de 900 000 visiteurs, tous gens sans doute de mauvais goût. Après 35 années d’existence et un beau succès public (35 000 visiteurs par an actuellement), il ne trouvera pas « repreneur » sauf miracle et certainement par manque de coup de pouce de la part des institutionnels. N’ayant jamais reçu de subventions, le musée n’a rien à espérer d’une classe politique locale et régionale incapable de discerner l’authentique du factice. Il est préférable d’être un héritier en mal d’occupations, une célébrité sur le déclin ou une association illusoire pour recevoir des subsides plutôt qu’un quidam aux origines lointaines ne disposant pas d’un carnet d’adresse.
Comment faire comprendre à nos cravatés ou « encorsagées » que le monde des birettes, des ch’teux de sorts, des rebouteux, des loups-garous et des sorciers est notre héritage culturel ? Faudra-t-il faire appel à un envoûteur vaudou (ça, ils connaissent, c’est exotique) pour qu’ils ouvrent enfin les yeux ? La disparition du musée de la sorcellerie ne va pas changer le cours des choses, c’est une évidence, le monde va à sa perte et n’a pas besoin d’un petit maléfice ou d’une potion magique pour accélérer le mouvement ; nos responsables s’en chargent eux-mêmes.
Nonobstant, les brouets, les élixirs, les ensorcellements, les bûchers, les procès de l’inquisition sont notre substrat culturel tout en étant passés largement dans la représentation du Berry, terre de mystères et de légendes. Il y a une véritable démarche patrimoniale qui a été menée par monsieur Van Poucke et son épouse Brigitte durant toute une vie et ce travail, pour imparfait et incomplet qu'il soit, va disparaître sous le jugement scandaleux des dieux de la subvention de complaisance.
Que les flammes de l’enfer soient promises à tous ceux qui commettent cette absurdité ! Nous ne pouvons prétendre être une région de l’Histoire avec nos châteaux, la Loire, ses traditions et ses grands écrivains en passant aux oubliettes la face noire, cachée, mystérieuse de nos campagnes, nos places des martyrs et les oubliettes de nos demeures royales. Si les alchimistes étaient capables de transformer le plomb en or, nos chers responsables sont parfaitement capables d’inverser le processus.
Ce musée restitue admirablement le contexte de la sorcellerie par des saynètes éloquentes, une iconographie adaptée et des documents complémentaires de qualité. Il y a un va-et-vient intéressant entre la représentation fantasmagorique et le réel. Ce n’est pas un musée attrape-couillon : il y a là une véritable démarche historique et contextuelle qui ne doit pas disparaître. Il est à la fois accessible aux enfants avec ses personnages et aux plus curieux avec des évocations précises de grands procès.
Il est clair que ce qui est évoqué ne met pas en lumière le rôle des pouvoirs quels qu'ils fussent. L’Eglise et l’Etat ont toujours su accuser de la rage ceux qui dérangeaient leur petit commerce, leurs privilèges et leur fonction. Les sorcières ont payé de leur vie dans des souffrances atroces leur différence, leur manière curieuse d’envisager la médecine, le monde ou bien la religion. Rien n’est nouveau sous le soleil et Monsieur Van Poucke paie, lui aussi son indépendance vis-à-vis des coteries locales ainsi que ses origines toulonnaises.
Il vous reste un mois pour visiter ce musée, pour signer la pétition afin de sauver cette belle collection et cette scénographie bien pensée. Ensuite, il sera toujours temps de compléter l’ensemble avec les conteurs locaux, des récits de Jean Louis Boncœur dont l’absence d’enregistrement m’a quelque peu chagriné. Il manque en effet cette dimension imaginaire mais cela peut être rattrapé si l’on parvient à sauver le musée.
J’ai retrouvé bon nombre de mes personnages durant cette visite : la sorcière Irène, le balai de bouleau, le guérisseur, mon ami Merlin, le crapaud et la gentille fée, le dragon et le diable. Je ne souhaite pas que cet univers disparaisse. Il a tout autant sa place que nos chers bateaux qui, eux, sont aidés sans discernement. Houlippe pourrait bien ressurgir des flots pour venir chatouiller les arpions de ceux qui ne veulent pas sauver le musée de la sorcellerie. Je vais lui en toucher deux mots, foi de Bonimenteur !
Scandaleusement leur.
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