Les Bourgeoises de Sylvie Ohayon
Aux alentours du printemps 2011, Sylvie Ohayon recevait le prix de la Closerie des Lilas pour son génial Papa Was Not a Rolling Stone. Elle nous balançait à bout portant sa cuisante enfance à La Courneuve, nous faisait bouillir la marmite de Margot la Mère-Grand, étuver les faiblesses de sa mère, Micheline. Elle hachait menu les parties pas très nobles de son père enfui et de son enfoiré de beau-père, des hommes n'ayant rien fait pour mériter une fille si méritante. Elle nous laissait hors d'haleine à l'aube de sa réussite et de son récent bonheur conjugal et filait à Brooklyn nous pétrir une autre de ses spécialités au miel poivré. Voici Les Bourgeoises, coulées d'une plume butineuse qui darde sur les inutiles guèpes du XVIe (arrondissement) un venin siglé Chanel. Et ce n'est pas piqué des hannetons.

D'abord, il y a l'écriture, puissante, jaillissante, émaillée de beaux gros mots, de verlan, de saillies judéeo-tunisiennes, de tchatche façon Sentier, de dialecte des Cités,que Au Secours ! Heureusement ta mère, elle est plus là pour entendre des choses pareilles ! Une écriture qui vous happe comme un syphon, vous éberlue comme un typhon, vous étreint comme un python, vous berce comme un violon... Une écriture qui vous emballe si bien qu'on fait Paris-Marseille en TGV jusqu'à ce que le chef de gare hurle : « Tout le monde descend ! » et qu'on se retrouve tout bête sur le quai sans plus rien à lire.
Margot disait
Et puis, il y a l'histoire, édifiante, d'une gamine de la Courneuve qui aimait tant les belles lettres que l'administration de son département lui a donné une bourse pour faire Sorbonne. D'une jeune fille qui cite Maupassant et aimait tant les belles grolles qu'elle rachetait des Weston volées pour faire bonne impression à la rentrée des classes, d'une personne néanmoins férue de principes, car sa grand-mère, Margot, lui disait « couche pas le premier soir ça fait pute ».
A nous deux, Paris
Et enfin, il y a les cibles, les créatures en majesté sur la couverture du livre : les bourgeoises. Sylvie Ohayon enchaîne les portraits de cette espèce très particulière, dont elle a rejoint les rangs volontairement, se postant dans la marge, en observatrice,
Il y a les filles de divorcés, beaucoup, les nymphos assoiffées d'amour et de sacs Hermès. Les étranges ectoplasmes qui hantent les hôtels particuliers de Neuilly-Auteuil-Passy, des speciwomen qui font Paris-Deauville-New York en première business, il y a les filles de, les femmes de, des mères emperlousées qui font fi de la morale et s'adonnent aux amours ancillaires avec des déménageurs bretons. Il y a celles qui la veulent, elle, Sylvie dite Lili et contre qui elle doit batailler : « Je lui avais dit (...à Lisa ndlr), pour dissiper tout malentendu, si tu essayes de me bouffer la chatte, je te casse les dents. » C'est qu'elle est méfiante, Lili et, la preuve c'est que dans cette ville menaçante (Paris), elle ne maîtrise pas tout le vocabulaire : « Un soir, Louise m'a demandé de l'accompagner à un « pince-fesses ». Je me dis, tiens, on se connaît depuis quelques jours et déjà, elle m'invite à une partouze. Je pense : « Ah les bourges.... » et prétexte un exposé à rendre le lendemain dudit jour pour décliner. Il y a les vernissages (du bois ?), les rallyes (automobiles ?), les garden parties (à la tondeuse ?). Pour moi, ce sont des activités manuelles, tout au plus des sports extrêmes. Je ne demande pas, alors, je ne sais pas, je mets du temps à comprendre leur langue. »
Plus bourge, tu meurs
Mais elle ne se laisse pas rebuter, Lili, car sa grand-mère lui a dit : « Tu sais que tu as du courage le jour où ta peur ne t'empêche pas d'avancer. » Alors Lili-Sylvie décide d'avancer. Elle se trouve une place dans la pub, gagne un fric fou, claque tout en Chanel et en Louboutin, s'achète un loft, se marie, fait des petits, divorce car Mickaël la trompe, le dégueulasse, bref fait tout comme une bourgeoise à la différence qu'elle sait qu'elle risque d'en devenir une pour de vrai. Alors, elle revient se fourrer comme une datte sur le sein de sa grand-mère avec qui elle entretient une relation fusionnelle à rendre jalouse sa cousine Sarah.
Le courage d'un homme
Les Marie-Adeline, les Laetitia, les Anne-Laure, les Gwendoline avec des noms qui prennent un petit « de » comme dans « pomme de terre », Lili les débusque, les démasque, les déloge de leur pré carré, se boucheronne, se cartiérise, se chaumette, boit leur eau chez Colette, leur occupe carrément le territoire, puis d'un coup d'aile, elle s'exite à Brooklyn, se ferait un New-York La Courneuve en Concorde si ça existait encore. Mais sait se démarquer car elle a sa ligne de vie : « Je pensais que, si je me comportais bien dans ma jeunesse, j'aurais une vieillesse agréable. Je pensais qu'il y avait un prix à payer pour être quelqu'un de bien. Parce que Margot (sa grand-mère ndlr) avait mis ces mots dans mon biberon : '' La vie, elle te rend toujours ce qu'elle te doit. '' Je voulais conquérir ma dignité. En vieillissant, je me suis aperçue que le malheur, quand il vient t'embrasser sur la bouche, te demande des comptes, te teste et c'est à ce moment, et à ce moment seulement, que tu prouves qui tu es vraiment. Le reste n'est que posture, discours de matamore. C'est dans l'adversité qu'on mesure le courage d'un homme. » Une morale bourgeoise en quelque sorte.
Olivia van Hoegarden
L'auteure, Sylvie Ohayon d'origine juive et kabyle, a vécu son enfance à La Courneuve. Grâce à une bourse, elle fait des études de lettres à la Sorbonne. Elle travaille dans plusieurs agences de publicité. Aujourd'hui, elle vit à Paris entourée de ses enfants et de son mari Elie Ohayon.
Les Bourgeoises de Sylvie Ohayon
Roman / Laffont
19€
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