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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Les « enclos paroissiaux » du Léon : des joyaux méconnus

Les « enclos paroissiaux » du Léon : des joyaux méconnus

Les villages de l’arrière-pays du Léon (Finistère nord) n’ont pas toujours été pauvres. Certains ont même connu une période de prospérité aux 16e et 17e siècles grâce à la production et au tissage du chanvre et du lin destinés à la confection de vêtements et de voiles de bateaux. Animés d’une grande foi, les marchands léonards ont utilisé cette richesse pour doter leurs villages d’enclos d’une exceptionnelle beauté...

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Guimiliau, l’enclos paroissial

Un enclos paroissial est un ensemble architectural religieux typique de la Basse-Bretagne (Breizh Izel) que l’on peut notamment observer dans le nord et le centre du Finistère. Il comprend principalement, dans un placître clos de murets pour séparer l’espace sacré de l’espace profane, une porte triomphale, une chapelle funéraire-ossuaire, un calvaire, et bien évidemment une église dotée d’un clocher, d’un porche monumental et d’une sacristie. Chacun des éléments qui composent l’enclos est plus ou moins spectaculaire selon son époque de construction, les moyens de la paroisse et la volonté des maîtres d’ouvrage de disposer d’une aire sacrée de nature à impressionner les fidèles et à afficher ostensiblement la prospérité du lieu.

Des enclos paroissiaux, on en compte une trentaine dans l’arrière-pays léonard et jusque dans la Trégor finistérien. Tous n’ont cependant pas le charme incomparable des plus importants d’entre eux : Pleyben, Plougonven, Sizun, et surtout Guimiliau et Saint-Thégonnec, deux enclos particulièrement impressionnants. Leur richesse d’ornementation et la qualité de leur conservation en font incontestablement des joyaux de l’architecture bretonne. D’inspiration très différente, ces deux enclos, implantés à moins de 5 km l’un de l’autre, sont le résultat d’une étonnante rivalité entre deux paroisses bien décidées à édifier le plus beau témoignage de leur dévotion à la religion et à leur saint patron. Comme pour nombre de châteaux de la Renaissance, c’est l’orgueil des promoteurs qui a été le principal moteur de ces prodiges d’architecture et de sculpture. 

Au 16e siècle, la culture et le tissage du lin, et à un degré moindre du chanvre (nettement plus cultivé en Cornouaille), se sont fortement développés dans le Léon à une époque où le commerce maritime breton était à son apogée. Au fil des décennies, la qualité des tissus et du travail exécuté sur les métiers à tisser bretons ont conquis une réputation telle que les toiles des ateliers léonards étaient exportées vers la plupart des pays d’Europe, et notamment vers les îles britanniques et la péninsule ibérique. Dans les ports de Morlaix et de Landerneau mouillaient en ce temps-là, non seulement des navires bretons, mais également des bateaux de commerce anglais, hollandais et espagnols venus s’approvisionner en toiles et tissus.

Une étonnante compétition

Simples paysans à l’origine, les producteurs de ces précieuses fibres se sont faits tisserands et marchands, possédant de nombreuses buanderies (kanndi) et des centaines de métiers à tisser. Devenus riches, ceux que l’on nommait localement les « Juloded » ont très largement financé la construction des enclos paroissiaux, motivés tout autant par leur foi que par l’orgueil chauvin dont ils étaient pétris et qui, pour une part non négligeable, est à l’origine de la course à la magnificence effrénée à laquelle se sont livrées les deux paroisses voisines au cours du 17e siècle. Pour se rendre compte de ce qu’a été cette étonnante rivalité, le mieux est de prendre connaissance de ce qu’en disait naguère le journaliste et historien costarmoricain Florian Le Roy (1901-1959) :

« Une rivalité de bourg à bourg se donne libre essor. Pendant un quart de siècle, on va lutter à coups de fontaines, de calvaires, de chaires, de croix processionnelles. Dans le même temps, les fabriciens* de Saint-Thégonnec et de Guimiliau passent commande, les premiers d'un arc de triomphe, les seconds d'un calvaire de 150 personnages bien comptés avec tout un déploiement de reîtres et de lansquenets, tels qu'ils les ont observés pendant les guerres de la Ligue. Aussitôt Saint-Thégonnec, pour ne pas être dépassé, commande les croix des deux Larrons. Pleyben se paye un porche monumental et finit par un calvaire. Guimiliau veut alors un baptistère, un buffet d'orgues, une chaire à prêcher comme oncques on ne vit ! C'est bon ! Saint-Thégonnec lui réplique par une chaire digne de Saint-Pierre de Rome et une mise au tombeau d'un sculpteur morlaisien, Lespaignol. Toutes les paroisses de la montagne solitaire s'enflamment d'émulation : Sizun aura son arc de triomphe, Commana un porche merveilleux et Bodilis aussi ! »

Comme le montre Florian Le Roy, de nombreuses paroisses ont été concernées par cette débauche de créativité au service de la religion. Mais c’est bien entre Guimilliau et Saint-Thégonnec – là où se concentraient les plus riches marchands – que la rivalité a été la plus exacerbée. Et, comme une évidence, c’est dans ces villages que cette rivalité a débouché sur la réalisation de deux des plus beaux enclos de Basse-Bretagne, l’un dédié à saint Miliau, un pieux prince descendant des rois de Bretagne décapité par son frère au 8e siècle, l’autre à Notre-Dame et à saint Tégonnec, un moine évangélisateur venu du pays de Galles au 6e siècle dans le sillage de saint Pol Aurélien.

Un livre de pierre et de bois

L’autre effet de cette richesse a été l’émergence locale de nombreux artistes (architectes, sculpteurs, ébénistes, peintres, verriers et orfèvres) appelés à édifier les différents éléments de ces enclos paroissiaux, à en réaliser les ornements, ou à en fabriquer le mobilier avec une très grande exigence de qualité conformément aux commandes des fabriciens. Les artistes qui ont contribué à faire des enceintes sacrées de Guimiliau et Saint-Thégonnec ce qu’elles sont devenues étaient quasiment tous issus d’un terroir allant de Landerneau à Morlaix – moins d’une dizaine de lieues ! –, et l’on reste stupéfaits de constater à quel point a pu être concentré tant de talent, voire de génie, sur un aussi petit territoire rural !

De nos jours, les visiteurs se focalisent principalement sur la beauté formelle des éléments constitutifs de ces enclos paroissiaux, exceptionnels témoins ruraux d’un mélange de gothique et de baroque au style renaissance dominant. Ce faisant, ils perdent de vue l’utilité didactique de ces ensembles au service de la religion et de la parole des prêtres. Chaque détail a en effet été conçu pour édifier les paroissiens – alors illettrés pour la plupart – et catéchiser les enfants en leur mettant sous les yeux différentes scènes des textes sacrés, entremêlées ici et là de personnages contemporains, à l’image des soldats évoqués par Florian Le Roy.

Tout concourait effectivement, à la manière d’un livre de pierre et de bois, à instruire les fidèles du respect de Dieu et des saints, mais aussi de la crainte du Diable dans la perspective d’une mort inéluctable. Les voussoirs du porche s’ouvrant sur le narthex (vestibule) de l’église, les sculptures de la chaire et du baptistère, les tableaux accrochés aux murs, les peintures (ou sculptures peintes) des retables, des sablières et de la poutre de gloire, partout dans l’église pouvait se « lire » l’hommage à la Vertu et à la Foi, mais aussi la honte née du Vice. Et si le calvaire mettait en scène la Passion, la crucifixion et la mise au tombeau du Christ, il pouvait également, comme à Guimiliau, s’étoffer de multiples personnages illustrant des étapes de la vie du Messie ; mais pas seulement : sur ce calvaire apparait, soumise à la torture de l’Enfer, le personnage semi-légendaire de Katell Kollet (Catherine la damnée), coupable d’avoir mené une vie dissolue. Quant à l’ossuaire, il rappelle sans ménagement que la vie a une fin et qu’il convient d’aborder l’Au-delà en paix avec soi-même et avec Dieu.

Nul n’est besoin d’être croyant pour être impressionné en découvrant dans le détail ces formidables témoins de la foi des léonards aux 16e et 17e siècles. Les personnages des calvaires sont même étonnamment expressifs et ne manquent pas d’exercer une fascination bien compréhensible sur celui ou celle qui les contemple. À tel point que l’on en vient, comme l’écrivait naguère l’universitaire finistérien Yves Le Gallo (1920-2002) à propos de Guimiliau, à se poser cette question : « Comment ne pas ressentir, dans cet enclos raffiné et barbare, la puissance d’émotion que recèlent les œuvres collectives anonymes, vestiges de civilisations disparues, de peuples solitaires et de mentalités sans archives ? »

Émouvants, tels sont en effet les enclos paroissiaux du Léon. Et de cela même les athées les plus convaincus** conviennent bien volontiers. Situés en bordure de la nationale 12, les enclos de Guimiliau et de Saint-Thégonnec ne sont qu’à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de Morlaix. Pour en savoir plus sur ces deux merveilles de l’Art rural de Basse Bretagne, le mieux est de consulter le site Info-Bretagne : deux chapitres, superbement illustrés, sont consacrés, l’un à l’Enclos de Guimiliau, l’autre à l’Enclos de Saint Thégonnec.

Un « fabricien » est, en pays léonard, un membre d’une « Fabrique », sorte de Conseil paroissial présidé par le « recteur » (le curé). Les Fabriques finistériennes se sont éteintes avec le déclin de la filière linière, les Conseils de paroisse ayant eux-mêmes très largement disparu en France après le décret du 14 décembre 1789 créant les communes et les Conseils municipaux.

** Y compris l’auteur de cet article.

 

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Guimiliau, haut-relief

 

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Pleyben, détail du calvaire

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27 réactions à cet article    


  • Fergus Fergus 7 novembre 2016 10:19

    Bonjour à tous

    Je n’y ai pas fait allusion dans l’article : un incendie accidentel a ravagé l’église ND de Saint-Thégonnec dans la nuit du 7 au 8 juin 1998. Une grande partie de l’édifice et du mobilier ont été brûlés. Sept ans après, en 2005, la restauration de l’église s’est achevée : le mobilier et les vitraux nord ont pu être sauvés ; quant au retable de Notre-Dame-du-Vrai-Secours, détruit par l’incendie, il a été refait à l’identique. La restauration a mobilisé de nombreuses entreprises et ateliers spécialisés dans les interventions sur les bâtiments classés et les œuvres d’art. Aujourd’hui, il ne reste aucune trace de cet épisode dramatique.


    • njama njama 7 novembre 2016 11:26

      @Fergus

      Merci pour le petit tour en Bretagne ...

      Pour l’incendie de l’église ND de Saint-Thégonnec, heureusement il n’était que partiel, et belle affaire qu’elle fut restaurée au frais de l’État / Conseil général /commune puisqu’elle fait partie du patrimoine historique, et qu’elle est un bien de la nation par la loi de 1905.

      La voilà repartie pour quelques siècles ... smiley


    • Fergus Fergus 7 novembre 2016 12:50

      Bonjour, njama

      A l’époque de l’incendie, je vivais à Morlaix, et cette proximité m’a permis de mesurer à quel point ce désastre a durement été ressenti par les habitants de la région.

      Mais le fait est que la restauration a été conduite de manière exemplaire et dans un délai relativement réduit compte tenu du défi à relever.

      J’espère effectivement que l’église Notre-Dame est repartie pour des siècles.


    • siatom siatom 7 novembre 2016 11:22

       Bonjour Fergus

      Émouvants, tels sont en effet les enclos paroissiaux du Léon. Et de cela même les athées les plus convaincus** conviennent bien volontiers

       Tout à fait d’accord avec vous, je suis un agnostique ’’pratiquant’’ mais je n’imagine pas la Bretagne sans ses innombrables monuments religieux à l’image de ceux que vous évoquez dans votre excellent article
       A ce propos, puisqu’il est ici question d’enclos paroissiaux Saint Suliac est probablement le seul village en Haute Bretagne ou tout du moins en Ille et Vilaine à en posseder un.


      • Fergus Fergus 7 novembre 2016 11:41

        Bonjour, siatom

        Merci pour ce commentaire. Je ne peux, moi non plus, imaginer la Bretagne sans son patrimoine religieux.

        Je connais bien sûr l’enclos paroissial de Saint-Suliac. Avec les vieilles maisons d’armateur, il contribue à l’indéniable charme de ce village.

        Je ne connais pas non plus d’autre enclos en Haute-Bretagne. Et même en pays Vannetais, je n’en connais qu’un : celui de Guéhenno, près de Josselin. Mais sans doute y en a-t-il d’autres dans le Morbihan.


      • velosolex velosolex 7 novembre 2016 13:56

        @Fergus
        Bonjour
        Les calvaires qu’on rencontre dans le Morbihan sont plus modestes. Les enclos paroissiaux sont tous effectivement situés dans la même régions du finistère. Mais dans le Morbihan, la beauté et la flamboyance des chapelles qu’on trouve à foiison, n’a rien a envier à leurs cousines. Chapelles de Saint Fiacre, de sainte Barbe, et de Kernascleden, par exemple, avec sa danse macabre peinte sur les murs...On est surpris par le gigantisme et la beauté de ces constructions, souvent situées dans de petits villages, quand ce n’est pas un hameau, telle cette chapelle de Quelven, en pays de Guern, et qui n’a de chapelle que le nom....Sa flèche domine la plaine à des lieux, et sa vierge à tiroirs est une curiosité...J’ai croisé là deux cyclotouriste anglais l’an passé, qui en étaient restés sur le cul de tant de beauté et d’esprit baroque. 

        Il est étonnant de voir des gens chercher des trésors parfois au bout du monde, et ignorer des beautés si peu connues. A Guern. Le village de Quelven est aussi surprenant que fascinant

      • Fergus Fergus 7 novembre 2016 14:24

        Bonjour, velosolex

        Les chapelles du Faouët son en effet magnifiques, notamment Sainte-Barbe dans son étonnant environnement. Je ne connais pas en revanche ND de Kernascleden, mais ce manque devrait être prochainement corrigé. smiley

        La basilique ND de Quelven est en effet impressionnante au milieu d’un si petit hameau. On retrouve cette même impression dans les Monts d’Arrée à Saint-Herbot, minuscule village doté d’une église particulièrement spectaculaire, en rapport avec les pélerinages et les foires qui s’y tenaient autrefois.

        Se mettre en quête de beautés lointaines n’est pas illégitime. Encore faut-il effectivement ne pas négliger les merveilles que l’on a chez soi.



      • velosolex velosolex 7 novembre 2016 18:37

        @Fergus

        Tous les ans, les chapelles de la vallée du Blavet donnent lieu à des expositions d’art contemporain. Ce lien, pour représentation :

        Chapelle Saint-Nicolas, Pluméliau - L’art dans les chapelles
         Personnellement, je suis plus sensible à la beauté des chapelles, qu’aux « performances », qui y sont accrochées...M’enfin, ce qui est intéressant, c’est que ce temps offre l’occasion de visiter des chapelles qui ne sont pas toujours ouvertes, car il faut bien se protéger des prédateurs et des voleurs...( J’ai dernièrement vu près de Plouhinec, qu’une vieille croix de granit, datant du seizième siècle, en bordure de route avait disparu. Mais je m’éloigne du sujet. ..Dans toute découverte, il importe parfois d’être surpris, sur un chemin de hasard : La beauté n’ayant pas été anticipé, la beauté apparaît plus forte, centrifugée par un jour d’automne, une lumière particulière. C’est ainsi que Camille Saint Saens, parait il eu l’idée des premiers accords de sa danse macabre, alors qu’il chevauchait dans la lande bretonne, et qu’il arriva près de la chapelle kermaria an iskuit.
        « Pendant toute une journée d’automne, journée fuligineuse, sombre et muette, où les nuages pesaient lourds et bas dans le ciel,j’avais traversé seul et à cheval une étendue de pays singulièrement lugubre, et enfin, comme les ombres du soir approchaient, je me trouvai en vue de la mélancolique Maison Usher »
        Vous aurez remarqué l’emprunt que j’ai fait au début du conte d’edgar Poe. Ma pensée doit être habité encore par les morves de saison, car j’ai chevauché en vélo tout l’après midi, par plaines et landes. Les monuments de hasard surgissent parfois. Cet après midi c’était celui de la villeneuve Jacquelot, magnifique demeure qui a malheureusement brulé il y a trois ans, mais en reconstruction 

      • Fergus Fergus 7 novembre 2016 19:46

        @ velosolex

        Merci pour ces informations sur la vallée du Blavet et ses expositions dans les chapelles. Mis à part Quiberon, le golfe du Morbihan, la presqu’ile de Rhuys et quelques villes et villages, le Morbihan est le département breton que je connais le moins. J’ai donc à parfaire ma connaissance, et je m’y emploie en passant, de temps en temps, quelques jours à Josselin, à Rochefort ou à Auray. Mais il y a tant à voir ! smiley

        En revanche, je connais bien la chapelle Kermaria an Iskuit. Plouha est l’un des lieux où j’ai le plus crapahuté dans les Côtes d’Armor avant de m’installer à Dinan. J’ignorais que Saint-Saëns ait puisé là son inspiration. Non loin de cette superbe chapelle et de sa fameuse danse macabre, il y a Gwin Segal et ses mouillages en pieux de bois à l’ancienne. Les deux sont superbes !

        Il y a effectivement dans les landes bretonnes les jours de brume matière à imaginer la Maison Usher dans une bâtisse entr’aperçue dans les volutes du brouillard. Pour peu qu’aux limbes se joigne la plainte du vent dans les buissons d’ajoncs, l’imagination n’a plus grand travail à faire pour bâtir un scénario fantastique. smiley


      • gruni gruni 7 novembre 2016 11:45

        Bonjour 


        « Nul n’est besoin d’être croyant pour être impressionné »
        Tout à fait d’accord sur ce point. Les hommes ont construit des lieux de culte exceptionnel au nom de Dieu. 

        Merci pour la découverte.

        • Fergus Fergus 7 novembre 2016 11:58

          Bonjour, gruni

          Merci à toi pour ce détour par le Léon.

          La foi a effectivement été à l’origine de monuments et d’œuvres d’art remarquables, et parfois géniales, à l’image de lieux comme le Mont-Saint-Michel et les grandes cathédrales ou abbayes.


        • Et hop ! Et hop ! 7 novembre 2016 18:49

          @Fergus Bonjour, on ne peut pas dire que ce soit la foi qui est à l’origine de l’art, mais le sens du sacré : le domaine religieux est celui des distinctions entre le sacré et le profane. Il y a des religions comme le protestantisme ou le judaïsme talmudique qui ignorent la notion de sacré, ce sont des religions sans arts, sans architecture (le judaïsme sacerdotal reconnaissait le sacré, il avait une architecture et des arts sacrés). La foi, la croyance, porte sur les dogmes, tandis que la piété porte sur les rites. Les Anciens Grecs ne punissaient pas l’incrédulité, mais uniquement l’impiété, le sacrilège ; les Juifs au contraire punissaient l’incrédulité, le blasphème, l’hérésie, car leur religion réside dans un texte, un corps de lois et de croyances.


          Par conséquent, c’est la religion dans son ensemble qui est à l’origine des arts sacrés, en réalité tous les arts : l’architecture, la musique instrumentale, le chant, l’orfèvrerie, les parures vestimentaires et décoratives, l’orfèvrerie, la sculpture, la peinture, etc.

          L’enclos est une figure fondamentale de l’architecture religieuse, ce sont des espaces sacrés, d’abord des cimetières, ils sont à l’origine des églises chrétiennes.

          Il vaut mieux laisser ces enclos dans l’oubli, ils sont bien connus des connaisseurs et des =bretons. Il faut souhaiter qu’ils ne soient jamais classé patrimoine mondial, et qu’ils ne seront pas réduits (et profanés) au rang de sites touristiques.


        • Fergus Fergus 7 novembre 2016 19:26

          Bonsoir, Et hop !

          Merci pour ces précisions.

          « Par conséquent, c’est la religion dans son ensemble qui est à l’origine des arts sacrés, en réalité tous les arts » 

          Oui, je suis d’accord avec cette affirmation pour ce qui concerne les formes savantes de ces arts. Car il a, semble-t-il, toujours existé en parallèle des formes d’art populaires échappant au sacré, à l’image des musiques paysannes à danser reprises à compter du 17e siècle dans la musique baroque.

          Vous avez raison de souligner que les placîtres ont, après l’église elle-même et les ossuaires, longtemps servi de lieu d’inhumation avant que la législation n’impose les cimetières hors des villes et villages. Dans les enclos, les sépultures ne portaient même pas de croix au début, le calvaire en tenant lieu pour toutes les tombes.

          « Il vaut mieux laisser ces enclos dans l’oubli »

          Ce n’est pas mon avis. Ces enclos ne sont d’ailleurs pas près, même s’ils bénéficient d’une notoriété accrue, d’attirer des cohortes de touristes importantes, encore qu’il y ait parfois un ou deux cars dans les villages en saison. Le reste du temps, c’est le calme absolu, la sérénité.


        • Eric F Eric F 7 novembre 2016 12:06

          Bonjour.
          Ces calvaires en granite sont impressionnants par la complexité des formes et leur état de conservation. Dans la région, même les plus petits hameaux ont une église ou une chapelle, souvent entourée d’un enclos. Nous avons visité hors saison, mais même alors il y a avait parfois affluence d’autocars, rançon de la célébrité.


          • Fergus Fergus 7 novembre 2016 12:58

            Bonjour, Eric F

            Les enclos attirent en effet du monde, mais sont relativement peu connus des touristes qui se pressent sur les côtes, de Carantec à Brignognan. Dommage pour ceux-là !

            Pour ce qui est des personnes intéressées par le patrimoine religieux, le fait est que la région est particulièrement riche en enclos, églises, chapelles, calvaires et fontaines votives, souvent d’une grande beauté dans leur environnement rural. Cela fait incontestablement partie du charme de la Bretagne. 


          • Dom66 Dom66 7 novembre 2016 14:27

            Bonjour Fergus ;

            Merci pour ce petit tour en pays magnifique "La Bretagne"

            J’ai pris grand plaisir à lire votre article Merci encore.

            Petite obs :

            Elle est belle la France….


            • Fergus Fergus 7 novembre 2016 15:49

              Bonjour, Dom66

              Merci à vous. Oui, la France est belle, c’est indiscutable. Non seulement grâce à l’incomparable diversité de ses paysages, mais aussi de son patrimoine bâti, entre les cathédrales, les châteaux, et palais et les divers ouvrages d’art. Les villages eux-mêmes, si différents, et parfois si spectaculaires, participent à l’attrait du pays comme j’ai tenté de le monter en mars 2016 dans cet article : L’extraordinaire variété des villages de France.


            • Chamiot 7 novembre 2016 17:31

              «  »" Non seulement grâce à l’incomparable diversité de ses paysages...«  »"
              Cela n’est vrai que si...l’on reste en France !

              l’Espagne est tout aussi diverse au plan physique que la France, sinon plus, avec des écosystèmes uniques en Europe comme le désert d’Almeria, la palmeraie d’Elche, les Picos de Europa ou les mers d’oliviers de Jaen (et... les dunes près d’Huelva sont autrement plus impressionnantes et belles -solitaires- que notre pâté du Pyla)

              Quant à densité culturelle, j’ai passé 6 semaines en Allemagne il y a peu et j’ai été, une de fois de plus (et malgré mon accoutumance, mais je finis par oublier), abasourdi par le gouffre (pas seulement musical) qui sépare les 2 pays en la matière (question d’Histoire et de vertus...) Et je ne parle pas de la voirie, des pistes cyclables, des moeurs routières, des gâteaux, de la bière...qui permettent de jouir paisiblement de tout cela . Les chiens sont aussi tenus en laisse, de toutes façons dressés (= pas agressifs ni dangereux) et on n’est pas obligé de zigzaguer entre les merdes.

              Maintenant, vous n’êtes pas obligé de me croire (vous pouvez camper sur vos certitudes...)

              Bien à vous


              • Fergus Fergus 7 novembre 2016 17:51

                Bonjour, Chamiot

                Le fait est qu’il y a une grande diversité également en Espagne, de même qu’en Italie ou en Allemagne.

                Mais je persiste à penser que la France est encore plus diverse, avec des massifs montagneux aussi différents que les massifs jeunes (Alpes et Pyrénées), les socles anciens (Vosges, Massif central, Armorique), les systèmes volcaniques (Chaîne des Puys en Auvergne). Et côté maritime, que dire du spectaculaire contraste entre Manche, Atlantique et Méditerranée ? Cela dit sans compter les nombreuses zones humides naturelles ou de marais salants. Etc. Et le contraste est accru par la grande disparité culturelle entre les Français d’origine Bretonne, Flamande, Alsacienne, Savoyarde, Provençale, Catalane, Béarnaise, Basque, et Languedocienne. Autant de cultures, autant de langues différentes, infiniment plus variées que dans n’importe quel pays d’Europe, Espagne comprise.

                Cela dit, vous avez raison pour les chiens allemands, et cela vaut également pour les chiens danois : ils sont mieux éduqués que chez nous. Je n’en dirais pas forcément autant de leurs maîtres lorsqu’ils vomissent en pleine rue le vendredi ou le samedi soir comme je l’ai constaté dans des villes comme Berlin et Copenhague ! 


              • vesjem vesjem 7 novembre 2016 19:53

                « également en Espagne, de même qu’en Italie ou en Allemagne »
                Pour info, je vous conseille de visiter la Grande Bretagne, pays plutôt ignoré du tourisme (en effet j’en vois extrêmement peu quand je m’y rends) ;
                La concentration d’édifices historiques et de villages très anciens , de châteaux , y est impressionnante ;
                Les pubs ( eux-mêmes vénérables) nous servent désormais une cuisine assez agréable, pour une somme très raisonnable (comptez 15 livres en moyenne)
                La culture et le mode de vie anglais sont de nature à surprendre , en comparaison avec celui et celle que l’on connait sur le continent ;
                Bien entendu, il faut vouloir entrer en contact avec tact et avec l’indigène pour apprécier leurs particularités
                Mais pour revenir à notre (ma) Petite Bretagne si insolite , je note que la république n’a pas réussi à neutraliser toutes les diversités qui forment sa culture ;
                merci fergus pour cet article  


                • Fergus Fergus 7 novembre 2016 20:08

                  Bonjour, vesjem

                  Je connais assez bien la Grande-Bretagne, excepté l’Ecosse (mais assez proche sur le plan des paysages et de l’habitat de l’Irlande où j’ai souvent séjourné). Outre Londres et sa région, je suis notamment allé en Cornouailles, dans le Devon et au Pays de Galles. Mais c’est avec un grand plaisir que j’irai (sans doute prochainement) dans la région des lacs, jusqu’au mur d’Hadrien.

                  Manger dans des vieux pubs peints en noir ou blanchis à la chaux, c’est ce que je fais le plus souvent (idem en Irlande), et c’est un vrai plaisir, particulièrement lorsque l’on peut combiner le repas avec un concert, parfois totalement spontané.

                  Merci à vous pour ce petit détour chez les cousins d’outre-Manche.


                • 65beve 65beve 7 novembre 2016 20:01

                  Bonsoir Fergus.

                  Merci pour cette évocation bretonne qui me ramène 10 ans en arrière.
                  J’ai visité le Finistère en 2007.
                  Je suis arrivé en pleine Troménie dans les parages de Locronan. C’était un bon début.
                  Ensuite, une fois installé dans le mobilhome, je suis allé faire un tour et j’ai découvert l’église du Menez-hom et son enclos parroissial.
                  En partant de là, j’ai voulu voir tous les calvaires du coin et je n’ai pas été déçu.
                  Un petit détail insolite mais charmant, ce sont ces personnages de la vie de Jésus habillés comme.... sous François Ier.
                  Mes amis étaient obligés de me sortir de mes contemplations.
                  Il me tarde d’y retourner pour revoir tout ça et en découvrir d’autres bijoux.
                  Je suis aussi tombé amoureux (mais c’est une autre histoire) des dolmens solitaires.
                  cdlt.




                  • Fergus Fergus 7 novembre 2016 20:22

                    Bonsoir, 65beve

                    Là vous avez eu de la chance : en 2007, c’était la Grande Troménie. Ce jour-là, toutes les bannières sont de sortie, et le défilé est haut en couleurs. Et Locronan est un village superbe. Dommage qu’il ait été livré aux marchands du temple, à l’image d’autres villages de France particulièrement ciblés par les touristes, à l’image de Rocamadour, Saint-Cirq-Lapopie, Cordes ou Roussillon, pour ne citer que ceux-là.

                    Je connais très bien le Menez-Hom et l’église Sainte-Marie. D’autant mieux que j’ai séjourné plusieurs fois à Dinéault et dans la presqu’île de Crozon. Le fait est les monuments religieux intéressants ne manquent pas dans la région.

                    Pour ce qui est des costumes des personnages sculptés figurant sur les calvaires, c’était la tradition à l’époque de leur construction. Une tradition imposée par les prêtres qui voulaient que leurs ouailles puissent plus facilement s’identifier aux scènes représentées. Cela vaut également pour les enclos du Léon.

                    Bien à vous.


                  • Jean Keim Jean Keim 8 novembre 2016 08:15

                    Merci pour cet article intéressant et qui m’a permis d’apprendre un mot nouveau : le placître.


                    Dans la majorité des villes et villages français et d’ailleurs, les cimetières sont relégués à la périphérie de la ville, si certains se retrouvent malgré tout dans une zone urbanisée, ce n’est que le résultat de l’extension de la commune ; un jour un curé m’a dit que c’était pour des raisons de salubrité, notamment quand il a fallut jadis enterrer à la hâte les nombreuses victimes d’épidémies. 

                    Il me semble qu’en Bretagne notamment, dans les villages, le cimetière souvent jouxte la chapelle ou l’église, l’enclos paroissial est-il une continuité de cette particularité, comprend-il donc un cimetière ?

                    • Fergus Fergus 8 novembre 2016 09:25

                      Bonjour, Jean Keim

                      Les cimetières ont commencé à être relégués hors des villes au 18e siècle et au début du 19e pour plusieurs raisons : le manque de place autour des églises et la prise de conscience des questions sanitaires, mais également le transfert aux municipalités de ce qui était auparavant pris en charge par les paroisses. Comme ce curé vous l’a dit, les épidémies de peste et de choléra, nombreuses jusqu’au 18e siècle, ont joué un rôle décisif dans cette évolution.

                      Pour ce qui est des enclos bretons, ils comprenaient à l’origine un cimetière qui servait principalement de lieu de sépulture provisoire avant transfert des ossements dans les ossuaires, pratique qui a ensuite été interdite. Néanmoins, des notables et des nobles pouvaient bénéficier dans l’enclos d’une tombe définitive faute de place à l’intérieur de l’église où les plus respectés et les plus puissants étaient préalablement enterrés. Au cours des 17e et 18e siècles, ces cimetières d’enclos ont pris une place telle qu’une grand partie des sépultures a dû être déplacée vers les cimetières neufs, seuls restant les monuments funéraires de pierre dédiés à des personnalités locales.

                      Merci à vous pour ce détour dans le Finistère.


                    • moderatus moderatus 8 novembre 2016 22:46


                      Bonsoir Fergus,

                      merci pour cette magnifique ballade à la découverte des enclos paroissiaux qui sont comme vous l’écrivez des joyaux méconnus. Combien notre France est belle et riche de son passé et de toutes ces richesses qu’elle nous a légué tout au long des siècles.

                      J’ai lu dans la même veine il y a longtemps et avec le même plaisir un livre de Georges DUBY sur les cathédrales de France qui sont aussi des joyaux inestimables.
                      « le temps des cathédrales »

                      Je me permets de vous envoyer ci dessous des éléments qui vous permettraient si vous le désirez de retrouver le chemin des cathédrales.


                      Le Temps des cathédrales. L’Art et la société (980-1420)
                      Collection Bibliothèque des Histoires,

                      Gallimard

                      Parution : 04-10-1976
                      Devant le trésor de Saint-Denis ou les vitraux de Chartres, les fresques de Giotto ou les palais florentins, qui ne s’est interrogé sur les conditions sociales et les représentations mentales qui ont environné et inspiré le geste de leurs créateurs ? Cette vaste sociologie de la création artistique, chef-d’œuvre d’un grand historien doublé d’un écrivain, replace l’ensemble des hautes productions de l’Occident médiéval dans le mouvement général de la civilisation. Elle offre des clés pour pénétrer cet univers de formes complexe et fascinant.
                      Georges Duby montre donc comment, au XIe siècle, ce que nous avons appelé la féodalité transféra des mains des rois à celles des moines le gouvernement de la production artistique ; comment, cent ans plus tard, la renaissance urbaine établit la cathédrale au foyer des innovations majeures ; comment, au XIVe siècle, l’initiative du grand art revint aux princes et s’ouvrit aux valeurs profanes.

                      • Fergus Fergus 9 novembre 2016 09:09

                        Bonjour, moderatus

                        La France est en effet belle de son passé et de ses richesses patrimoniales. Indiscutablement.

                        Et comme vous le soulignez dans votre commentaire, l’excellent historien que fut Georges Duby, a fait un travail remarquable pour montrer comment s’est mise en place au cours du Moyen Âge la création artistique sous l’autorité de l’Eglise. Un phénomène parfaitement analysé dans « Le temps des cathédrales », un ouvrage que je n’ai lu que partiellement il y a 20 ou 30 ans, en me concentrant sur sa composante « L’Europe des cathédrales ».

                        Merci à vous d’avoir rappelé cet ouvrage majeur.

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