LES INDOMPTABLES, de Tristan Edelman
A bien des égards et toutes proportions gardées, il y a du Marc Bloch de l’Etrange Défaite dans Les Indomptables de Tristan Edelman, paru en juin 2022 aux éditions Talma Studios. Un récit dense, écrit sur le vif, mais d’une étrange clairvoyance et d’une étrange profondeur pour un livre pensé et rédigé en quelques mois à peine, sans se payer le luxe du sacro-saint recul de l’histoire ; ce fameux recul qui permet la sédimentation des faits et de l’analyse, mais qui est aussi trop souvent le prétexte à toutes les reconstructions et toutes les falsifications.
L’accusation de complotisme
Sur la crise du Covid-19, il est à prévoir que deux narratifs se feront concurrence dans les décennies à venir : celui des médias mainstream et des éditions Hachette, qui expliquera à nos enfants que les confinements, les amendes à 135 euros et les injections « gratuites » ont sauvé plus de vies qu’ils n’en ont fauchées, que si tout n’a pas été parfait l’essentiel a été préservé, nos anciens protégés et nos hôpitaux sauvés in extremis du naufrage par des politiques publiques réactives et responsables. Les bons citoyens, citoyennement masqués, confinés, injectés et gavés à H24 de propagande citoyenne, auront citoyennement joué le jeu en fermant tout grand leurs yeux et leurs oreilles aux tentatives de déstabilisation des covidosceptiques, sécessionnistes et autres conspirationnistes des réseaux sociaux. Ça, c’est pour le côté pile. La version face de l’histoire, fondée sur cette double conviction que toute vérité n’est pas bonne à entendre et que le mensonge et la corruption sont au pouvoir ce que sont au couscous la semoule et les pois chiches, celle-là mettra sans en démordre l’accent sur le chantage d’Etat, l’extorsion de consentement, le lobbying pharmaceutique, le refus de soins non homologués, la censure de l’information et le déni de culpabilité d’une bande de gugus aussi malhonnêtes qu’inventifs dans l’art de se dédouaner et d’emmerder les réfractaires au sanitairement correct.
L’opinion de l’auteur des Indomptables ne laisse guère de place au doute, mais l’accusation de négationnisme aura du mal à franchir la première haie ; le récit s’ouvre sur l’hospitalisation en urgence à la Salpêtrière de la mère de Tristan, dont on comprend vite que les symptômes sont ceux du Covid-19 – ce virus qui n’existait pas politiquement avant mars 2020 avant d’envoyer tout le monde à la fosse commune jusqu’en mars 2022 : ‘’Pas de chance pour Maman : c’était le moment du déni politique, donc scientifique. Le virus restait en Chine, en Italie, et il fallait voter. Je demande à nouveau, par deux fois, aux médecins s’ils ont fait le test du Covid. Réponses : « Oui, bien sûr » ou « Non, ce n’est pas la peine, ce ne peut pas être ça. » La médecine et la politique ont toujours raison, surtout quand la médecine est administrée par la politique. Et si vous insistez, vous êtes, selon le moment, stupide ou complotiste. Stupide quand vous exagérez la maladie, complotiste quand vous dénoncez l’instrumentalisation de la science et de la maladie.‘’
Pour l’accusation de complotisme, en effet, que les lapidateurs assermentés du Ministère public se délestent, le cœur en joie, des derniers cailloux qui leur restent dans les poches. Le prévenu leur offre de lui-même son torse dénudé, taggé de mots-clés à faire se palucher de bonheur les debunkers de Libé, fact-checkers du Figaro et autres décodeurs du Monde : ‘’J’aurais dû la garder à la maison… Elle aurait pris de l’aspirine, du zinc, de la vitamine D et C… Elle aurait dormi… Cinq jours de chloroquine pour abaisser la charge virale ?… Je n’ose même pas évoquer les traitements disponibles comme l’azithromycine et l’ivermectine dont il est prouvé qu’ils peuvent soigner le Covid-19 en prophylaxie à tous les stades de la maladie… Le protocole des malfaiteurs se résumait à : doliprane à gogo.’’ Et pour ceux auraient mal compris : ‘’ L’un des effets de l’industrialisation est de rendre le crime inodore. Le rendre politiquement correct à renfort de chantages, d’infantilisations, de culpabilisations. Le rendre indispensable par les mensonges médiatiques, la menace et la répression.’’
On a passé la camisole à des forcenés pour moins que ça et l’auteur pourra se féliciter de ne pas avoir fini sous sédatifs à Sainte-Anne. Dans l’Etrange Défaite, Marc Bloch écrivait amèrement : « Nous venons de subir une incroyable défaite. À qui la faute ? Au régime parlementaire, à la troupe, aux Anglais, à la cinquième colonne, répondent nos généraux. À tout le monde, en somme, sauf à eux. » Un certain Maréchal – dont les curieuses notions sur la fin de l’abondance et le tragique de l’histoire ne lassent pas d’inspirer un certain monsieur M. – n’avait-il pas déclaré le 20 juin 1940 : « Nous tirerons la leçon des batailles perdues. Depuis la victoire, l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice. On a revendiqué plus qu’on a servi. On a voulu épargner l’effort ; on rencontre aujourd’hui le malheur. » A autres temps, autres risques. Marc Bloch sera arrêté par la Gestapo et fusillé le 8 mars 1944. Notre ami Tristan recevra seulement la visite de courtoisie, au printemps 2021, de quelques connaissances bien intentionnées venues lui demander si par hasard il ne serait pas devenu complètement chtarbé – et si un séjour de quelques mois au sanatorium de Davos ne lui ferait pas le plus grand bien.
L’effondrement (1)
Le premier effondrement dont nous parle Tristan Edelman, celui qui nous parle le plus parce que les médias en parlent, c’est celui, évidemment, de l’écosystème hospitalier, domaine de la ‘’saleté faite de stérilisations et de détritus invisibles’’, où ‘’on pousse les lits comme des caddies’’ et dont la ‘’folie protocolaire’’ cache misérablement la misère. La mère de l’auteur, trimballée d’un service à l’autre, de la Salpêtrière à la clinique Pasteur, puis de Pasteur à Saint-Antoine, puis de Saint-Antoine à Bichat, appelle son fils au secours pour la première fois de sa vie : ‘’Mon chéri, viens, je t’en prie : ils auront ma peau.’’ Et pour cause : ‘’Au fond du lit, empêtrée dans des tuyaux sales, baigné d’un clair-obscur jaunâtre, avec cette odeur persistante d’urine et de javel, j’entrevois le visage de ma mère. Fixant intensément le mur, elle se mord les lèvres. Sous-alimentée, maltraitée, ignorée, elle lutte contre la dépression. En quelques jours, elle a perdu beaucoup de poids. On discerne dans son assiette les contrats de l’agroalimentaire : du vomi reconstitué empaqueté dans du plastique. Elle ne cherche pas à survivre à l’hôpital, elle cherche à survivre de l’hôpital.’’
Les personnels soignant et administratif n’y sont pas décrits sous leur meilleur jour, de l’assistante sociale qui ‘’préfère la compagnie de son ordinateur et celle de ses copines’’ au médecin-chef ‘’toujours le regard froid et fuyant’’, en passant par l’infirmière qui balance du ‘’Oh, le fiston, il est inquiet pour sa maman… Passez d’abord aux admissions !’’. Heureusement, dans le labyrinthe infernal, il se rencontre aussi de rares créatures au sang chaud pour qui l’empathie n’est pas qu’un lointain souvenir enfoui sous des années de stress et de frustration. Tristan, d’ailleurs, ne leur en veut pas car… comment leur en vouloir ? Les soignants sont, comme il le raconte, les premières victimes du système de destruction mis en place à partir des années 1980 : ‘’Ils ont rejoint depuis bien longtemps les rangs grossissants de la schizophrénie. On voudrait bien faire, on fait de notre mieux. Mais on ne peut ni faire plus, ni faire bien. On ne nous donne pas les moyens. On nous sabote. Alors on fait mal. On devient un automate. On tombe malade de la tête et du corps. On se déteste. On déteste les autres. On se déresponsabilise. On acte pour la machinerie de guerre. On fait de plus en plus mal avec de moins en moins de moyens. Performance, efficacité, organisation rationnelle, management. On assassine nos sœurs en pleurant.’’ Et l’auteur de conclure sur ce bête constat, que tout le monde connaît et que tout le monde tait : ‘’Ce n’est pas le Covid qui a fait le naufrage du système sanitaire : il a juste été le révélateur d’un état des lieux.’’
L’effondrement (2)
Mais de même que Marc Bloch ne se contente pas de mettre en cause le commandement militaire dans son Etrange Défaite, Tristan Edelman va plus loin et creuse plus en profondeur pour porter son diagnostic à lui sur une société civile et politique dont la déliquescence ne peut s’expliquer par la seule vacuité de ses élites. Le ver était dans le fruit ; le cancer, non du Grand Remplacement mais du Grand Côtoiement, avait tellement rongé la pomme que le couteau du progressisme médico-légal y est entré comme dans du beurre. Paris maltraitée, Paris humiliée, mais Paris confinée, masquée et verbalisée et tout ça (presque) sans broncher.
‘’Nous adhérons aux chimères servies par l’Etat pour justifier notre asservissement inconditionnel. Nous dédramatisons les impositions pour ne pas admettre que nous avons cédé au chantage. Le « collectif » devient l’alibi pour l’individualisme le plus vulgaire, le respect civique » l’alibi pour l’empire de la surveillance et de la phobie. Notre mauvaise foi sert à élargir l’emprise du divertissement : voyages touristiques, salles de sport, nightclub et opéra. Que peut-on attendre d’une culture qui se soumet pour accéder à autant de superficialité et d’addictions ?’’
Passe encore pour le brave citoyen pris en otage par le tir croisé des mensonges médiatiques et de la coercition d’Etat, mais que dire de la Gauche, ou plutôt de feu-la Gauche, que les Gilets jaunes de l’époque n’ont fini par intriguer que ‘’parce quand même, ça fai[sait] un peu de bruit en dessous des balcons’’ bien qu’ils ‘’jouent le jeu du RN’’, et que les manifs anti-pass ont mis sévèrement dans l’embarras, suspectées qu’elles étaient d’être infiltrées de néo-fascistes en tout genre agitant des drapeaux tricolores sous la bannière orangée de pseudo-patriotes accusés, pour leur part, de faire le jeu du virus. Aux membres de sa propre famille politique, Tristan n’a pas que des fleurs à envoyer, si ce n’est des bouquets de chrysanthèmes pour garnir leurs tombes entretenues depuis Léon Blum aux frais du contribuable :
‘’Sans surprise, voilà nos ersatz d’intellectuels de gauche qui filent droit se confiner en critiquant de leurs balcons « la mauvaise gestion »… On s’indigne après coup. On critique après coup. On pense après coup. On criera au scandale du siècle après coup (avec Arte)… Un Gilet jaune, un virus à couronne, plein de flics dans les rues et les voilà titubant la bouche ouverte. Les mêmes qui faisaient des acrobaties pour la République laïque libre et sans voile sur le visage, les voilà qui braillent dans un masque en plastique, une dose d’ARN artificiel dans le sang et un QR code comme tatouage.’’ Atavisme d’une pensée devenue contre-révolutionnaire à force de concessions à la social-démocratie : ‘’L’insurrection doit s’arrêter aux portes de la loi, des banques centrales et de l’OMS. Les piliers de la nouvelle Union sacrée sont : science, finance et surveillance. Un peu moins héroïque qu’en 1914, mais définitivement plus hallucinée. L’intelligence est bien peu de choses sans l’expérience de terrain et le vécu direct. Sans l’engagement du corps, le monde devient une fiction où chacun peut se raconter son histoire.’’
Les deux figures titulaires de Tristan, à savoir ses parents, n’échappent pas au tranchant de son analyse. Sa mère, une intellectuelle fragilisée à la fois physiquement et moralement, regarde une dernière fois dans son rétroviseur, allongée sur son lit d’hôpital : elle y voit l’impasse où aura sombré l’aventure psychanalytique, cette ‘’maïeutique des temps modernes’’ tombée dans l’escarcelle du conformisme petit-bourgeois, les chimères du capitalisme ‘’écologique et responsable’’ appelés de leurs vœux par ses compagnons de mai 68, et le délitement du courage chez toute une génération à mesure qu’elle affermissait son magistère moral et son statut social. Son père, homme de loi, homme de droit et de confiance inébranlable en la lumière positive de la déesse Raison, ne sera pas plus capable que son ex-femme ni de défendre, ni de combattre cette ‘’dictature larvée’’ de l’ère franc-macroniste protégée par le marbre des institutions : ‘’Ce compromis idéologique que mon père avait rendu sien faisait de lui un conservateur banal avec une rhétorique passe-partout. Le journal Le Monde et France Culture étaient là pour l’aider à soutenir quotidiennement le socle conformiste pour une paix psychique.’’
Au crépuscule de sa vie, il confiera pourtant à Tristan : ‘’Je ne t’envie pas, mon fils. Tu es dans la force de l’âge et tu vas devoir faire avec une fin du monde.’’ Il mourra seul chez lui le 3 septembre 2021 en pleine crise covidienne, contraint à l’isolement et démoralisé, errant au milieu de sa bibliothèque tel un alchimiste amnésique ayant perdu l’usage de ses formules magiques. La mère de Tristan s’était éteinte un an et demi plus tôt, la veille de la journée de la Femme. Deux syndromes de glissement et une perte commune de repères, de foi en le passé, pour deux vieux enfants du vingtième siècle que la sagesse, au bout du compte, aura peut-être rendus trop sages. Deux aventuriers de la pensée sauvage ayant fréquenté Deleuze, Lévi-Strauss, Althusser et Michel Foucault, et réduits à se consoler en écoutant sur Europe 1 le philosophe André Comte-Sponville marteler ad nauseam en guise de (timide) protestation cette inoffensive maxime de Montaigne : « Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant. »
L’arbre vidé de sa sève
Si le livre de Tristan Edelman parle d’effondrement, il faut comprendre que ce mot signifie sous sa plume non pas seulement un naufrage intellectuel et moral, mais aussi et surtout une perte d’énergie vitale. Comme un arbre vidé de sa sève mais dont les branches pendent encore au tronc, la société occidentale n’a plus que du ‘’paraître’’ à offrir en guise de feuillage sociétal. Une chanteuse argentine de ses amies confie ainsi à l’auteur : ‘’En Occident, le cloisonnement a rendu les gens apeurés, faibles, recroquevillés sur leurs biens et leur confort. Ils n’ont pas saisi qu’une grande partie de leur manque de vitalité et de leur mal-être vient de ce qu’ils ont perdu la chaleur et l’intelligence du collectif.’’ Matérialisme outrancier, numérisation des rapports sociaux, utilitarisme rampant, désertion des champs de bataille politico-culturels : nous sommes nombreux, de gauche ou de droite, à avoir posé ce diagnostic et exploré les causes possibles à cette léthargie et à ce basculement (irrémédiable ?) d’une société de l’être à une société de l’avoir.
Les ‘’indomptables’’, pour Tristan Edelman, ne sont pas nécessairement les plus lucides, les plus brillants ni même les plus forts d’entre nous : ils sont ceux qui simplement ont su conserver ‘’leur instinct’’, et dont le rapport viscéral au réel interdit de se défausser sans cesse sur les médias, les juristes, les politiques ou les médecins pour se bâtir une vision du monde et un code de conduite : ‘’Pour approfondir l’écoute, l’entente et l’intelligence collective, il nous est désormais nécessaire de quitter les foules pour retourner dans la caverne. Non celle sophistiquée de Platon, mais celle préhistorique de l’ermite, où chacun peut venir pour être écouté, entendu et se retrouver au plus profond de l’être et de la terre.’’ Une voie de salut en clair-obscur qui évoque de loin le Recours aux forêts de l’écrivain Ernst Jünger. ‘’Indomptable, nous résume Tristan, signifie laisser l’existence orienter sa vie… Le courage n’est pas de se sacrifier à une cause donnée par avance, mais de sortir des grilles, des cages et des modèles qui définissent ces causes. Le courage de sortir du déni et des injonctions sociales.’’
L’Etrange Retraite avait été écrit, en 1940, par un historien soldat qui s’était enrôlé par amour de son pays et avait couché sur papier son témoignage par sens du devoir. Sa parution posthume en 1945, dans une France fatiguée et minée par la rancune, ne souleva évidemment pas l’enthousiasme des foules. C’est pourtant aujourd’hui encore l’œuvre de référence pour tout exégète qui se respecte de cette période sombre et troublée, constitutive de la psyché française. Tristan Edelman ne s’attend pas davantage à ce qu’on se rue sur son ouvrage, une logique lassitude s’étant emparée des esprits sur ce sujet peu ragoûtant – et commenté à outrance – de la Grande Peste laborantine du printemps 2020. Mais qui sait si dans dix, quinze ou vingt ans, des petits curieux ne viendront pas y chercher des clés de compréhension d’une époque refoulée ou cancellée par l’histoire officielle. Ils y trouveront, comme chez Marc Bloch, la parole forte et sincère d’un résistant malgré lui, proche des combats qu’il décrit et fidèle à son expérience. Son auteur s’amuse en page 88 à taquiner ceux que la censure à la libre expression ne dérange pas plus que ça, vu qu’ils n’ont ‘’rien à dire’’. On a le droit de s’en offusquer – et surtout de ne pas penser comme eux.
Les Indomptables de Tristan Edelman
Editions Talma Studios / 224 pages
Préface de Louis Fouché
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