Les Laënnec : esclavage et stéthoscope
La Bretagne n’avait pas particulièrement vocation à devenir la première région française du « commerce triangulaire » autrement dit de la « Traite des Nègres ». Mais au début, ce trafic sera bien breton avec prédominance de Nantes qui, au milieu du XVIIIe siècle, effectue plus des deux tiers de toutes les expéditions négrières françaises.

Des Laënnec, on connaît surtout le fils, célèbre médecin et inventeur du stéthoscope. Rendons-lui justice : sans lui, le père aurait été encore plus ignoré des historiens. Mais c’est du père, Théophile-Marie Laënnec, dont il sera question dans cet article, un des rares bretons à s’être dressé contre les esprits de son temps qui banalisaient l’esclavage. Ce trafic inhumain florissait en Bretagne et pas seulement à Nantes où des familles comme les Mosneron s’enrichirent de façon spectaculaire. Les navires nantais transportaient des Noirs aux Antilles. Ces Noirs étaient acquis moyennant d’autres marchandises, en particulier des toiles de coton des Indes. Puis, dans les îles, ils étaient vendus, ce qui permettait de charger les navires de café, de tabac et surtout de sucre.
Dans la famille Laënnec, demandez le père !
Un sacré personnage ce Laënnec père ! Grand et robuste, Théophile-Marie Laennec, se fait autant remarquer par ses coups de colère que par sa science du droit. Exerçant la profession d’avocat, il est connu pour maîtriser l’art de l’éloquence, mais qu’il met peu au service de son travail, préférant les lettres et la philosophie. Il émaille ses plaidoiries de citations grecques et latines. Il aime aussi taquiner la Muse, autant que le jupon !
Son mariage et la naissance de son petit René-Théophile (le futur inventeur
du stéthoscope donc si vous suivez...), Théophile-Marie ne devient pas plus raisonnable. Son épouse étant décédée en accouchant d’une fille
mort-née, il sera délivré de
la charge de sa progéniture par le conseil de famille qui la confie à son frère prêtre. Comme Rousseau, l’un de ses maîtres à penser, il n’assumera donc pas la charge de ses enfants. Le voici qui s’intéresse très vite aux débuts de la Révolution et qui s’amourache d’une jeune fille. En 1795, il épouse une riche veuve aristocrate qu’il a sortie de prison en plaidant au barreau pour sa défense.
Mais ce diable d’homme n’avait pas que des défauts. En pleine Révolution, il prend position en faveur des nobles et des prêtres réfractaires ! Il fut surtout l’un des seuls Bretons du XVIIIe siècle à s’insurger contre la traite des Noirs, sans feinte, sans complaisance. Il s’est opposé sans ménagement aux lois en vigueur dans ses réquisitoires de justice, alors que les mentalités de l’époque admettaient le trafic négrier comme nécessaire aux colonies.
Laënnec père était-il une conscience isolée, un franc-tireur à part contre l’esclavagisme ?
On a cru que le poète Tristan Corbière avait dénoncé la traite de Noirs. Il n’en est rien. Ses textes sont ambigus à ce propos. Il n’y avait pas de mauvaise conscience à l’époque à se livrer à ce trafic. Le meilleur alibi moral était de se dire que la traite était encouragée par la loi et l’Etat. A Quimper, la ville de Laënnec, les jésuites avaient cependant de l’influence sur l’élite intellectuelle. Ils étaient opposés à l’esclavage. Malgré tout, ce qui domine c’est le règne de "consciences impuissantes", en particulier chez les marins qui restent sourds aux idées abolitionnistes de Laënnec et de ses amis. "Combien n’est-il pas plus naturel de penser que le coeur doit s’abâtardir, les bons principes se dépraver dans ce trafic honteux", disait Laënnec à propos des travailleurs de la mer. Le célèbre navigateur Joseph de Kerguelen, premier explorateur des terres australes et qui leur donna son nom, était farouchement opposé à Laënnec, bien qu’il fut lui aussi Quimpérois (de Landudal, tout près de Quimper) et qu’il subit les mêmes influences abolitionnistes, celle des jésuites et des francs-maçons.
Alors Quimper était-elle une cité ouverte aux Lumières comme le laisse penser la personnalité de Laënnec père qui était un fervent admirateur de Jean-Jacques Rousseau et comme le déclare Cambry, préfet du Finistère sous la Révolution, ou bien n’y régnait-il qu’une étroite minorité de gens cultivés et éclairés ? La question reste en suspens pour les historiens. Reste que Théophile-Marie Laënnec, père du célèbre médecin, aura été un humaniste d’une insatiable curiosité pour les lettres, désintéressé par la religion et non anticlérical sous la Révolution, un poète aimant à versifier dans sa vie privée comme dans ses activités professionnelles. Un individu humain en somme.
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