LES LIAISONS DANGEREUSES De Choderlos de Laclos à Arnaud Denis / Emprise, Séduction & Perversion à La Comédie des Champs-Elysées
Près d’une décade plus avant, Arnaud Denis n’avait donc point été l’élu finaliste du casting dédié pour jouer le rôle de Valmont sous la direction de John Malkovich au Théâtre de l’Atelier.
Une impérieuse envie de corriger le destin habitait depuis lors le Comédien-Metteur en scène pour qui, l’opportunité souriait à nouveau plus récemment, lorsque le producteur Pascal Héritier lui proposait à la fois d’adapter et de mettre en scène « Les liaisons dangereuses » ainsi que de jouer lui-même Valmont.
Et il en fut ainsi en 2023 à La Tête d’or à Lyon où Arnaud Denis créait sa propre version remaniée et recentrée sur le duo mythique avec Anne Bouvier en Marquise de Merteuil.
Cependant cette prestigieuse affiche ne pourrait perdurer puisque une « hernie inguinale » fort mal réduite viendrait entraver la poursuite du projet dont Arnaud Denis ne pourrait plus qu’assurer la direction d’acteurs.
Cependant de ce mal bien malencontreux allait surgir l’excellence sous forme d’un nouveau binôme irradiant « Delphine Depardieu & Valentin De Carbonnières ».
Ceux-ci se sont emparés de leurs rôles respectifs avec une évidence confondante.
La préciosité du langage du XVIIIème ajoutée à une aisance démaniérée de le formuler dans la langue pastichée par Arnaud Denis faisait ainsi liens entre les extraits de leurs lettres échangées de façon à les transposer précisément en enjeu théâtral.
Le charisme de Delphine Depardieu dans cette partition lui aura, d’ailleurs, déja valu, à ce jour, de devenir la lauréate du Prix du brigadier remis le 12 décembre 2024.
Cependant il pourrait être étonnant, à l’époque actuelle régie notamment par « MeToo » et l’ensemble des mouvements émancipateurs associés, d’observer que non seulement la critique quasi unanime mais aussi et surtout le public faisant un triomphe à cette adaptation qui aura souhaité contextualiser l’enjeu dramaturgique en le maintenant en son siècle d’origine sous les mœurs et costumes alors en cours, auront permis ensemble d’échapper par une sorte de magie surnaturelle à tout anathème idéologique édicté par la bien-pensance contemporaine.
En effet comment donc tant d’indélicatesse, de cruautés, de perversions, de prédations machiavéliques et sulfureuses peuvent-elles avoir franchi impunément la ligne rouge du supportable aux yeux du gardiennage des relations genrées voulant les préserver de toute emprise toxique ?
Si ce n’est parce que ce recueil épistolaire s’érigeait en libre expression artistique à l’abri précisément de tous les diktats moraux.
Ainsi qu’également parce que l’opinion devait y trouver de façon sous-jacente la dénonciation radicale des objectifs poursuivis par Merteuil et relayés par Valmont ?
Mais c’est encore au-delà de ces considérations spéculatives que devrait se situer le blanc-seing de l’immunité car, tout en affichant la distanciation linguistique de l'humour, Arnaud Denis semblerait avoir procédé selon l’intuition du retournement vertueux depuis son contraire.
Ainsi l’énergie sans faille que met Merteuil à vouloir venger la condition féminine de toute l’histoire du patriarcat, ne pourrait, au demeurant, qu’en forger une personnalité initiatrice d’un féminisme bien compris.
En conséquence Valmont, lui, qu’il soit mu par ses propres motivations de conquérant ou seulement influencé par les défis que lui dicterait Merteuil, serait dans tous les cas, un être paradoxalement faible ne sachant pas se dominer lui-même.
Son sort est donc scellé, il sera sacrifié sur l’autel de la lâcheté : « Ce n’est pas ma faute ! ».
Et Merteuil, elle, pourra fuir le monde où elle souhaite mais son aura restera, paradoxalement, celui d’une pourfendeuse de l’iniquité.
Et bien entendu, c’est la langue de Choderlos de Laclos qui sortira, comme depuis des lustres, grande gagnante de leur lutte sans merci et, par ailleurs pareillement, c’est la perspicacité bien éclairée d’Arnaud Denis qui récoltera tous les satisfecit que ce duel de manipulations et de surenchères au sommet aura su engendrer de façon magistrale.
A la Comédie des Champs-Elysées, les mélopées récurrentes de la 7ème symphonie de Beethoven introduisent avec maestria cette corrida assoiffée de victimes abusées qui n’en peuvent mais.... Ces mêmes ultimatums musicaux viendront d’ailleurs au final en apaiser les turpitudes exposées.
Entre-temps, Salomé Villiers (Madame de Tourvel) & Marjorie Dubus (Cécile de Volanges) auront magnifiquement expié le non consentement universel face aux prédateurs intemporels...
Ainsi tout est classe !... L’élite aristocratique repousse au plus loin d’elle-même les affres de la souffrance d’autrui provoquée délibérement mais son intuition sensitive lui fait pressentir que cette situation de marionnettistes ne pourra perdurer.
Il lui faudra donc s’effacer discrètement au profit d’un monde nouveau... et très certainement plus juste.
photos 1 à 5 © Cédric Vasnier
photos 6 & 7 © Theothea.com
LES LIAISONS DANGEREUSES - **** Theothea.com - d'après Choderlos de Laclos - mise en scène Arnaud Denis - avec Delphine Depardieu, Valentin de Carbonnières, Salomé Villiers, Michèle André, Pierre Devaux, Marjorie Dubus et Guillaume de Saint-Sernin - Comédie des Champs-Elysées
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