Les Mélodies de Duparc par Ludovic Tézier
Les plus hauts sommets cessent d'intimider le marcheur dès lors qu'il ne regarde que ses pieds. Et l'on s'imagine les petits pas qu'il aura fallu faire à Ludovic Tézier pour cheminer jusqu'ici, et commencer aujourd'hui de contempler le panorama lyrique de là où il se trouve. Est-ce là un sommet ? Peut-être bien ; au moins l'un d'eux sur la chaîne des nombreuses crètes que compte l'art lyrique et des rares moments où la Mélodie Française est aussi bien servie.
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Henri Duparc |
Ce n'est pas le nom de Henri Duparc (Paris, 1848-1933) qui vient à l'esprit pour nommer un compositeur Français, enfin pas aussi rapidement que Chabrier, Chausson ou d'Indy... Or, ses compositions sont belles et impressionnantes de perfection dans les Mélodies, qui furent terminées en 1924 et composées au siècle précédent, inspirées par la crème des poètes de cette époque : Copée, Baudelaire, de Lisle, auteurs hallucinés ou impressionnistes, qui fondaient souvent sous leur plume peinture, musique, opéra et poésie.
Bref, entendre une telle voix dans ce répertoire si peu donné est une stupéfaction renouvelée, tant par l'intelligence et la couleur que Tézier donne au texte, que par la sidération que provoquent ses immenses envolées dramatiques ; vous savez, ces grands aigus qui sont l'apanage de quelques voix dans le monde, et encore, quelque fois par siècle. Vous trouvez que j'exagère ? Ecoutez voir.
Et dites-vous aussi que ça n'est qu'un enregistrement, diffusé en radio et compressé. Une autre chance encore est d'entendre notre grand baryton français à quelques mètres de soi. Il faut s'imaginer (ou si l'on peut, courir l'entendre) l'ampleur des harmoniques vocales à l'œuvre lorsque les chevaux sont lâchées, et que la richesse qui s'en déploie surpasse l'orchestre. Elles sont comme les rosses qui menèrent Berlioz à son ultime domicile, semant tout le cortège à travers champs et hennissant sous l'orage. Il est tout bonnement prodigieux d'entendre l'histoire de l'opéra se façonner sous vos yeux.
Car aucun enregistrement ne restituera toute la richesse d'une voix, jamais ; et ce n'est pas une écoute sur Youtube qui permet de jeter un jugement définitif sur une voix. Ce ne sont pas non plus les limiteurs-compresseurs utilisés au mixage ou même dès l'enregistrement, qui permettront d'en apprécier la taille ou la richesse. Ainsi au disque a-t-on l'impression d'entendre les même gabarits vocaux d'artistes aussi différentes que Frau Schwazkopf et Frau Moser, quoique toutes deux grandioses ; ou chez les messieurs, de pouvoir comparer la taille vocale d'un Roberto Alagna et celle d'un José Luccioni, a fortiori quand soixante années de techniques sonores les séparent (pour ne blesser aucun contemporain, loin de là).
J'oserai dire que Tézier, le plus italien des barytons français et le plus francophone des barytons-Verdi, invente soir après soir la catégorie du Baritono Moderno Assoluto. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore on peut seulement dire qu'il aborde avec une même pertinence intellectuelle et un même bonheur vocal des ouvrages qui vont de Mozart à Strauss en passant par Tchaikovsky ou bien sûr Verdi ; d'un Nathanaël à un Yeletski, d'un Scarpia à un Ashton en passant par un Almaviva ou un Rodrigue. À l'occasion de cette radio-diffusion passée évidemment inaperçue, il entre de façon implacable dans l'histoire des interprétations des Duparc avec la maestria, la puissance et l'élégance qui sont désormais attachées à son identité artistique.
Muyng-Wun Chung fait aussi profiter l'ouvrage de sa longue expérience de chef lyrique. Il faut féliciter l'orchestre, car pour mener à bien un tel programme, c'est une gageure, il faut constamment être vigilant au bon équilibre entre masse orchestrale quelquefois rugissante, et piani d'une voix au bord de la falaise
La partition est servie par un Orchestre de Radio-France somptueux qui a si bien travaillé à restituer les transitions, les atmosphères parfois étranges que Duparc a su intercaler pour enrichir, s'il le fallait, les textes de ces poètes qui font honneur à la langue française. Il faut alors écouter. C'est un voyage dont l'invitation ne se refuse pas.
La Vague et la cloche,
mi mineur, poème de François Coppée [1871, version orchestrale vers 1913]
Chanson triste
Mi majeur, poème de Cazalis [1868, version orchestrée 1912]
La Vie antérieure
Mi majeur, poème de Baudelaire [1876-1884, version orchestrale 1911-1913]
Testament
do mineur, poème d'A. Silvestre [1883, version orchestrale 1900-1901]
Phidylé
La majeur, poème de Leconte de Lisle [1882, version orchestrale 1891-1892]
L’Invitation au voyage
do mineur, poème de Baudelaire [1870, version orchestrée 1892-1895]
Pour compléter, une trouvaille : Mélodies et airs d'opéras français, concert de Saint-Etienne, 2007
https://www.youtube.com/watch?v=w-235qYeu6I
Merci à http://www.musicologie.org/Biographies/d/duparc_henri.htm
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