Les musiques mutantes, trans-générationnelles
Cet été, la chaîne Arte va consacrer huit soirées à célébrer les années 70.
"Summer of the 70’s" est le titre de l’émission, présentée par Amanda Lear, qui nous proposera un petit plongeon nostalgique dans le passé, l’occasion aussi pour certains d’entre nous de revisiter quelques films cultes et concerts qui ont marqué l’époque.
Comme de coutume, on risque de célébrer nos gloires éternelles, délaissant une fois de plus un pan entier de cette période extrêmement fertile sur le plan musical.
Dans le milieu des années 60, dans le prolongement du mouvement hippie, une vague psychédélique submergeait alors une partie de la jeunesse américaine sur fond de révolte estudiantine, d’opposition à la guerre du Vietnam et de libération sexuelle.
Un nouveau langage musical allait s’épanouir autour d’une expérience née en 1965 quelque part du côté de Haight-Ashbury, peut-être du fait des drogues alors encore autorisées. Les stroboscopes électro-psychédéliques firent leur apparition.
Très vite, à Londres comme à Paris, les bons plans s’échangent sous le manteau sur ces alcôves secrètes où se projettent des diapositives aux motifs hypnotiques, frénésie de couleurs liquides, qui s’apprécient volontiers à l’horizontale autant que dans les volutes de marijuana, pour ne pas en dire plus.
Une période extrêmement féconde en expérimentation musicale accompagnera ce mouvement qui participera à l’émergence de nombreux genres et courants musicaux (rock psychédélique, rock progressif, bruitisme...).
Une kyrielle de groupes, aussi éphémères que déjantés, va s’engouffrer dans la brèche ouvrant de nouvelles portes, plus insoupçonnables les unes que les autres.
En commun, un goût immodéré pour la guitare pensive et distordue, le cul des pianos, le bidouillage sonore sur magnétophone Revox, les instruments nouveaux (synthétiseurs) ou bizarres (cithare, mellotron).
Si les Pink Floyd, Grateful Dead, Jimi Hendrix ont incontestablement marqué l’époque de leur empreinte, de nombreuses formations moins en vue, mais néanmoins très suivies, ont apporté une contribution essentielle à l’édifice.
Parmi les plus connues, on peut citer en vrac le Gong de Daevid Allen, le Velvet Underground, Soft Machine, Frank Zappa, Kevin Ayers, King Crimson, Van der Graaf Generator, Dashiell Hedayat, Tuxedomoon, Iron Butterfly, Ash Ra Tempel, John Cale, Captain Beefheart, en fait, la partie émergée d’un énorme iceberg vite disparu avec perte... et rares profits.
Ces formations, dont certaines sont classées par les puristes en catégorie déviante ou mutante, vont défricher un peu plus loin encore ces nouveaux territoires, flirtant aux confins de la contre-culture musicale : art brut sonore, musique répétitive, krautrock, musique concrète...
Les pochettes de disque de ces ovnis sont à l’image de l’effervescence créatrice qui régnait, certaines d’entre elles valant le coup d‘œil. Compte tenu des risques financiers encourus, on ne remerciera jamais assez les producteurs fêlés de l’époque qui ont englouti leurs économies par passion et peut-être par défi.
Pour avoir un bon panorama de ces musiques expérimentales, mutantes, déviantes des années 60 à 70, le mieux est de se référer à la fameuse liste NWW (Nurse With Wound list).
Sur la pochette du premier album du groupe Nurse With Wound (Chance Meeting on a Dissecting Table of a Sewing Machine and an Umbrella) sorti en 1979, on trouvera mention de 300 artistes, représentatifs de ce courant fondateur, sorte de discothèque idéale pour les amateurs et collectionneurs du genre.
Sur cette liste figurent des groupes très connus comme King Crimson et d’autres particulièrement obscurs voire totalement inconnus, comme les Français Semool, Etron Fou Leloublan, Lard free.
On croyait que cette musique avait rejoint les ténèbres pour l’éternité, or il n’en est rien. L’ère des blogs sur la grande toile semble avoir contribué à ressusciter le genre auprès d’une nouvelle génération avide de musiques échappant à la marchandisation et à l’uniformisation.
Le blog Mutant Sound est l’un des plus connus qui se consacre à l’exhumation de toutes ces vieilles pépites englouties, tout autant qu’aux nouveautés qui continuent de sortir aux quatre coins du monde.
Un recensement de titan qui ne pourrait se concevoir sans l‘apport du web et qui dévoile un univers d’une richesse exceptionnelle, preuve que désir de défricher n’est pas mort avec les années 70.
Au travers de cette NWW list qui ne cesse de s‘étoffer, c’est un univers vertigineux qui s’offre à nous, autant dire que l‘on n’est pas prêt d‘en faire le tour. S’y aventurer reste une expérience étonnante.
Puristes et collectionneurs, tout le monde semble y trouver son compte et son plaisir.
En découvrant sur la toile les prix auxquels s’arrachent ces vieux vinyles des années 70, leurs protagonistes risquent fort de s’arracher les derniers cheveux qui leur restent sur le caillou.
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