« Les Olympiades » ou un « Regarde les femmes monter » en mode mineur
Hasard ou coïncidence, façon Lelouch : j’ai croisé Adèle Haenel, via un beau portrait photographique de l’actrice affiché dans les escaliers, en sortant de la salle 1 de l’UGC Danton (Paris) où je venais de voir Les Olympiades, signé Jacques Audiard (en salles depuis le 3 novembre), avec Noémie Merlant, sa partenaire de jeu dans Portrait de la jeune fille en feu (2019), film superbe mâtinant peinture et amour au féminin, de Céline Sciamma, réalisatrice mais aussi scénariste ayant co-écrit ces Olympiades, en compagnie de Léa Mysius et du réalisateur lui-même, d’après une adaptation libre de trois nouvelles du bédéiste américain Adrian Tomine issues de sa BD Les Intrus : Amber Sweet, Killing and dying et Hawaiian getaway.
Son pitch est le suivant : Paris, XIIIe arrondissement, quartier des Olympiades, Émilie rencontre Camille, jeune professeur de lettres cherchant à passer l’agrégation, celui-ci étant attiré par Nora qui, elle-même, en pince bientôt pour Amber, qu’elle va prochainement croiser sur son chemin. Ce quatuor, formé par trois filles et un garçon, forme une ronde de jeunes gens tour à tour amis ou amants, ou bien, souvent, tout cela en même temps.
Alors, il est comment son dernier opus filmique (le 9ème), à Jacques Audiard ? Qui est, comme on le sait, reparti bredouille du dernier Festival de Cannes, lui qui avait cependant obtenu la prestigieuse Palme d’Or en 2015 avec Dheepan. Eh bien, disons qu’après Regarde les hommes tomber (1994), son tout premier long, Jacques Audiard, qui passe en général pour faire un cinéma viriliste voire « burné » (pour rappel, son avant-dernier film était un western, Les Frères Sisters, 2018), nous fait son Regarde les femmes monter, le tout orchestré, manifestement, par la Sciamma’s Touch, animée par le female gaze et la sororité très tendance ces derniers temps. Ça fonctionne plutôt bien, sans de quoi non plus être véritablement nouveau ou surprenant, et encore moins révolutionnaire. On se dit que le noir et blanc du film est d’ailleurs certainement là pour prétendre au film générationnel façon La Haine (1995) de Kassovitz. Ça narre les idylles et les plans cul, entre panache et panade, de jeunes personnes cosmopolites au sein des Olympiades, village multiculturel de la capitale qui donne son nom au film donc, connu notamment pour ses grandes tours modernistes, au quadrillage monotone et à la verticalité exacerbée, où vivait à une époque pas si lointaine un certain Houellebecq ; on retrouve d’ailleurs ce XIIIe arrondissement, si cher à cet écrivain, dans son roman La Carte et le Territoire, prix Goncourt 2010. Soit dit en passant, ce film a au moins le mérite de filmer une communauté (asiatique) très rarement montrée voire ignorée dans le cinéma hexagonal, tant mieux.
Cette adaptation d’une bande dessinée, avec ses personnages bien définis (un peu trop mis dans des cases préétablies tout de même), joue, avec un regard sans surplomb (suspension du jugement moral), sur le métissage - bienvenu - de jeunes corps désirants, et ce non sans humour, avec certaines répliques, telles des punchlines débitées, qui font mouche ; la sœur de Camille, fan de stand up et de réparties percutantes, s’avère vraiment marrante. Quand le film se veut primesautier, filmant tendrement (amoureusement ?) le quotidien et ses petits riens en distanciel ou en présentiel, comme on dit désormais, de sa belle actrice principale (Noémie Merlant, jouant Nora, brune ou blonde, à l’identité mouvante et à l’orientation sexuelle vagabonde), il est plaisant, agréable à suivre. On le dirait vraiment, avec sa facture de petit film, astucieusement profilé tel un premier film, comme infusé par le marivaudage d’un certain Rohmer (référence revendiquée par Audiard), réalisateur au romantisme littéraire labellisé Nouvelle Vague à qui, aux dialogues de séduction sans fin, on aurait rajouté ici des scènes de coucherie en veux-tu en voilà ! Et ces Olympiades, avec leur jeu de chassé-croisé au carrefour de plusieurs historiettes sentimentales et/ou sexuelles, semblent s’inscrire, de manière plutôt inattendu chez Audiard, dans la lignée de cinéastes chevronnés qui, en pleine maturité, voire vieillissants (déclinants ?), s’accordent une espèce de parenthèse enchantée dans leur filmographie riche en gros films à la production fort coûteuse, filmant alors eux aussi, avec beaucoup d’empathie, des tranches de vie de jeunes gens pétillants et séduisants, un brin désinvoltes : je pense par exemple à Bertolucci avec Innocents (The Dreamers, 2003) ou encore à Coppola avec Tetro (2009) et Twixt (2011) ; non pas, pour autant, question qualité, que je mette Audiard exactement sur le même plan que ces cinéastes-là.
Par contre, en ce qui concerne l’amour 2.0. et la nouvelle carte du Tendre à l’ère Tinder (les applications de rencontres géo-localisées très orientées sexe) avec la démultiplication effrénée des écrans favorisant les jeux sexuels frontaux à tendance virtuelle, et ses dangers (le harcèlement et les ragots qui se répandent vite sur internet), on reste tout de même sur sa faim - même si, à un moment donné, (attention spoiler) un coup de poing salvateur et libérateur, administré dans la rue par le personnage principal (Nora) à une de ses anciennes collègues hypocrites, étudiante en droit, fait du bien à la fois au récit, pour le réveiller quelque peu, et aux spectateurs, ravis de voir enfin qu’elle ne s’en laisse pas conter pour redémarrer son existence sur de bonnes bases en luttant contre moult calomnies qui alimentent une rumeur fausse sur sa personne et sur son intimité supposée dévoyée, soudain devenue extime aux yeux du plus grand nombre (la scène de l'amphithéâtre à la fac, avec soudain tous les téléphones portables allumés braqués sur les affres de Nora).
Pour autant, concernant le regard du film porté sur un Net pas net en roue libre, on est particulièrement déçu, d’autant plus qu’on se rappelle vite qu’Olivier Assayas est déjà finement passé par là avec son kaléidoscopique Demonlover, et ce dès 2002, long métrage, bien plus visionnaire du coup, déjà axé sur la cyberculture pornographique et ses dérives, notamment financières. Et, par ailleurs, avec des moyens considérablement plus réduits (juste une feuille et du fusain), je trouve personnellement - ça n’engage que moi ! - que le jeune dessinateur contemporain Thomas Lévy-Lasne, passé par la Villa Médicis à Rome où il a été résident en 2019 (solide technique graphique à l’œuvre), en dit autant, sinon plus, ces dernières années, avec ses petits dessins figuratifs charbonneux en noir et blanc (séries Distanciel ou Webcam, cf. visuel), à la poésie désenchantée, captant au plus près de jeunes surfeurs aux visages seulement éclairés dans leur chambre par la lumière artificielle irradiante de leur écran d’ordinateur ou de leurs smartphones, pour certain(e)s exhibitionnistes, et semblant complètement absorbés, au risque de se perdre, par leurs recherches, leurs divagations érotiques ainsi que par leurs stases spatio-temporelles, vertigineuses et chronophages, sur le web. Tenez, d’ailleurs, dans le même registre que la source d’inspiration directe du film (une bande dessinée, à savoir un support papier), on retrouve ici la dimension modeste du dessin dont le rapport intime à la feuille, via quelques traits bien sentis de l’auteur et le recours à une grande économie de moyens, répond certainement davantage, comme en écho, à la vie quotidienne, et privée, traduite avec réalisme en images.
Enfin, lorsqu’Audiard tente de se risquer à aller vers le trash, le poisseux ou vers la lose et ses abysses, aux accents tant psychiques que physiques, sur fond d’electro planante ou explosive quelque peu attendue (bande-son signée Rone), eh bien on se dit qu’un certain Gaspar Noé a déjà, avec ses productions souvent calées hors des sentiers battus (Love, Climax…), bien balisé le terrain à ce niveau-là, façon bord-cadre et bizarreries déviantes. Bref, en se risquant à se la jouer autant « objet modeste », ce film petit qu’est Les Olympiades, avec ses personnages certes attachants mais somme toute assez convenus, finit par ressembler à un honnête téléfilm bien produit captant l’air du temps, rien de plus (du 2,5 sur 5 pour moi), sur fond de féminisme de rigueur et de bienveillance généralisée (le vivre-ensemble serait forcément top…).
Petite note subsidiaire, indépendamment donc de ce film à mes yeux de qualité fort moyenne, après cette grande période de disette cinématographique en salles (fermetures des cinémas successives suite aux divers confinements provoqués par la pandémie de Covid-19), avouons-le, on prend tout de même sacrément plaisir à s’engouffrer dans une salle obscure pour (tenter de) se laisser embarquer par le cinéma.
Les Olympiades de Jacques Audiard, 1h46, avec Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merlant, Jehnny Beth…
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON