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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « Les Olympiades » ou un « Regarde les femmes monter » en mode (...)

« Les Olympiades » ou un « Regarde les femmes monter » en mode mineur

Hasard ou coïncidence, façon Lelouch : j’ai croisé Adèle Haenel, via un beau portrait photographique de l’actrice affiché dans les escaliers, en sortant de la salle 1 de l’UGC Danton (Paris) où je venais de voir Les Olympiades, signé Jacques Audiard (en salles depuis le 3 novembre), avec Noémie Merlant, sa partenaire de jeu dans Portrait de la jeune fille en feu (2019), film superbe mâtinant peinture et amour au féminin, de Céline Sciamma, réalisatrice mais aussi scénariste ayant co-écrit ces Olympiades, en compagnie de Léa Mysius et du réalisateur lui-même, d’après une adaptation libre de trois nouvelles du bédéiste américain Adrian Tomine issues de sa BD Les Intrus  : Amber Sweet, Killing and dying et Hawaiian getaway.

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Affiche promotionnelle pour le film « Les Olympiades » (2021, Jacques Audiard).

Son pitch est le suivant : Paris, XIIIe arrondissement, quartier des Olympiades, Émilie rencontre Camille, jeune professeur de lettres cherchant à passer l’agrégation, celui-ci étant attiré par Nora qui, elle-même, en pince bientôt pour Amber, qu’elle va prochainement croiser sur son chemin. Ce quatuor, formé par trois filles et un garçon, forme une ronde de jeunes gens tour à tour amis ou amants, ou bien, souvent, tout cela en même temps.

Alors, il est comment son dernier opus filmique (le 9ème), à Jacques Audiard ? Qui est, comme on le sait, reparti bredouille du dernier Festival de Cannes, lui qui avait cependant obtenu la prestigieuse Palme d’Or en 2015 avec Dheepan. Eh bien, disons qu’après Regarde les hommes tomber (1994), son tout premier long, Jacques Audiard, qui passe en général pour faire un cinéma viriliste voire « burné » (pour rappel, son avant-dernier film était un western, Les Frères Sisters, 2018), nous fait son Regarde les femmes monter, le tout orchestré, manifestement, par la Sciamma’s Touch, animée par le female gaze et la sororité très tendance ces derniers temps. Ça fonctionne plutôt bien, sans de quoi non plus être véritablement nouveau ou surprenant, et encore moins révolutionnaire. On se dit que le noir et blanc du film est d’ailleurs certainement là pour prétendre au film générationnel façon La Haine (1995) de Kassovitz. Ça narre les idylles et les plans cul, entre panache et panade, de jeunes personnes cosmopolites au sein des Olympiades, village multiculturel de la capitale qui donne son nom au film donc, connu notamment pour ses grandes tours modernistes, au quadrillage monotone et à la verticalité exacerbée, où vivait à une époque pas si lointaine un certain Houellebecq ; on retrouve d’ailleurs ce XIIIe arrondissement, si cher à cet écrivain, dans son roman La Carte et le Territoire, prix Goncourt 2010. Soit dit en passant, ce film a au moins le mérite de filmer une communauté (asiatique) très rarement montrée voire ignorée dans le cinéma hexagonal, tant mieux.

Cette adaptation d’une bande dessinée, avec ses personnages bien définis (un peu trop mis dans des cases préétablies tout de même), joue, avec un regard sans surplomb (suspension du jugement moral), sur le métissage - bienvenu - de jeunes corps désirants, et ce non sans humour, avec certaines répliques, telles des punchlines débitées, qui font mouche ; la sœur de Camille, fan de stand up et de réparties percutantes, s’avère vraiment marrante. Quand le film se veut primesautier, filmant tendrement (amoureusement ?) le quotidien et ses petits riens en distanciel ou en présentiel, comme on dit désormais, de sa belle actrice principale (Noémie Merlant, jouant Nora, brune ou blonde, à l’identité mouvante et à l’orientation sexuelle vagabonde), il est plaisant, agréable à suivre. On le dirait vraiment, avec sa facture de petit film, astucieusement profilé tel un premier film, comme infusé par le marivaudage d’un certain Rohmer (référence revendiquée par Audiard), réalisateur au romantisme littéraire labellisé Nouvelle Vague à qui, aux dialogues de séduction sans fin, on aurait rajouté ici des scènes de coucherie en veux-tu en voilà ! Et ces Olympiades, avec leur jeu de chassé-croisé au carrefour de plusieurs historiettes sentimentales et/ou sexuelles, semblent s’inscrire, de manière plutôt inattendu chez Audiard, dans la lignée de cinéastes chevronnés qui, en pleine maturité, voire vieillissants (déclinants ?), s’accordent une espèce de parenthèse enchantée dans leur filmographie riche en gros films à la production fort coûteuse, filmant alors eux aussi, avec beaucoup d’empathie, des tranches de vie de jeunes gens pétillants et séduisants, un brin désinvoltes : je pense par exemple à Bertolucci avec Innocents (The Dreamers, 2003) ou encore à Coppola avec Tetro (2009) et Twixt (2011) ; non pas, pour autant, question qualité, que je mette Audiard exactement sur le même plan que ces cinéastes-là.

Par contre, en ce qui concerne l’amour 2.0. et la nouvelle carte du Tendre à l’ère Tinder (les applications de rencontres géo-localisées très orientées sexe) avec la démultiplication effrénée des écrans favorisant les jeux sexuels frontaux à tendance virtuelle, et ses dangers (le harcèlement et les ragots qui se répandent vite sur internet), on reste tout de même sur sa faim - même si, à un moment donné, (attention spoiler) un coup de poing salvateur et libérateur, administré dans la rue par le personnage principal (Nora) à une de ses anciennes collègues hypocrites, étudiante en droit, fait du bien à la fois au récit, pour le réveiller quelque peu, et aux spectateurs, ravis de voir enfin qu’elle ne s’en laisse pas conter pour redémarrer son existence sur de bonnes bases en luttant contre moult calomnies qui alimentent une rumeur fausse sur sa personne et sur son intimité supposée dévoyée, soudain devenue extime aux yeux du plus grand nombre (la scène de l'amphithéâtre à la fac, avec soudain tous les téléphones portables allumés braqués sur les affres de Nora).

Pour autant, concernant le regard du film porté sur un Net pas net en roue libre, on est particulièrement déçu, d’autant plus qu’on se rappelle vite qu’Olivier Assayas est déjà finement passé par là avec son kaléidoscopique Demonlover, et ce dès 2002, long métrage, bien plus visionnaire du coup, déjà axé sur la cyberculture pornographique et ses dérives, notamment financières. Et, par ailleurs, avec des moyens considérablement plus réduits (juste une feuille et du fusain), je trouve personnellement - ça n’engage que moi ! - que le jeune dessinateur contemporain Thomas Lévy-Lasne, passé par la Villa Médicis à Rome où il a été résident en 2019 (solide technique graphique à l’œuvre), en dit autant, sinon plus, ces dernières années, avec ses petits dessins figuratifs charbonneux en noir et blanc (séries Distanciel ou Webcam, cf. visuel), à la poésie désenchantée, captant au plus près de jeunes surfeurs aux visages seulement éclairés dans leur chambre par la lumière artificielle irradiante de leur écran d’ordinateur ou de leurs smartphones, pour certain(e)s exhibitionnistes, et semblant complètement absorbés, au risque de se perdre, par leurs recherches, leurs divagations érotiques ainsi que par leurs stases spatio-temporelles, vertigineuses et chronophages, sur le web. Tenez, d’ailleurs, dans le même registre que la source d’inspiration directe du film (une bande dessinée, à savoir un support papier), on retrouve ici la dimension modeste du dessin dont le rapport intime à la feuille, via quelques traits bien sentis de l’auteur et le recours à une grande économie de moyens, répond certainement davantage, comme en écho, à la vie quotidienne, et privée, traduite avec réalisme en images.

Enfin, lorsqu’Audiard tente de se risquer à aller vers le trash, le poisseux ou vers la lose et ses abysses, aux accents tant psychiques que physiques, sur fond d’electro planante ou explosive quelque peu attendue (bande-son signée Rone), eh bien on se dit qu’un certain Gaspar Noé a déjà, avec ses productions souvent calées hors des sentiers battus (Love, Climax…), bien balisé le terrain à ce niveau-là, façon bord-cadre et bizarreries déviantes. Bref, en se risquant à se la jouer autant « objet modeste », ce film petit qu’est Les Olympiades, avec ses personnages certes attachants mais somme toute assez convenus, finit par ressembler à un honnête téléfilm bien produit captant l’air du temps, rien de plus (du 2,5 sur 5 pour moi), sur fond de féminisme de rigueur et de bienveillance généralisée (le vivre-ensemble serait forcément top…).

Petite note subsidiaire, indépendamment donc de ce film à mes yeux de qualité fort moyenne, après cette grande période de disette cinématographique en salles (fermetures des cinémas successives suite aux divers confinements provoqués par la pandémie de Covid-19), avouons-le, on prend tout de même sacrément plaisir à s’engouffrer dans une salle obscure pour (tenter de) se laisser embarquer par le cinéma.

Les Olympiades de Jacques Audiard, 1h46, avec Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merlant, Jehnny Beth…

 

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« Chloé » (série « Distanciel »), par Thomas Lévy-Lasne, fusain sur papier, 40 x 60 cm.
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L’actrice Noémie Merlant dans « Les Olympiades ».

Moyenne des avis sur cet article :  2.33/5   (6 votes)




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21 réactions à cet article    


  • S.B. S.B. 4 novembre 2021 14:01

    Portrait de la jeune fille en feu (super sédatif, au bout de 20 minutes sommeil de bébé)

    +

    « Émilie rencontre Camille, jeune professeur de lettres cherchant à passer l’agrégation, celui-ci étant attiré par Nora qui, elle-même, en pince bientôt pour Amber, qu’elle va prochainement croiser sur son chemin »

    Il y a des gens qui en parlent très bien :

    https://www.youtube.com/watch?v=bzkJ_I-Js6Y 

     smiley

    Pardon smiley

    (mais c’est vrai)


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 4 novembre 2021 14:03

      @S.B. Pourquoi pas. smiley Bonne référence. Culte !! 


    • S.B. S.B. 4 novembre 2021 14:29

      @Vincent Delaury
      Autre sujet, mais je l’ai découvert il y a peu :selon vous, quel est le film le plus parlant, donc le plus horrible, sur l’esclavage ?


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 4 novembre 2021 15:04

      @S.B. Selon moi, « 12 Years a Slave » (2013) de Steve McQueen, puissant. 


    • S.B. S.B. 4 novembre 2021 16:49

      @Vincent Delaury
      Perdu. 
      https://revusetcorriges.com/2019/01/09/choquant-et-sulfureux-mandingo-de-richard-fleischer-1975/
      Ne pas regarder en hiver (en fait il n’y a pas de saison pour le regarder). 


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 4 novembre 2021 16:51

      @S.B. Merci pour le lien. smiley


    • Nowhere Man 5 novembre 2021 08:51

      @Vincent Delaury
      De l’artisanat hollywoodien formaté pour les oscars. Tellement prévisible que ça en est ennuyeux.
      Le Django de Tarantino est la référence. Son unique film politique.

      Un « nègre de maison » plus abominable que son maitre (Di Caprio génialissime) et qui colle parfaitement à la définition de Malcom X : 
      https://www.youtube.com/watch?v=IAgLORiZqcc

      Une BO comme toujours prodigieuse : inoubliable « Freedom » (de Richie Havens improvisé à Woodstock) au moment de la réddition de Django.

      https://www.youtube.com/watch?v=tf1B9ktRCkg


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 5 novembre 2021 10:13

      @Nowhere Man Il y a en effet de très bonnes choses dans le « Django » de Tarantino. 


    • Harry Kampianne Harry Kampianne 4 novembre 2021 16:40

      Pour moi Jacques Audiard, c’est avant tout « Un Prophète », « Les Frères Sisters », « Un héros très discret » et le merveilleux et romantique « Sur mes lèvres ». Je trouve le reste de sa filmographie beaucoup moins intéressante. Ce n’est que mon avis certes. Par ailleurs, le dernier paragraphe de ta critique confirme bien mon intuition. Du convenu très correct


      • Vincent Delaury Vincent Delaury 4 novembre 2021 16:53

        @Harry Kampianne Harry, You’re Welcome ! smiley

        « Sur mes lèvres » : top, mon préféré. 


      • S.B. S.B. 4 novembre 2021 17:01

        Le mien aussi. Magnifique.
        Féminin, pas féministe (l’art et tous les « istes » font bande à part).


      • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 4 novembre 2021 18:23

        @ V.Delaury

        J’ai toujours eu une faiblesse pour Audiard, son mélange étrange de pudeur, de délicatesse et de violence rentrée. Son talent, à présent que les bons sont partis.

        Et oui, « regarde les hommes tomber » était outre un joli titre un film fulgurant dans les 30 premières minutes (le monologue brillant de Jean Yanne sur les escalators du RER, etc).

        Le reste n’était pas du même niveau, avec un Trintignant bizarrement très en dessous de ce qu’il sait faire, et, à l’inverse, un Kassovitz « pleins phares » qui n’était pas encore devenu l’insupportable donneur de leçons bobo/ gaucho/ Wok/ professionnel de la « rebellitude » qu’il est depuis 10 ans.

        Bref, votre critique ne donne pas envie d’aller voir ce film( une dette de jeu ? Un problème avec le fisc ?)

        Qui, si je comprend bien, parle de choses vides.

        Dans le genre, je préfère le minimalisme puissant de l’envoutante Margo des « Cowboy Junkies » dans

        « I had a dream

        I was a king

        A king of empty things.. etc ».

        Puissant.

        https://www.youtube.com/watch?v=seMQf3P29Nc


        • Vincent Delaury Vincent Delaury 5 novembre 2021 08:29

          @Sandro Ferretti « J’ai toujours eu une faiblesse pour Audiard, son mélange étrange de pudeur, de délicatesse et de violence rentrée. » C’est ça. Bien vu. smiley


        • Fergus Fergus 5 novembre 2021 09:33

          Bonjour, Vincent Delaury

          Comme dit Sandro, votre critique ne donne pas envie d’aller voir ce film.
          J’irai quand même. Plus pour l’ambiance des Olympiades  j’ai habité durant des décennies en bordure de ce quartier où j’ai encore quelques amis  et pour le N&B, un choix qui évite la dispersion d’attention des spectateurs.

          Pour le reste, je ne suis pas du tout branché par Audiard.
          Il est vrai que je n’ai pas aimé Sur mes lèvres, tant cette histoire est invraisemblable. Et je n’ai que moyennement apprécié De battre mon coeur s’est arrêté. Les autres, je ne les ai pas vus : entre des bandes annonces médiocres et des sujets par trop violents, j’ai passé mon tour.


        • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 5 novembre 2021 11:47

          @Vincent Delaury
          Je n’ai vu cet homme qu’une seule fois,

          (j’ai du mal à dire « ce type » le concernant, car tout de même, à moins d’un mètre, il impressionne), environ 1 mn 15 dans un cocktail à la con, le veille des tueries du 13 novembre.
          Il m’a parlé avec une voix extrêmement douce, qui contrastait avec le fait qu’il ne fallait pas être psy pour sentir que c’était une grenade qui pouvait péter à tout moment, et dont la cuiller ne tenait plus que par une goupille usée et bien entamée.
          Si on est plombier, ça ne présage rien de bon.
          Si on est cinéaste, normalement ça fait de beaux films.
          Apparemment pas ce coup -ci.


        • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 5 novembre 2021 12:06

          Une chouette interview de lui sur le film.
          https://www.youtube.com/watch?v=kMh7CWgCJEk


        • Vincent Delaury Vincent Delaury 5 novembre 2021 12:40

          Merci pour le lien. 


        • Sandro Ferretti Sandro Ferretti 5 novembre 2021 13:06

          @Vincent Delaury
          Cette ITW est encore meilleure. Elle remet aussi les compteurs à zéro sur certains mythes et poncifs à 2 balles ( mai 68, etc).
          @ Aita : tu as tort d’opposer les walkyries d’Apocalypse now et Audiard. Il en parle aux 2/3 de l’ITW.

          https://www.youtube.com/watch?v=DzjTy3liPBY


        • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 4 novembre 2021 21:40

          Zzzzzzzzzz....bon dimanche soir sur Arte ils passent Apocalypse now . Du cinoche de chez cinoche . Et pis ça fait au moins 20 piges que je l’ai pas vu .


          • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 4 novembre 2021 22:05

            Core un truc ...Adèle Haenel ...purée...


            • Nowhere Man 5 novembre 2021 13:03

              Jacques Audiard a réalisé magnifiquement le clip du chef d’œuvre de Bashung « La nuit je mens ».

              https://www.youtube.com/watch?v=tf1B9ktRCkg

              Interview très récente de Jacques Audiard qui physiquement ressemble de plus en plus à son père :

              https://www.youtube.com/watch?v=xZnJwuz44pE

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