Lettre à celui qui vient de naître
L'arbre à merveille.
Petit qui viens de naître, pressé sans doute de découvrir ce monde étrange, tu as devancé l'appel en t'offrant une entrée en scène digne d'un empereur romain. Sois le bienvenu ; tu seras aimé autant que tu étais espéré, attendu, souhaité. Le plus délicat reste à faire, il te faut devenir un homme, un humain digne qui ira la tête haute sur les chemins de sa destinée.
Pour célébrer ta naissance, ta mère m'a demandé une étrange offrande, un cadeau porteur de sens et de symbole. Je suis si touché par cette requête qu'il me faut te l'expliquer ici, te transmettre le bâton de parole qui te revient désormais. Quand tu seras en mesure de lire cette lettre, le saule pleureur qui sera tien aura poussé, accompagnant ta croissance, guidant tes premiers pas.
Un arbre pour un nouveau-né ; le cadeau n'est plus habituel même s'il était jadis de tradition dans certaines régions. Ce n'est d'ailleurs pas n'importe quel arbre : c'est le saule pleureur de Saul et Ondine : c'est la volonté de ta mère de puiser tes racines dans l'imaginaire, de prendre le flambeau des récits et des contes, de te faire plus tard, passeur d'émotion. Ne crains rien, je te donnerai la main pour accepter cette mission ; elle n'est pas simple quoiqu'elle soit magnifique et exaltante.
Nous prendrons le temps, au fil de tes premières années, de partager ce goût des mots, cette envie de dire des histoires. Il te faudra entrer dans le monde des mots, pénétrer dans l'imaginaire, oser les récits qui tiennent en haleine ceux qui prennent la peine de se poser et d'écouter celui qui parle. Tu découvriras ce bonheur du don, ce plaisir incomparable d'effacer le réel durant quelques instants.
Ne sois pas effrayé par un tel héritage. Toi aussi tu seras souffleur de vent car chacun dispose en lui d'un talent à découvrir. Rassure-toi, c'est au travers de la force de l'amour qui te sera donné que pourra se transmettre ce mystère. L'arbre puisera ses racines dans la terre où tu vas grandir, c'est de celle-ci que tu nourriras tes récits à venir, ton imaginaire merveilleux.
Tu es né loin de ma Loire, loin des pas de tes ancêtres. Qu'importe, tes racines se confondront avec celles de ton arbre ; tu seras du pays où tu vas grandir. Aime-le, connais-le, apprends son histoire et ses légendes, sois curieux de tout ce qui autrefois se transmettait autour d'un feu de cheminée, dans des veillées où la parole des anciens était encore écoutée. Ton père t'offriras la clef des champs et des rivières, des étangs et des lacs. Puisses-tu découvrir celle des chants et des contes en rêvant sous ton arbre.
Je ne suis qu'un de ces anciens, un parmi une grande cohorte d'aïeux. Ni plus qu'un autre, ni moins. Ma seule distinction est d'être celui qui écrit et qui raconte. C'est pour ça que je te donne en cadeau ce saule pleureur : cet arbre de la vie, ce témoin d'une transmission. Reçois ce présent avec la certitude qu'il sera pour toi héritage bien plus précieux que les richesses de ce monde.
Ne sois pas de ceux qui accordent leur affection à l'aune de la valeur financière des cadeaux que l'on te fera. Tu risques alors de ne jamais apprécier ce curieux personnage qui t'écris ainsi le jour de ta naissance. Car de lui tu ne recevras que des livres et des histoires, des biens immatériels qui se transmettent par la parole et la pensée. Rien de ce qui s'achète n'a plus de valeur que ce qui se donne et se transmet loin des marchands.
Sois le bienvenu dans le monde de la culture et du savoir, de la curiosité et de la nature, du partage et du don. Choisis ton chemin ; il sera sans doute différent de celui que j'évoque ici ; il sera tien et c'est bien là l'essentiel. Je souhaite de tout cœur qu'il porte les valeurs évoquées dans cette lettre bien naïve. Nous ferons tout pour qu'il en soit ainsi , bien certains, cependant, que tu n'en feras qu'à ta tête : les lois de la génétique à n'en point douter.
Sois le bienvenu tout simplement. Où que tu décides de mettre tes pas, tu sais qu'il y aura ce saule pleureur qui t'attendra pour te rappeler que tu t'inscris dans une longue chaîne, une longue histoire qui fait que chaque être humain est ton frère et ta sœur en humanité. À toi désormais d'ajouter un maillon, de ne pas briser les liens qui t'unissent aux tiens et à ceux que tu côtoies. La vie est une lourde responsabilité sans doute mais rien n'est plus beau que la vie.
N'oublie jamais ce vieil homme qui appelait ton arbre « Le saule caresseur ». Reste en harmonie par la nature et les humains. Grandis en ayant en tête qu'il ne faut pas écraser les autres, qu'il n'est pas nécessaire de convoiter les biens des voisins, qu'il est plus glorieux de faire le bien que de semer la désolation autour de soi. C'est dans la pérennité de cet arbre que tu seras, Tom, le porteur de mots.
Nativement sien.
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