Lettre de consolation à un candidat malheureux au prix Goncourt
Cher Emmanuel Ruben :
Donc, malgré tout votre talent, aussi bien comme écrivain que comme fin aquarelliste, et au mépris de votre jeunesse méritante, le jury du prix Goncourt ne vous a pas accordé sa fameuse récompense. Eh bien, tout compte fait, je crois que c’est tant mieux pour vous ! Cela vous empêchera, peut-être (je vous le souhaite de tout cœur), de « faire carrière ». On fait carrière dans la fonction publique, voire dans l’armée ou, à la rigueur, au sein de l’université. Mais un écrivain authentique (et vous l’êtes, je crois) ne se propose jamais de "faire carrière". Il ne reconnaît pas d'autres règles que celles imposées par l’accomplissement de son œuvre, même si cela l'oblige à vivre sous "le système de la pauvreté soumise", prêchée par le Cénacle à Julien de Rubempré dans Les Illusions Perdues. Tout jeune écrivain participant à un concours littéraire devrait savoir par cœur ce chef d'œuvre balzacien. La vraie littérature (je ne vous apprends rien, je l'espère) est autre chose que la course aux prix, à la célébrité et à l’argent. Pour cela, nous avons les courses de chevaux. Or, vous n’êtes pas un cheval, même si les écuries éditoriales et leurs dresseurs vous lorgnent déjà comme un poulain prometteur, quitte, le moment venu, à vous sacrifier si les paris l’exigent. Cela est arrivé à mon ami Claude Faraggi, mort des suites de la rivalité entre Charles-Henri Flammarion et Claude Gallimard. Le compte-rendu de cette forfaiture germanopratine, mal enterrée, dont la lecture pourrait vous être utile afin de vous éviter pareille mésaventure, vous le trouverez dans l’un de mes Pamphlets Parisiens. D'ailleurs, votre éditrice, Mme Françoise Nyssen, bonne cavalière désarçonnée par surprise de sa monture au profit d'Antoine Gallimard pendant la course au rachat de Flammarion, devrait être en mesure de vous instruire, en toute honnêteté, sur la corruption du milieu littéraire et éditorial parisien, corruption aussi abominable que celle dénoncée par Balzac au 19e siècle.
Il y a quelques mois, bien que nous ne nous soyons jamais rencontrés personnellement, vous avez eu la gentillesse et la patience de lire et de corriger, avant sa publication par Sens Public, mon article sur Mme Aurélie Filippetti, (désormais ex-ministre de la Culture), article dans lequel je dénonçais les turpitudes du milieu germanopratin, mêlées à celles du pouvoir politique, manigances visibles surtout au moment des rentrées littéraires. La nouvelle Ministre, Mme Fleur Pellerin, ne semble pas, il faut le dire, beaucoup plus avertie que sa prédécesseure en ce qui concerne la littérature (je vous rappelle que Mme Filippettti est convaincue mordicus que la littérature est faite par les éditeurs et non pas par les écrivains). En effet, Mme Pellerin a admis ne pas connaître Patrick Modiano, le dernier prix Nobel, pâle disciple, ô combien tristounet, de Georges Simenon. Passons rapidement là-dessus, évitant de nous embourber dans le terrain du roman policier, dernier rejeton vivant du genre romanesque, aussi ringard qu'affaibli. Peut-être avez-vous la belle intention de le ranimer avec vos ouvrages. Détrompez-vous, c'est peine perdue. Il vaudrait mieux vous intéresser aux modalités narratives nées avec les nouvelles technologies, comme l'Intertexte, beaucoup plus proches des besoins actuels de notre société. Le roman est irrémédiablement dévitalisé au point qu'aujourd'hui, comme dit Bakhtine, "on appelle roman n’importe quoi". C’est tellement vrai que si Mme Valérie Trierweiler avait eu l’astuce de publier son livre de remerciements à Monsieur François Hollande sous la rubrique « roman », votre mentor, l'inénarrable romancier Didier Decoin, porte-parole de l'académie, n’aurait pas eu besoin d’invoquer sa maman pour proclamer Merci pour ce moment -à l’unanimité, au premier plat du menu du restaurant Drouot- prix Goncourt 2014 ! Alors, cher Emmanuel Ruben, excusez-moi pour cette lettre aux allures de leçon donnée par un vieil écrivain à un jeune écrivain (auquel cas, ce serait à titre gracieux) et permettez-moi de vous inviter à célébrer un autre évènement du mois de novembre bien plus populaire et réjouissant que le prix Goncourt : l’arrivée du Beaujolais nouveau !
Bien à vous,
Roberto Gac
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