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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Littérature de la misère ou misère de la littérature ?

Littérature de la misère ou misère de la littérature ?

Des impostures de l'édition

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(image : les pissotières de la littérature)

Si la France est une patrie littéraire, pour emprunter au titre d’un livre de la philosophe Mona Ozouf, alors il ne faut pas s’étonner que régulièrement s’installent au cœur du débat public des controverses autour de la place et du rôle de la littérature dans notre pays.

Pendant la guerre froide Jean-Paul Sartre en compagnon de route du marxisme, fût-il d’essence totalitaire, et Albert Camus, au nom de valeurs humanistes qui désespérèrent parfois Billancourt, s’affrontèrent, jusqu’à la rupture entre les deux hommes requalifiée, non sans remords, de brouille par Sartre au lendemain de la mort de son cadet. Ce fut sans doute l’apogée du genre tant les deux grands écrivains dominaient la sphère intellectuelle à la fin des années cinquante. Il y eut également la querelle autour du « Nouveau roman » qui, avec Alain Robbe-Grillet, voulait prolonger et concrétiser la réflexion prêtée à Paul Valéry : on ne pourrait plus écrire dans le roman contemporain des phrases comme : « La marquise sortit à cinq heures »

Un coup d’accélérateur ! Dans les années quatre-vingt-dix l’apparition de Michel Houellebecq dérangea un temps le paysage éditorial avant qu’il n’obtienne la reconnaissance tardive de ses pairs (quelque peu imposée, il est vrai, par son succès auprès du public) grâce au prix Goncourt attribué à La Carte et le territoire.

Depuis R.A.S., ou presque, jusqu’à cet article publié au mois de mars par Charles Dantzig dans Le Monde : « Du populisme en littérature »1, l’auteur du Dictionnaire égoïste de la littérature française y dénonce l’invasion d’icelle par le réalisme : « Cette clientèle réclame du réel. On lui en fournit. L’un dans l’autre, ça marche. Asservissons donc la fiction au reportage, la forme à la narration, l’inutile au moral »

Et la littérature dans tout ça ?

Mais qu’en est-il en… région ? La dictature des bien-pensants est telle que l’on ne s’autorise plus à écrire le mot "province" ! Prenons un exemple dans la P.Q.R. (Presse quotidienne régionale), en l’occurrence un quotidien du sud de la France, à trois jours d’intervalle deux comptes rendus de livres sont publiés : Les mains tendues2, Décharges3.

Dans le premier publié aux éditions « Baudelaire », "une histoire vraie et triste", l’auteur ne nous épargne rien des désastres de sa vie, prolixité que l’on peut concevoir puisque la malheureuse a dû verser environ deux mille cinq cents euros à son éditeur pour être publié (l’article reste muet à ce sujet) : accident vasculaire cérébral, famille de tuberculeux, père joueur, coureur, buveur (n’en jetez plus !) poliomyélite, vingt-six opérations en quatorze ans, divorce, fauteuil roulant, etc.

La vieille dame remercie ceux qui lui ont tendu les mains, d’où le titre. Si l’on compatit bien évidemment à ses malheurs, on se pose la question - à la manière de Jacques Chancel dans Radioscopie - : « Et la littérature dans tout ça ? »

La journaliste ne nous en dit rien, mais elle conclut en affirmant que Lyana Hood a écrit sa biographie, heureux de l’apprendre nous qui pensions naïvement qu’il s’agissait de son autobiographie…

Le deuxième ouvrage Décharges, paru chez « Actes Sud », est présenté comme un livre de fin de civilisation, rien que ça ! Il est vrai que : « Des hommes nus couchés sur des litières de cartons dans la bouillasse des rues. Un qui chie debout, la merde jaillie dru d’entre ses fesses blanches  », ça peut le faire ! Dis-moi Céline… Curieusement, il suffirait d’ajouter un point d’exclamation après le titre et d’enlever le s final pour obtenir une injonction : Décharge ! façon Virginie Despentes, auteur révélée par Baise-moi ; si je veux mon neveu !

Chez Lou-Nony, pas d’accident vasculaire cérébral, non… mais la vie d’un jeune tétraplégique dans un établissement de soins pour "fracassés de la vie"… Décidément, les gueules cassées resteront en tête de gondoles en cette veille de rentrée littéraire. Certes m’objectera-t-on le réalisme dans l’art ne date pas d’aujourd’hui, et dans le domaine littéraire, Balzac, Zola ou Louis-Ferdinand Céline, ont des lettres de créance à faire valoir. Sans doute, mais eux possédaient au moins un style. Dans les cas qui nous intéressent on en cherche encore l’avènement.

« Le mélodrame est bon, où Margot a pleuré ! »4, pour le coup ce sont des torrents de pleurs que verseront les lecteurs, et surtout les lectrices, de ces deux tranches de vie. Dommage qu’elles semblent relever, l’une et l’autre, des astuces quelque peu éculées, désormais, du marketing et de sa recherche de cibles. Pour « Baudelaire », un éditeur à compte d’auteur qui, contrairement aux Fusées du poète, n’a jamais décollé, on peut le comprendre, mais pour une maison d’édition renommée, comme « Actes Sud  » cela manque de dignité.

« Quand on peut dire, comme aujourd’hui, que le style est mort, c’est que le nom de littérature s’est éteint » déclarait Jean-Claude Milner5 à l’occasion des dernières assises du roman.

Dans nos deux exemples, est-on dans le registre d’une littérature de la misère ou devant le constat d’une misère de la littérature ? Les deux mon capitaine.

         M. Frontère*

*Dernier ouvrage : Balzac et Zola au miroir d’une mise en scène, publié à compte d’éditeur chez « Publibook », 10 €

Notes

1Le Monde, édition des 18 et 19 mars 2012
2Les mains tendues de Lyana Hood, éditions Baudelaire, 18 € 50
3Décharges de Virginie Lou-Nony, éditions Actes Sud, 18 €
4Alfred de Musset, Après une lecture in « Poésies nouvelles »
5Le français est en train de devenir une langue morte, interview au quotidien Le Monde, édition du 25 mai 2012




 


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7 réactions à cet article    


  • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 9 juillet 2012 10:38

    Pourquoi cette focalisation sur deux titres pour parler de l’édition actuelle en général ?


    • Michel Frontère Michel Frontère 9 juillet 2012 10:45

      Disons qu’il s’agit d’un billet d"humeur consécutif à la parution à trois jours d’intervalle du compte rendu de ces deux livres dans la P.Q.R..

      Si vous avez d’autres exemples de cette littérature que l’on pourrait qualifier de sous-célinienne, c’est-à-dire L-F. Céline sans le style, l’humour et les imparfaits du subjonctif, n’hésitez pas à les citer.

      Je crois que ces tranches de vie encombrent aujourd’hui les rayons des libraires.


      • le hobbit le hobbit 9 juillet 2012 13:36

        Hé bien, je n’aurai qu’un mot, contre le roman réaliste et noir, le roman qui dépeint la misère de la société, lisez les romans irréalistes et drôles, ceux qui ne cherchent pas à coller à tout prix à la vérité, le souci d’objectivité et de vérité étouffe la littérature comme le journalisme.
        Un peu de pub, pour vos vacances, tapez-vous ’ la zygène de la Filipendule’ aux éditions Kyklos, ça déride et ça fait bronzer tout seul.


      • MICHEL GERMAIN MICHEL GERMAIN 9 juillet 2012 14:40

        Bonjour,

        Bien que je m’aventure peu dans le roman proprement dit - je serais plutôt enclin à verser dans les lectures philosophiques - je me suis laissé glisser dans les belles pages du dernier Goncourt, justement (L’Art Français de la Guerre) ; Du ciselé, de la belle ouvrage.

         La philosophie, auto- proclamée « nouvelle », celle des années 90, aurait pu subir les foudres de Marx, dont vous adaptez le titre à la Litterature. JC Michéa, D.R.Dufour et quelques autres dont Michel Henry, hélas disparu, permettent à celle ci le retour de cette lumière d’Humanité dont Camus disait qu’elle était en lui comme en nous tous (Lettres à un ami Allemand, si je ne m’abuse ?). 

        Merci pour votre approche du roman et de sa critique qui, si je vous en crois, se noient ensemble, accrochés l’un à l’autre.


        • Michel Frontère Michel Frontère 9 juillet 2012 14:52

          @Michel Germain : si vous aimez les lectures philosophiques, les romans d’Alberto Moravia devraient vous intéresser car il existe toujours un argument philosophique à l’origine de ses romans, comme dans « 1934 » par exemple.


          • alinea Alinea 9 juillet 2012 17:15

            Vous dénoncez mais vous ne dites pas votre point de vue ; j’en suis frustrée..
            Voulez-vous dire qu’on ne peut échapper à la médiocrité ?
            Que les éditeurs ont perdu leur sens critique ?
            Qu’ils prennent tellement les gens pour des cons qu’ils s’imaginent faire des affaires avec la promotion de tels ouvrages ?
            Ou bien que la littérature, comme tout le reste, est devenue une marchandise jetable.
            Je suis d’accord avec Michel Germain : à échelle d’un être humain, il nous reste encore le bonheur de lire, même de découvrir, des auteurs.
            Bon, personnellement, je n’apprécie pas Moravia, mais, la littérature, c’est comme ça : elle ne fait jamais l’unanimité !


            • Michel Frontère Michel Frontère 9 juillet 2012 18:21

              Ce que je pense se retrouve dans une interview de Fabrice Luchini au Monde, édition des 28 et 29 décembre 2008, je cite :

              - Question (Fabienne Darge) : vous dites que c’est pour résister au complot de la bêtise et de la médiocrité que vous avez conçu votre spectacle...

              -Fabrice Luchini : Pour résister, oui, à la haine de l’intelligence, partagée par la gauche et la droite. La gauche parce qu’elle refuse l’excellence au nom de l’égalité, la droite parce qu’elle est obsédée par les contingences matérielles, la gestion, le rendement, et qu’elle ne voit l’art que comme un objet de consommation. Je voulais faire un spectacle agressif contre l’époque, cette époque que je déteste, que je trouve démagogique : à gauche, le nivellement par le nombre, à droite - cette droite actuelle [on est en 2008], affairiste et vulgaire, l’exploitation par l’abrutissement.

              (Fin de citation, merci monsieur !)

              Quand j’ai repris des études de lettres modernes à Montpellier en 2005, un jeune professeur, très brillant, m’avait dit en me rendant une composition : « J’aime bien votre style et votre lyrisme mais, méfiez-vous ! il y en a ici auprès de qui ça ne passera jamais. »

              Je rêve d’écrire un récit autobiographique imprégné de lyrisme, récit destiné à mettre en beauté les années de mon enfance et de ma pré-adolescence et je me dis en même temps, quel intérêt de prendre 3 ou 4 ans pour écrire dans un français châtié, et j’espère impeccable, ce récit, alors que les éditeurs n’en voudront pas tandis qu’ils publieront un roman mal écrit, qui racontera une tranche de vie sordide de la première déjantée qui se présentera à eux.

              Il existe un snobisme du nivellement par le bas comme il a pu exister un snobisme tel que celui décrit par Boris Vian dans sa chanson. Tel est le sens de mon article.

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