Lockwood and Co : une série Low-tech Punk !
J’ai visionné pour vous la série Lockwood and Co, adaptée des romans de Jonathan Stroud. Elle ne manque ni de sel ni de sens. Voici pourquoi.
L’intrigue pourrait paraître banale, tout juste bonne pour un public ados ou young adults amateur de Fantastique pas trop prise de tête. Et d’ailleurs, certaines critiques acerbes sur internet vont dans ce sens. Pour ceux qui ne l’ont pas visionnée, je la résume à grands traits : dans un Londres où les rues sont envahies par des esprits terrifiants, une petite agence de chasseurs de fantômes officie, en les concurrençant, à côté d’organisations plus puissantes et plus anciennes. Cette PME de « ghostbusters » est composée de trois membres : deux ados garçons, Anthony Lockwood, le chef de l’agence, et George Karim, plus intello, plus scientifique, et surtout, Lucy Carlyle, jeune fille talentueuse avec des facultés psychiques extraordinaires : elle peut converser avec des spectres ordinairement muets. Comme pour les autres entreprises, la mission de Lockwood and Co consiste à traquer et à neutraliser les fantômes qui hantent la ville. À noter que seuls des enfants ou des adolescents peuvent assurer ce type de mission, car les adultes perdent toute capacité à entendre ou à voir les fantômes.
Bien évidemment, ce ne sont pas les scènes de bagarre entre les trois ados et les fantômes (ou les conflits avec de gros méchants complices des spectres) qui ont le plus retenu mon attention. Dans ce type de série grand public, ce ne sont pas forcément les scènes d’action qui constituent le meilleur même si les spectateurs ont tendance à se focaliser sur ces moments.
Au contraire, ce que j’ai trouvé saisissant, c’est le contexte fictionnel, le décor général de l’œuvre. Les romans de Stroud, comme la série, se situent dans une uchronie, autrement dit nous sommes à notre époque sans y être, car le Grand Problème (l’envahissement de la société par les spectres) a entraîné une stagnation, voire une régression technologique spectaculaire. Et c’est là que se situe précisément le côté low-tech punk de la série, même si ses créateurs, pas plus que Stroud lui-même, ne revendiquent cette étiquette, encore un peu marginale de nos jours. Et pour ceux qui ne savent pas ce qu’est le paradigme artistique low-tech punk (terme inventé par le futurologue Arthur Keller), je les renvoie à mes articles.
Science-fiction : Lowtechpunk résilient VS Steampunk frelaté - AgoraVox le média citoyen
En effet, dans la curieuse uchronie de Stroud et de ses adaptateurs, tout semble figé dans des sortes d’années 1980, voire 1970. Vous n’y verrez aucun adolescent zombifié le nez dans son portable, les recherches historiques de George Karim se déroulent dans des bibliothèques, l’internet et les réseaux sociaux n’existent nulle part, les contrats sont signés sur du papier, les téléphones domiciliaires sans fil sont de gros haricots à antenne rétractable comme nous en avions dans notre jeunesse (et j’ai 56 ans), tout au plus y a-t-il quelques appareils électroniques avec de tout petits écrans de verre comme les SMT Goupil de mes années collège. Seuls comptent la force physique, l’intelligence naturelle et les talents parapsychiques des adolescents chasseurs de spectres. Et là, pardonnez-moi de prêcher pour ma chapelle de collapsologues, c’est précisément ce type de monde dont je pressens l’avènement, mettons, dès la seconde moitié de notre siècle : un monde, vous l’aurez compris, totalement low-tech punk.
Un détail, notamment, frappe l’esprit. La quasi-totalité des combats se déroule à l’arme blanche. Non seulement les combats contre les fantômes qui ne peuvent être annihilés que par ce type de défense (et c’est pourquoi les jeunes héros ne sortent jamais sans leurs rapières), mais aussi les combats contre les méchants humains, qui utilisent eux aussi un attirail entre Moyen Âge et Siècle des lumières. Seul le sinistre Lame Dorée, dans le dernier épisode, se sert d’un pistolet, et encore pas un pistolet très perfectionné, pour tirer sur Lockwood, qui se retrouve légèrement blessé à la clavicule.
J’ai coutume de dire qu’il n’y a pas de hasard dans le monde des idées, qu’il y a au contraire un Zeitgeist, un esprit du temps, un bourdonnement d’idées en attente de coagulation. Il me semble, ainsi, que Stroud et ses émules de Netflix ont transposé dans leur étrange et fascinante uchronie fantomatique une sorte de préfiguration, consciente ou inconsciente, de ce qui sera notre avenir sur Terre. Personnellement, cet avenir résilient, plus écosophique, ne m’effraie pas trop. J’ai même tendance à le trouver attrayant.
Florian Mazé
Auteur low-tech punk
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