Lorsque les femmes reproduisent la culture de la masculinité !
Fairouz Recham, est romancière et académicienne. Maître de conférences à la faculté de lettres et de langues à l’Université de Bouira (Algérie). Elle vient de publier "Honorée par ton départ", un roman et "Poétique des genres littéraires dans la littérature arabe : Le cas de Nizar Kebbani". Connue par ses articles et sa présence dans les séminaires et congrès internationaux, Fairouz Recham est l’une des intellectuelles algériennes intéressées par la cause féminine.
Dans votre roman « Honorée par ton départ », paru dernièrement en Jordanie, vous avez posé un regard courageux et profond sur la radicalisation religieuse et ses conséquences désastreuses sur la société et particulièrement sur la condition féminine. Quels sont les méfaits de ce fléau sur le plan psychologique et sur le plan social ?
L’extrémisme religieux n’a pas corrompu seulement les mentalités et les comportements mais il a troublé les relations sociales d’une manière inimaginable. Il a compliqué davantage la vie des femmes. A cause de cette nouvelle compréhension de la religion qui ne fait pas encore l’unanimité, la famille algérienne vit des déchirures et des divisions dangereuses. Cette nouvelle religiosité est apparence plus que spiritualité. Ce qui a généré un comportement qui n’a rien à voir avec la foi affichée. Une schizophrénie. Ce fanatisme religieux extrémiste menace les hommes comme les femmes dans leurs simples libertés individuelles. Mais plus dangereuse encore la conséquence de cet état de choses sur l’éducation des enfants. Malheureusement, les méfaits psychologiques et sociaux engendrés par dix ans de massacres en Algérie sont aujourd’hui visibles à l’œil nu.
Les histoires des individus sont la vraie histoire des sociétés, écrivez-vous au début de votre roman, l’histoire de Fatma zahra est-elle celle de la société algérienne ?
Effectivement, ce roman n’est pas seulement l’histoire d’une femme qui a souffert de la violence familiale, subi les lois d’une société patriarcale. Il met en lumière les changements profonds qui ont touché la structure de la société algérienne, ainsi que la mutation de ses perceptions, ses comportements quotidiens, sa culture. En un mot, telles sont les conséquences de la radicalisation qui a frappé le pays durant et après la décennie noire. J’ai essayé à travers ce roman de questionner plusieurs angles de la souffrance féminine en commençant par les violences physiques et morales, son exploitation matérielle, la confiscation de sa liberté d’expression, de sa relation avec son corps. Et d’autres questions ; le voile, l’insatisfaction sexuelle, la fragilité de la structure conjugale, le divorce…
N’est-il pas évident que la condition de la femme sera meilleure après avoir imposé son droit à l’éducation, au travail ?
Il est vrai que la femme a milité, elle eu le droit de s’instruire et travailler, mais cela ne veut absolument dire que sa souffrance est derrière elle. Je traite aussi dans le roman un phénomène très répandu mais resté tabou, c’est l’exploitation financière des femmes salariées par leurs maris. Pour pouvoir travailler, elles sont obligées de renoncer à leur salaire tout entier au profit du mari pendant toute leur vie professionnelle. Ne soyez pas surpris, si vous savez qu’une professeure universitaire, une femme médecin ou une avocate n’a pas le droit de gérer son argent, pire encore, parfois elles s’endettent pour satisfaire des besoins nécessaires comme payer les soins d’une maladie chronique !
Ne sont-elles pas responsables de leur condition sociale ?
Oui bien sûr, elles sont, dans un sens, responsables de leur sort. Il est vain de continuer à jouer le rôle de la victime opprimée par le mâle et la société car cela n’aboutit à rien, voire à plus d’humiliation. Telle est la conclusion de fatma Zahra, après avoir expérimenté toutes formes de violence.
Mais que pourrait-elle faire Fatma Zahra ?
Si elle le voulait, la femme pourrait changer le cours de l’Histoire, mais le problème c’est qu’elle ne croit pas encore en ses capacités à renverser la table. Il est difficile d’évoquer la libération de la femme de la prison de cette culture phallocratique humiliante et misogyne si elle-même croit qu’elle est déficiente dans sa religion et dans sa raison et qu’elle est une honte, uniquement créée pour la procréation. Beaucoup de femmes reproduisent elles-mêmes la culture patriarcale. Façonnées, formatées par le patriarcat, ce dernier est devenu selon elles comme la norme naturelle. Cela dit, on ne peut avancer que seuls les hommes sont responsables de la condition pitoyable des femmes. En partie, elles sont responsables de leur condition. Mais en l’absence d’une certaine mesure qui garantirait le dialogue et le respect entre la femme et l’homme dans les sociétés arabes, tous les deux se retrouvent malheureux en fin de compte. Selon moi, l’ennemi de la féminité n’a jamais été l’homme, mais l’ignorance. Et on peut même dire que l’homme est lui aussi victime d’une culture pérennisée par les femmes. C’est l’ignorance qui a poussé les gens à embrasser des idées religieuses extrémistes qui compliquent davantage la relation entre les deux sexes.
Vous évoquez dans votre roman d’une façon émouvante la souffrance d’une femme atteinte d’un cancer du sein…
La vie d’une femme est très courte dans notre culture, elle commence par la puberté et se termine avec la ménopause. La société n’attend d’elle que de jouer son rôle social, rien d’autre, même aux dépends de sa santé et de ses rêves. La société arabo-islamique n’a pas d’estime pour les femmes malades. Les femmes atteintes de maladies chroniques souffrent doublement dans ces pays. Le cancer du sein est une maladie très délicate car elle touche d’une façon directe la féminité de la femme. Et il est tres difficile de décrire la souffrance, psychologique et sociale, que vivent les femmes qui subissent l’ablation d’un sein. Dans ces contrées, la femme est déjà mal vue quand elle est entière, en bonne santé. C’est une catastrophe si elle est malade, pire encore si elle perd un sein !
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