Los abrazos rotos –Etreintes brisées- de Pedro Almodovar
Gros plan. Un oeil qui lit. La caméra d’Almodovar entre en jeu. Elle en appelle à tous les sens de son spectateur.

Matteo Blanco -ou Harry Cain- est un scénariste/réalisateur de renom. Depuis sa cécité, il se contente d’écrire des scénarios sous son pseudonyme, Harry, tout en ayant des aventures sans lendemain. La nouvelle du décès d’un célèbre homme d’affaires -Ernesto Martel- suivie de la visite d’un mystérieux "Ray-X" appellent à lui des souvenirs vieux de 14 ans. C’est là que commence l’histoire de ces "étreintes brisées".
Le flash-back auquel procède Almodovar n’étonne pas les aficionados des films du réalisateur espagnol. Ce n’est en effet pas la première fois que ses personnages semblent, sinon gouvernés par leur passé, du moins rattrapés par lui. Pas de surprise non plus côté casting : Penélope Cruz, Lluis Homar et Blanca Portillo, tout comme d’autres personnages secondaires du film, ont déjà été vus dans « Volver » ou « La Mala educacion » pour ne citer que les dernières réalisations. On le sait, Almodovar aime s’entourer des mêmes équipes et ce jusqu’au signataire de la Bande Originale, à savoir Alberto Iglesias. Pourtant, le film tient en haleine, émeut, accroche jusqu’au dernier plan. Almodovar semble y poursuivre une réflexion sur le cinéma qu’il a ébauchée dans « La Mala educacion » en réitérant le procédé de la mise en abîme. Un hommage au septième art que l’on retrouve à travers des scènes comme l’auto-doublage auquel procède Lena (Penélope Cruz) ou la scène finale du film, dans ce montage en aveugle qu’entreprend Matteo (Lluis Homar), déclarant qu’il faut toujours finir un film « même en aveugle ». Le tout est sous-tendu par des scènes d’une rare beauté, où l’on retrouve la griffe du réalisateur espagnol. Seule la caméra d’Almodovar semble alors capable de donner à de vulgaires clichés de radio l’esthétique d’un tableau, ou encore caresser à travers le regard de son actrice principale un paysage naturel à couper le souffle. Subjectif, audacieux, le réalisateur n’hésite pas à introduire des tableaux noirs au moment où Harry prend la parole pour la première fois depuis sa cécité. Le film semble d’ailleurs obéir à une logique binaire des sens : une partie de l’œuvre est en effet gouvernée par la vue, à travers les décors, la caméra omniprésente, les couleurs et les clichés, réduits en miette, épaves d’un passé que l’on tente d’oublier, reconstruits comme un puzzle vers la fin du film. L’autre partie est un hymne au toucher et tout ce qui passait jusque-là par le regard, l’écran froid d’une télévision compris, se transforme dès lors en sensation sous les doigts de Harry Cain. Les émotions deviennent alors tactiles, à l’image de ces étreintes voulues ou imposées, brisées par la volonté ou par la fatalité.
Ce que l’on aime dans les films d’Almodovar, c’est qu’il n’y a pas de morale à la fin, aucune leçon à tirer, sinon peut-être de laisser triompher les émotions. Le cinéma en est une.
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON