Louise Michel, un sacerdoce révolutionnaire
Louise Michel (1830-1905) passe à la postérité comme « l’égérie » de la Commune de Paris, ce carrefour tragique où « se croisèrent l’Europe romantique et révolutionnaire ». Cette femme de coeur, passionnée de justice et de liberté, en fut longtemps la mémoire vivante. « Sa ligne de vie est un pointillé de détention et de révolte » rappelle la journaliste Judith Pérignon qui lui consacre un essai co-édité avec France Culture.
Sur les barricades de la Commune de Paris (mars-mai 1871) comme à son procès, Louise Michel lança son cri inoubliable : « Puisqu’il semble que tout coeur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! » Depuis cet appel au martyre, son nom figure au fronton de près de deux cents écoles de la République. Cette combattante de la liberté qui suscite une si étrange célébration républicaine, d’ores et déjà promise au Panthéon après avoir été considérée comme une « pétroleuse », laisse aujourd’hui une image bien trop lisse et polie pour être « vraie »...
En vérité, cette « icône ardente » de la Commune, dont elle fut l’une des figures les plus irréprochables, demeure irréductible à tous les clichés de son temps comme à ceux d’après. Victor Hugo disait d’elle : « Elle est plus grande qu’un homme »... Femmes d’action et de lettres, l’institutrice communarde, en porte à faux avec le Second Empire comme avec la République, a mené tambour battant une vie « en rouge et noir ». Elle l’imaginait installée en « république des lettres », à travailler les consciences par le pouvoir mobilisateur des mots pour faire advenir une « émancipation universelle ».
Le Rouge et le Noir
En 1850, une poétesse de vingt ans écrit ses premières lettres à son grand homme d’alors, Victor Hugo (1802-1885), dont la fille Adèle (1830-1915) a son âge. L’année suivante, Louise vient le visiter à Paris avec sa mère, alors que se précise la menace du coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte (1808-1873).
Louise avait eu une première « vie de château » : elle était née le 29 mai 1830 dans celui de Vroncourt, en Haute Marne, des oeuvres de la servante Marie-Anne Michel et de « père inconnu » - probablement le fils des châtelains... Mais cette vie-là finit précisément en 1850, avec le décès du châtelain et la mise en vente du domaine.
Dans la France du Second Empire, Louise devient institutrice pour « gagner sa vie » - et par vocation aussi. Pour ne pas prêter serment au régime, elle crée une école libre pour filles dans le village d’Audeloncourt et leur fait chanter La Marseillaise « avant l’étude du matin et après l’étude du soir ».
Elle publie aussi des histoires dans le journal local de Chaumont – dont une, parlant de martyrs au temps de l’Empire romain, lui vaut « convocation du préfet pour insulte à Sa Majesté l’Empereur ». Menacée de bagne, elle se proclame « républicaine » - et « rouge ». Institutrice à Montmartre à partir de 1853, elle pratique la poésie comme le « langage naturel des classes populaires » et poursuit une correspondance enflammée avec Hugo exilé à Guernesey – elle signe ses lettres « Enjolras », d’après le personnage de l’étudiant révolutionnaire campé dans Les Misérables (1862). Elle a quarante ans bien sonnés lorsqu’elle se lance à corps perdu dans « l’expérience autogestionnaire » de la Commune de Paris, cette insurrection populaire surgie le 18 mars 1871 des décombres d’une guerre perdue contre la Prusse – « il était question de socialisme, c’était vague encore le socialisme, c’était l’utopie, l’impossible rendu possible » souligne Judith Pérignon.
Mais son « utopie » à elle, c’est simplement l’espoir d’une alternative tangible et vivable. « Amoureuse » ( ?) du jeune militant blanquiste Théophile Ferré (1846-1871), elle crée avec lui le comité de vigilance de Montmartre, avec la bénédiction du jeune maire Georges Clémenceau (1841-1929). Déjà, il était question de « changer la vie » selon la formule du Rimbaud (1854-1890) encore adolescent ou sur l’air du Temps des cerises, composé cinq ans auparavant par Jean-Baptiste Clément (1836-1903). Les armes à la main, elle tente de défendre le « projet révolutionnaire » qui s’ébauche à Paris. Ambulancière et infirmière, Louise court aussi au ravitaillement pour ses élèves – l’instruction pour les filles « à égal degré » est sa revendication féministe. Ils sont arrêtés lors de la Semaine Sanglante. Théophile est passé par les armes sur le plateau de Satory. Louise se constitue prisonnière afin que sa mère ne soit pas arrêtée à sa place... Devant ses juges du conseil de guerre, le 16 décembre 1871, l’institutrice de Montmartre se présente vêtue de noir, portant le deuil de la révolution depuis l’assassinat du journaliste Victor Noir par un cousin de l’empereur. Elle se revendique « femme de la Révolution sociale » et lance : « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ! ».
Avec elle, plus de trente-six mille camarades de combat (dont 1050 femmes) sont jugés par les tribunaux militaires. Le conseil de guerre lui reproche notamment d’avoir « excité les passions de la foule, prêché la guerre sans merci ni trêve, et, louve avide de sang (...), provoqué la mort des otages par ses machinations infernales »... Elle avait aussi appellé à assassiner le nouveau président Adolphe Thiers (1797-1877) réfugié à Versailles, se portant même volontaire pour l’exécution de la sentence... « La bourgeoisie meurtrière de Paris n’avait pas osé l’assassiner » constate Emma Goldman (1869-1940) dans ses Mémoires – sans doute spéculait-on sur la mort à petit feu au bagne...
Condamnée à la déportation, Louise part pour celui de Nouvelle-Calédonie. Elle devient l’institutrice des Caldoches et des Kanaks dont elle apprend la langue. Pendant ses sept années d’exil, elle collecte le matériau pour un recueil de Légendes et chansons de gestes canaques, qui paraît en 1885.
Après le vote de l’amnistie plénière, elle fait un retour triomphal à Paris durant l’automne 1880 et reprend son sacerdoce révolutionnaire, affolant les indics infiltrés dans ses meetings et suscitant l’adoration des foules vénérant leur Mère Louise bien aimée : « Louise Michel se définit désormais comme anarchiste. C’est un mot qui prend forme. Un danger si l’on s’en tient aux rapports de police. Le chaos d’un monde sans loi, a toujours prétendu la République. »
L’ancienne blanquiste devenue théoricienne de l’anarchisme organise sa vie en métropole sous le drapeau noir, en signe de deuil pour tous ceux qui sont tombés au combat : « Quand elle n’est pas chez sa mère, Louise habite chez Marie Ferré, 76, rue d’Aboukir. Depuis toujours maintenant, elle vit avec des femmes, des institutrices, des prisonnières, des bagnardes. On a vu surgir le mot de « gougnotte » dans l’un des rapports de police qui a précédé son retour. Puis rien ensuite. L’intimité de Louise Michel excite pourtant la curiosité des policiers. On imagine la chose, sans la nommer. Mais qu’est-ce qui la lie à Marie Ferré ? Est-ce la mort de son frère Théophile que Louise Michel a vécu comme un drame personnel ? »
L’école de Louise Michel
Louise fascine les agents attachés à sa surveillance par sa détermination altière : « Elle ne veut pas d’apaisement. Sa colère est son oxygène. »
Remise en prison pour « incitation au pillage », suite à une manifestation s’achevant en vol de pain (1883), elle refuse toute mesure de clémence. Clémenceau et le polémiste Henri Rochefort (1831-1913) interviennent pour la « faire sortir » - il s’agit de « passer à autre chose que la révolution »... Elle fait savoir qu’elle refuse « la grâce présidentielle », se réfugie dans l’écriture de ses Mémoires, et aussi de livres pour enfants ou de romans : « j’essaie de souffler dans le coeur des hommes l’amour de la révolution. Ne me plaignez pas, je suis plus libre que beaucoup de ceux qui se promènent à ciel découvert. Ceux-là sont prisonniers par la pensée. Ils sont enchaînés par la propriété, par leurs intérêts d’argent, leurs tristes nécessités de vie. Ils sont absorbés au point de ne pouvoir vivre en êtres humains, en êtres pensants. Moi, je vis de la vie de ce monde. »
Sa passion de l’éducation comme levier de transformation sociale renforce son combat pour un monde plus juste – elle cosigne un Manifeste de l’éducation intégrale avec Elisée Reclus (1830-1905), Pierre Kropotkine (1842-1921) et Léon Tolstoï (1828-1910). Pour elle, « les femmes ne doivent pas séparer leur cause de celle de l’humanité mais faire partie militante de la grande armée révolutionnaire ». En janvier 1888, alors qu’elle donne une conférence au Havre, un nommé Pierre Louis tire deux coups de pistolet sur elle. Une balle se loge dans sa boite crânienne et s’avère impossible à extraire. Louise se refuse à porter plainte, exige de sortir de l’hôpital pour déposer en faveur de l’individu – et gardera la balle dans son crâne jusqu’à sa mort...
Le 1er mai 1892, elle prononce un discours à Hyde Park et rencontre la jeune Charlotte Vauvelle (1867-1934) qui « vivra avec elle jusqu’à sa mort » - présentée comme « compagne », elle devient son exécutrice testamentaire. Qu’occulte son surnom de « Vierge rouge », que lui a décerné le poète Paul Verlaine (1844-1896) ?
Plutôt « Muse rouge », elle passe pour« mi-sainte, mi-folle » aux yeux de ses « amis » de gauche, plutôt embarrassés tant par sa radicalité que par son intégrité. Son livre sur La Commune, paru en 1898, réalise la connexion profonde entre la militante qui en témoigne et la femme de lettres qu’elle n’a cessé d’être. Fragile des bronches, elle meurt d’une congestion pulmonaire à Marseille le 9 janvier 1905, lors d’une éprouvante tournée de conférences. « Deux cent mille personnes » suivent ses funérailles le 22 janvier jusqu’au cimetière de Levallois-Perret, d’après Séverine (1855-1929) qui prononce son éloge funèbre et lui consacre bien des articles encore, tout au long de sa vie de journaliste au service de la justice sociale, rappelant tant la témérité que l’inaltérable sérénité de son aînée – et son air de drapeau noir toujours tendu vers l’amour de son prochain : « Cette femme, qui vécut sans amour, était un miracle d’amour. » Mais elle était « possédée », comme habitée par une mission – un amour vrai, qui fait toujours sa Légende, qui a fait dire qu’elle n’a toute sa vie « poussé qu’un seul cri, celui du peuple »...
Judith Pérignon, Notre guerre civile, Grasset/France Culture, 224 pages, 20 euros.
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON