M. Souiri : 40 ans voués à un dictionnaire amazigh
Qui n’aurait pas aimé, parmi les Amazighs et même les amazighophiles, avoir à la portée de la main un vrai dictionnaire qui engloberait au moins une grande part des richesses de la langue amazighe ? Excepté les anti-amazighs déclarés ou cachés, ce qui est somme toute normal, beaucoup de gens n’y trouveraient rien à redire. Bien plus, ils applaudiraient même des deux mains une telle idée. Et bien, voilà un parfait inconnu, professeur d’enseignement secondaire de son état, et originaire de la petite ville d’Essaouira -anciennement Mogador- qui relève ce défi. Et de quelle manière !
Retenez bien son nom ! Il s’agit de Mohamed Tayeb Souiri. Un arabisant plus que confirmé. Et pour cause, il a enseigné la langue arabe et ses lettres pratiquement toute sa vie. En fait, selon son collègue et ami, Mohamed Hifad, il est devenu professeur par le plus grand des hasards. Après avoir écumé toutes les écoles coraniques du Haut-Atlas occidental, son destin était déjà tout tracé : devenir dans les meilleurs des cas un simple fquih dans les nombreuses petites mosquées villageoises de sa lointaine région natale.
Pour autant, une petite visite d’un parent à Casablanca allait tout chambouler. Désormais, la vie du jeune clerc ne serait plus la même. En effet, elle a pris un autre tournant. Radical celui-là. Et c’est le moins que l’on puisse dire. En fait, son entourage lui a suggéré, le plus casuellement du monde, de profiter de son séjour dans la capitale économique pour passer le baccalauréat. Ce qu’il a bien évidemment fait sans trop d’hésitation. L’ayant bien naturellement obtenu, il s’est dirigé vers le Centre pédagogique régional (CPR) de la même métropole marocaine. Et ce, pour devenir enseignant d’arabe. Un métier qu’il exercerait pendant près de quatre décennies.
Une vie, une immense œuvre
Actuellement retraité et âgé de 66 ans, il continue toujours de travailler, sans tambour ni trompette, sur l’œuvre de sa vie : son dictionnaire amazigh. « Je me réveille et je dors avec ce travail », dit-il le plus simplement du monde. C’est peu dire que c’est une tâche plus que monumentale. Une œuvre que l’Histoire va certainement célébrer de la meilleure des manières. Si bien évidemment, entre-temps, les plus concernés, en l’occurrence les Amazighs, ne disparaissent pas de la face de la terre. Espérons juste que ce ne soit pas le cas !
Mais comment M. Souiri a-t-il eu une telle idée ? En fait, il a commencé la réflexion sur le sujet au tout début des années 60. Parce que pour lui, « une langue sans dictionnaire n’en est pas une ». D’où l’enthousiasme, l’énergie, la passion et surtout la patience qu’il a mis dans la concrétisation de ce projet unique en son genre. Et ce, « pour le seul et unique service de la langue amazighe dans son immense diversité et sa richesse », en reprenant sa propre expression. Résultat des courses : il en est maintenant à quelque 15 mille pages. Énorme, n’est-ce pas ?
Mais il y a un hic, tout autant énorme. En fait, pour publier un tel ouvrage, plusieurs volumes seront impérativement nécessaires. Autrement dit, il faudra de l’argent, beaucoup d’argent. À la question s’il avait contacté le fameux Institut royal, plus connu sous le sigle, l’IRCAM, pour une éventuelle publication, M. Souiri répond par l’affirmative. Mais enchaîne-t-il, un tantinet ironique et sans amertume aucune, « je ne pense pas que mon ouvrage intéresse outre mesure les responsables de cette honorable institution. Apparemment, ils ont d’autres chats plus importants à fouetter ».
Que faut-il faire alors pour qu’un tel travail sorte et ne reste ad vitam aeternam prisonnier de la bibliothèque personnelle de notre professeur ? Il faut certainement un mécène et même plusieurs pour assumer les charges d’une telle entreprise. En tous les cas, M. Souiri est plus que ouvert à toutes les propositions. Sérieuses bien naturellement. Pour ce faire, il n’y pas un million de possibilités : il faudra juste prendre contact avec lui. N’hésitez surtout pas. M. Souiri est un grand modeste devant l’Éternel, comme le qualifie si bien son ami, M. Hifad. Apparemment, il a fait sien un proverbe amazigh fort connu : c’est celui qui parle le moins qui agit le plus, et non pas le contraire.
Mais alors, comment a-t-il rédigé son dictionnaire ? Il faut, tout d’abord, préciser que c’est l’alphabet arabo-araméen qui est utilisé à défaut de mieux. En lui apportant quelques modifications ponctuelles pour bien l’adapter aux sons amazighs. Comme il le reconnaît lui-même, très humblement, il ne maîtrise pas d’autres transcriptions pour en faire usage. Toujours est-il que chaque entrée, ce qui est quand même un fait unique, est expliquée assez longuement en une langue amazighe des plus châtiées. « L’arabe n’est utilisé que comme une langue d’appoint. Et ce, pour expliquer davantage les nuances de tel ou tel mot », explique-t-il doctement. D’ailleurs, fait-il remarquer tristement, « c’est vraiment désolant que l’on soit souvent obligé de passer par une langue étrangère pour expliquer la nôtre. Et j’en fais l’expérience chaque jour en cours de mes recherches avec les locuteurs amazighs ».
En attendant... un éditeur !
Justement, comment procède-t-il dans ses recherches ? En fait, tout pour lui mérite attention. Il ne néglige jamais rien. Mais l’essentiel provient de l’héritage oral et de la langue de tous les jours et de tous les parlers amazighs sans exclure aucun. Quid alors de ce fameux patrimoine amazigh écrit surtout dans le Souss ? S’est-il appuyé dessus ? L’a-t-il consulté ? M. Souiri n’y va par quatre chemins. Son jugement est sans appel. En connaissance de cause bien sûr. « Il est extrêmement rare, regrette-t-il, de trouver quelque chose de bien intéressant dans ces ouvrages majoritairement religieux. En fait, c’est de l’arabe amazighisé. Ni plus ni moins. Aucun effort, si petit soit-il, n’est fait dans l’écriture en langue amazighe. Bref, cet héritage est en grande partie d’une extrême indigence linguistique. »
En réalité, M. Souiri, avec un franc parler qui ne le quitte jamais, n’est absolument pas tendre avec les Amazighs. « Ils ont, de tout temps, apporté énormément aux autres langues avec lesquelles ils étaient en contact. Mais ils ont été incapables d’apporter quoi que ce soit à la leur », ajoute-t-il avec une intonation de voix qui cache mal la désillusion du connaisseur.
Espérons juste que son dictionnaire va provoquer des vocations. Et pourquoi pas inciter davantage les Amazighs à se remettre fondamentalement en question et, par voie de conséquence, se départir de cette maladive et malheureuse tendance à se donner corps et âme aux autres cultures étrangères. Hélas, toujours au détriment de la leur. Pour cela, il n’y a pas vraiment de miracle. Il faut tout d’abord, à mon humble avis, que l’ouvrage de M.Souiri voie le jour. Autrement dit, il faut qu’il soit publié. Le plus tôt sera le mieux. Illico presto. Car, vous n’êtes pas sans savoir, chers lecteurs, la précieuse plus-value que cela va apporter au développement de la production littéraire amazighe.
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