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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Mademoiselle Capet

Mademoiselle Capet

N’en déplaise aux « gens de la haute », il arrive que les amours ancillaires puissent engendrer des êtres surdoués. Marie-Gabrielle Capet, peintre de son état, en fut une preuve éclatante, et l’oubli dans lequel son nom est aujourd’hui tombé est une criante injustice qu’il convient de réparer en urgence alors que l’art, au détriment des créateurs de talent, se vautre désormais de plus en plus souvent dans la provocation et la décadence...

« L’oubli drape les morts d’un second linceul » disait Lamartine. Le poète avait raison et c’est parfois avec une grande tristesse que l’on mesure, à la lecture d’un texte ou en admirant une toile, à quel point notre mémoire collective peut être sélective, injuste et, circonstance aggravante, misogyne. Car, en matière d’art, ce sont bien souvent, à talent égal quand ce n’est pas moindre, les hommes qui entrent au panthéon quand les femmes sont éconduites et, par indifférence coupable ou volonté délibérée, rejetées dans des limbes qu’elles n’auraient jamais dû quitter.

Marie-Gabrielle Capet naît à Lyon, le 6 septembre 1761, d’un père domestique et d’une mère servante. Fille de gens de maison, rien ne la prédisposait à manier le pinceau et, a fortiori, à faire carrière dans la peinture. On ignore qui donne à la jeune fille sa formation picturale initiale, mais une chose est sûre, Melle Capet est d’ores et déjà une remarquable pastelliste lorsqu’elle monte à Paris en 1781 pour se perfectionner au contact d’un Maître reconnu et tenter de vivre de son art.

La jeune Lyonnaise est accueillie dans la capitale par l’une des grandes dames de la peinture française, Adélaïde Labille-Guiard, qui, au vu de son travail, l’accepte sans la moindre hésitation comme élève dans son atelier. Une élève douée qui prend rapidement le pas sur les autres protégées de Labille-Guiard, parmi lesquelles les talentueuses Marie-Victoire d’Avril et Marie-Marguerite Carreaux de Rosemond.

Quelques mois seulement après son arrivée à Paris, Marie-Gabrielle expose dessins et pastels au Salon de la Jeunesse. Un salon où elle revient les années suivantes avec des huiles sur toile et de nouveaux pastels qui lui valent rapidement une flatteuse notoriété dans les milieux artistiques et chez les amateurs de peinture. Mais c’est un pastel retenu pour le très renommé Salon de la Correspondance qui, allié à la recommandation de Labille-Guiard, lui ouvre la voie des commandes de la haute bourgeoisie et même de la noblesse de Cour représentée par Mesdemoiselles Adélaïde et Victoire de France, les filles du roi Louis XV, dont la jeune femme réalise les portraits.

La Révolution apporte au monde des Arts de profonds changements, liés à la fuite d’une partie de la noblesse et de quelques artistes très réputés dont la concurrente d’Adélaïde Labille-Guiard, Élisabeth Vigée-Lebrun. Cette période troublée ne porte pas préjudice à Marie-Gabrielle Capet qui continue de peindre, un peu plus désormais des personnages républicains que des membres de la noblesse. Entretemps, elle s’est mise à la miniature, en déployant le même talent qu’au pastel et à la craie, techniques où elle excelle, et c’est précisément avec l’une de ses miniatures représentant Labille-Guiard qu’elle intègre en 1795 le Salon du Louvre. Une technique où elle se cantonne durant des années, de son propre chef, pour ne pas concurrencer avec de grandes toiles son amie et formatrice.

Adélaïde Labille-Guiard morte en 1803, Marie-Gabrielle reprend sa totale liberté de création et expose jusqu’en 1814 huiles et pastels, bien que ces derniers soient quelque peu passés de mode depuis l’arrivée de la jeune Lyonnaise à Paris. Marie-Gabrielle Capet décède le 1er novembre 1818 à son domicile de Saint-Germain-des-Prés, à l’âge de 57 ans. Elle est enterrée au cimetière du Père-Lachaise (11e division).

Deux tableaux sont particulièrement intéressants dans la vie de Marie-Gabrielle Capet. Le premier, réalisé par Adélaïde Labille-Guiard en 1785 et intitulé Autoportrait avec deux élèves, montre celle-ci dans une pose de travail (en tenue d’apparat !) tandis que ses protégées se tiennent debout derrière elle, Melle Capet la fille de domestique ayant, dans un geste étonnant pour l’époque car symbolique d’une égalité de condition, posé sa main sur la taille de l’aristocrate Carreaux de Rosemond. Une toile superbe à tous égards ! 

Le second a été peint par Melle Capet en 1808. Intitulé L’atelier de Madame Vincent, ce tableau, exposé à la Neue Pinakothek de Munich, montre Adélaïde Labille-Guiard en train de réaliser (dans une tenue plus appropriée à l’exercice) le portrait en habit de cour du peintre et sénateur Joseph-Marie Vien qui fut le professeur de son mari, François-André Vincent, également présent sur le tableau en compagnie de plusieurs amis ainsi que d’élèves et membres de la famille de Vien. Marie-Gabrielle s’est elle-même représentée sur la gauche de la toile, tenant en main la palette d’Adélaïde sur laquelle elle vient de préparer les couleurs. Seule de tous les acteurs de la scène, elle tourne le regard vers le spectateur comme pour quêter son appréciation.

Rassurez-vous, Mademoiselle Capet, cette toile est remarquable, tant par sa composition que par sa qualité d’exécution, et nous n’éprouvons pas la moindre réticence à vous en féliciter. Dommage à cet égard que vous ayez si longtemps fait le choix de vous cantonner dans l’art du portrait et la technique du pastel !

Précédents articles consacrées aux femmes peintres méconnues :

Adélaïde Labille-Guiard

Artemisia Gentileschi

Sofonisba Anguissola

 

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25 réactions à cet article    


  • Fergus Fergus 25 mai 2010 09:50

    Illustrations :
    Autoportrait (Capet)
    Portrait de Marie-Joseph Chénier (Capet)
    L’atelier de Madame Vincent (Capet)
    Portrait de Jean-Pierre Demetz (Capet)
    Autoportrait avec deux élèves (Labille-Guiard)


    • Imhotep Imhotep 25 mai 2010 09:56

      L’autoportrait est fascinant. On est proche de l’illusion de la 3D pou le visage de Carreaux de Rosemond.


      • Fergus Fergus 25 mai 2010 10:29

        Bonjour, Imhotep.

        Oui, ce tableau d’Adélaïde Labille-Guiard est tout à fait remarquable sur le plan pictural pour la profondeur de champ, mais également pour le rendu des drapés, les reflets des tissus, l’extraordinaire finesse des plumes du chapeau, le rendu impeccable du parquet Versailles et celui de la toile sur le châssis.

        A l’évidence, Adélaïde Labille-Guiard ne bénéficie pas de la notoriété qu’elle aurait mérité et qui aurait dû faire d’elle pour la postérité l’égale d’Elisabeth Vigée-Lebrun


      • Peachy Carnehan Peachy Carnehan 25 mai 2010 10:31

        Il y a des articles qu’on ne regrette pas d’avoir modéré positivement. Celui-ci en fait partie.


        • Fergus Fergus 25 mai 2010 10:46

          Un grand merci, Peachy, non pour moi, mais pour ces femmes-peintre injustement méconnues.

          Bonne journée.


        • Peachy Carnehan Peachy Carnehan 26 mai 2010 00:30

          Pour les deux Fergus.


        • antonio 25 mai 2010 11:40

          Merci de nous faire découvrir ces femmes-peintres « oubliées »


          • Fergus Fergus 25 mai 2010 12:32

            Bonjour, Antonio.

            C’est un plaisir tant est grand le talent de ces dames !


          • FRIDA FRIDA 25 mai 2010 12:15

            Merci pour d’avoir partagé avec nous vos lectures.


            • Fergus Fergus 25 mai 2010 12:38

              Bonjour, Frida.

              Des lectures, certes, mais aussi des visites de musées où l’on peut découvrir les oeuvres de ces artistes méconnues.


            • Georges Yang 25 mai 2010 12:52

              Bonjour Fergus
              Merci pour cet article qui peut faire réfléchir sur notre époque de geignards
              En pleine monarchie une fille de domestique arrive à devenir peintre
              Aujourd’hui elle serait au mieux caissière à mi temps ou si elle se voulait artiste , elle serait voué au tag et ferait des déclérations tonitruantes du style :
              J’ai beaucoup souffert et été victime de discriminations
              Comme quoi, on peut toujours sortir de son milieu c’est encourageant


              • Fergus Fergus 25 mai 2010 13:48

                Bonjour, Georges, et merci pour ce commentaire.

                Statistiquement, les chances de sortir d’une condition subalterne sont heureusement supérieures de nos jours à ce qu’elles étaient à la fin du 18e siècle. Et un jeune issu d’un milieu populaire peut, s’il a beaucoup de volonté, une part de chance et surtout des parents compréhensifs, faire des études longues et trouver un emploi de haut niveau. Cela a été le cas de ma belle-fille, docteur en biologie. La caisse de supermarché n’est par conséquent pas une fatalité.

                Il n’empêche que cela reste très difficile pour de nombreux jeunes en difficulté scolaire et voués au chômage ou aux emplois précaires malgré d’indéniables aptitudes. Et la responsabilité de leur échec social ne doit en aucun cas leur être imputée en totalité tant ils sont victimes, dans beaucoup de cas, de parents eux-mêmes déboussolés, mais surtout des dérives d’une société en perte de valeurs et sans réel projet socio-économique structuré .

                 


              • Georges Yang 25 mai 2010 12:56

                Il ne semble pas que l’artiste ait eu à souffrir de son patronyme Capet pendant la Révolution, alors que Louis Capet (alias Louis XVI) s’attirait de serieux ennuis


                • Fergus Fergus 25 mai 2010 14:01

                  Des Capet, j’en ai connu en Picardie. Mais c’est, semble-t-il, dans le Nord-Pas de Calais qu’ils sont les plus nombreux, bien que ce nom soit peu courant.

                  Peu courant mais pas rarissime, et sans doute y avait-il, proportionnellement à la population, nettement plus de Capet au 18e siècle que de nos jours, eu égard au brassage des peuples et à l’apport sur le territoire national de très nombreux patronymes d’origine étrangère qui ont contribué à raréfier les noms les moins portés.

                  Bien qu’un peu plus porté que Capet, le nom Prieur, désormais lui aussi très peu répandu, était relativement courant à la fin du 18e siècle. Au point que l’on a vu, à la même époque, trois Prieur célèbres : deux conventionnels, Pierre-Louis Prieur (dit Prieur de la Marne) et Claude-Antoine Prieur-Duvernois (dit Prieur de la Côte d’Or), sans oublier le talentueux... peintre Jean-Louis Prieur.


                • Georges Yang 25 mai 2010 14:46

                  Et Dominique Prieur, la fausse épouse Thurenge


                • Iren-Nao 25 mai 2010 16:01

                  @ Fergus

                  Merci beaucoup pour ce cadeau, personnellement ca me decrotte.

                  Cordialement

                  Iren-Nao


                  • Fergus Fergus 25 mai 2010 16:46

                    Bonjour, Iren-Nao, et merci pour votre commentaire.

                    Se « décrotter », c’est ce que je m’efforce de faire tout au long de l’année pour moi-même. Et vu mon modeste niveau de départ, « je n’aurais pas le temps » comme dit la chanson. Pas le temps d’être blasé en tout cas...

                    Cordialement.


                  • rocla (haddock) rocla (haddock) 25 mai 2010 17:04

                    Bonjour Fergus ,

                    Votre absence m’ inquiétait . Me voilà rassuré .

                    Vous êtes manifestement doué dans beaucoup de domaines .

                    Bravo Fergus , je dirai même Fergentilhomme plutôt .


                    • Fergus Fergus 25 mai 2010 18:01

                      Bonjour, Capitaine, et merci pour ce souci de ma modeste personne.

                      Me voici en effet de retour après deux semaines très riches et très vivifiantes en Irlande, entre les péninsules du sud-ouest, le Connemara et le très karstique Burren, lieu où prend sa source la rivière... Fergus.

                      Cordiales salutations.


                    • norbert gabriel norbert gabriel 25 mai 2010 19:13

                      Très intéressant, belle découverte...
                      Et très beau portrait de Marie-Joseph Chénier.


                      • Fergus Fergus 25 mai 2010 20:00

                        Bonjour, Norbert.

                        Très beau portrait en effet.

                        J’en profite pour rappeler que Marie-Joseph Chénier, homme politique et littérateur, était le frère d’André Chénier. Malgré les paroles du « Chant du Départ » dont Méhul a signé la musique, c’est pourtant André qui a rendu célèbvre le nom de Chénier en étant... guillotiné en 1794. André Chénier habitait alors un appartement situé au 4e étage de l’un des plus curieux immeubles de Paris, implanté en étrave de navire à l’angle des rues de Cléry et de Beauregard (métro Strasbourg-Saint-Denis). 


                      • asterix asterix 25 mai 2010 19:28

                        Cela fait dix ans que j’aurais voulu une peinture de cette qualité dans mon salon, je n’en ai jamais trouvé. Et comme maintenant je n’ai même plus de salon non plus... Superbes vos tableaux, Mademoiselle comment déjà ? Capet, vous seriez de la famille d’Hugues ?
                        L’art est ce qui revient en surface quand on a tout oublié. Merci l’auteur ! 


                        • Fergus Fergus 25 mai 2010 20:08

                          Bonjour, Astérix, et merci à vous.

                          L’art a ceci de fort qu’il peut toucher chacun d’entre nous, quelles que soient ses origines et sa formation. Pourquoi s’en priver ? A cet égard, à défaut de pouvoir s’offrir de belles toiles et sans même visiter les musées (à la différence de l’Angleterre, ils restent payants en France et coûteux pour les budgets modestes), il est toujours possible, et souvent très intéressant, de s’imprégner des créations en visitant les galeries, particulièrement nombreuses à Paris, notamment dans le quartier des Beaux-Arts.


                        • Arunah Arunah 30 mai 2010 10:27

                          Bonjour Fergus !

                          Et dire que j’ai failli manquer cet article épatant !
                          Pour reprendre l’expression de Iren Nao, merci de faire ce salutaire travail de décrottage.
                          On en redemande !
                          Il est ahurissant que ces artistes soient tombées dans l’oubli... mail il est vrai que dans notre société, ce qui est valorisé, ce sont - entre autres - les tags...

                          Et puis, vos fils de discussions sont toujours courtois et civilisés... une délicieuse rareté !


                          • Fergus Fergus 30 mai 2010 11:14

                            Merci pour votre commentaire, Arunah.

                            Il est effectivement dommage que tant d’artistes de valeur soient tombés dans l’oubli. Un oubli favorisé par les orientations du marché de l’art, plus orienté désormais, grâce à la collusion de critiques élitistes, de politiques ignares et de clients snobs, vers l’évènementiel provocateur au détriment de talents toujours présents comme on peut le constater en flânant du côté des Beaux-Arts, de l’ïle Saint-Louis ou de la Place des Vosges.

                            Cela dit, il est également des tags et des graphes superbes (j’en ai pris quelques-uns en photo lors de mes balades tant à Paris qu’en province). Mais ils ne constituent pas la majorité du genre et sans doute ne faut-il pas en faire l’acmé de la création graphique contemporaine.

                            Bonne journée.

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