Marier classique et rock, un exercice périlleux mais un avenir pour le rock... qui s’académise
La récente prestation de Sting, dans un opéra plutôt mièvre, au livret insignifiant, nous offre l’occasion de réfléchir sur le mélange de ces deux genres musicaux opposés que sont le rock et le classique.
Liminaire : Sting ou quand la carpe du rock pose un lapin au classique.
Le mariage des genres musicaux est délicat. Surtout lorsqu’il s’agit de marier le rock et le classique. Le théâtre du Châtelet a proposé un spectacle mettant en scène les chanteurs Sting et Costello aux côtés d’un ensemble classique et de chanteuses lyriques. Les critiques ont été parfois indulgentes et quelques fois saignantes. Notamment celle de Libération. En fait, cette idée d’opéra rock n’a rien d’une innovation exceptionnelle. Il s’agit plus d’une opération promotionnelle, d’un coup événementiel, loin des chefs-d’œuvre de Brecht et en vérité, du sous Broadway, une sorte de Starmania ou de Notre Dame de Paris en plus branché, avec des pointures reconnues comme Costello et Sting, du spectacle brodé pour midinettes parisiennes et traders de la City. Du faux pop rock opéra en version kitsch pour vrais bobos qui se la pètent culture et claquent 120 euros pour voir de près leur idole en toc, Sting, le Sinatra écolo du 21ème siècle.
La conclusion qui s’impose est de reconnaître que le mariage du classique et du pop n’est pas aisé à réaliser. Et si on remplace le pop par le rock ? Bataille de mots, car Costello et Sting appartiennent au rock, même si Police fut complètement ringard à son époque, anticipant U2, groupe pour quadras en pleine force de l’âge mais avec une mentalité d’octogénaire, quoique, les octos, de Cavanna à Pasqua, ils se portent bien et même Giscard qui fait salon dans son hôtel du XVIème. Disons que deux questions se posent. Le mariage du rock et du classique doit-il être à l’initiative du rock ? La seconde question est en fait une réponse. Si l’opéra rock avec la vedette Sting est un ratage, c’est parce qu’à la base, l’intention événementielle l’emporte sur la volonté artistique et esthétique. Ce qui nous conduit au ratage d’une autre époque. Lorsque Deep Purple qui ne faisait pas encore du deep rock mais du pop sans saveur, s’acoquina avec un orchestre classique pour un résultat que l’histoire a bien fait d’oublier. Quelques années plus tard, Procol Harum, groupe pré-progressif, nous gratifia d’un concert où cette fois, le rock a pu montrer qu’il peut se marier avec un orchestre classique. Dans le même temps, le progressif, de Van der Graaf et Crimson à Genesis et Yes, a constitué une sorte de symbiose entre l’énergie rock, les instruments amplifiés et l’esprit virtuose, sophistiqué et baroque du classique. Quant à l’initiative, elle incombe au rock. Je me rappelle d’une prestation à Toulouse ou Didier Lockwood su jouer une partition de Bach alors qu’Ivry Gitlis fut désemparé pour jouer du jazz. Le rock, comme le jazz, nécessite un état d’esprit particulier.
Nous voilà autour de l’an 2000. Quand Metallica, qu’on ne présente plus, donna un concert à San Francisco accompagné de l’orchestre du coin dirigé par Michael Kamen. Et là, stupeur, du pur métal en osmose avec du somptueux symphonique, joué par des vrais musiciens qui ont fait le conservatoire, jouant sur des instruments classiques. Après avoir lu ces lignes, lorsque vous ouvrirez vos cadeaux de Noël, vous penserez peut-être à moi et me remercierez. Si on vous offre l’opéra avec Sting, vous ne l’ouvrirez pas, et le lendemain, vous irez le changer contre le double CD de Metallica. Mais pensez à sourire à la personne qui vous a offert Sting et remerciez là. Si elle insiste pour que vous ouvriez le CD de chez Grammophon, prétextez que vous préférez être seul pour apprécier les qualités d’un tel chef-d’œuvre.
Metallica n’est pas le seul groupe à avoir joué, voire enregistré avec un orchestre classique. Pour info, Kiss et Scorpion, autres figures légendaires du rock musclé, ont joué le jeu. A noter aussi, plus exotique mais aussi réussi que méconnu, les oeuvres de David Bedford, plus classiques en fait dans l’esprit, un peu dans une démarche à la John Adams, mais avec devinez qui, Mike Oldfield pour de subtiles parties de guitares. Du grand art, du concept album, inspiré par des vieux textes.
Le rock a montré que son avenir passe par le prog, le métal, un peu d’électro et bien évidemment un mariage avec le classique. Mais attention à l’intention. Ce mélange n’est accessible qu’aux authentiques artistes. Les métallos scandinaves sont bien placés dans cette spécialité. Certes, Nightwish n’a pas réalisé d’un coup d’audace particulier en intégrant une chanteuse lyrique. Déjà pendant les eighties, Klaus Nomi et Nina Hagen y allaient de vocalises classiques. Mais avec Nightwish, l’intention esthétique est différente. On sent bien que ce métal veut sortir des limites assignées à ce genre et que le doom et le death ont fait leur temps comme le psyché à une autre époque. Le death du 21ème siècle s’accompagne généreusement d’effusions symphonistes, qu’on trouvera notamment chez Dimmu Borgir. Le métal épique intègre lui aussi le symphonisme mais les perles se font rare et Sonata Artica semble bien ennuyeux, assez pompeux pour le dire honnêtement, comme du reste Rhapsody. Dieu merci, il reste les magiciens de Therion dont les trois derniers albums ont été enregistrés avec un orchestre tandis que les précédents ont accueilli quelques choristes et instrumentistes classiques.
Pour finir, sachons louer et apprécier ce tournant symphoniste et lyrique amorcé par le rock. Et tous ces artistes qui créent d’authentiques œuvres, en marge, entre métal, prog et classique. Le rock s’est toujours pensé comme innovation, comme rupture par rapport à l’académisme. Holger Czukay et Irmin Schmidt, fondateurs de Can, l’un des plus inventifs groupe de rock, furent des anciens élèves de Stockhausen en déviance, refusant toute forme de bureaucratisation de la musique et l’académisme.
Et voilà qu’un autre académisme plombe le rock. La branchouillitude des Inrocks vénérant Franz Ferdinand, Coldplay et même Carla Bruni. On comprend pourquoi les gens et les jeunes prisent Sarko ou Ségo. Avec toute cette daube musicale déversée par le Mouv ‘, la radio qui materne le djeune en rébellion. A entendre Tryo, Kyo, Bénabar et tous les clones de Noir désir, de Louise attaque, les Julien Doré, on comprend toute cette désolitude d’une jeunesse qui n’a d’autre exutoire que se mettre minable avec l’alcool, pour l’espace d’une cuite, croire que le monde est vivable et écoutable. L’académisme tue l’art, il est subventionné par l’Etat et diffusé par le marché des industries de la daube. Star academy, académie de merde !
Mais le salut esthétique est présent, dieu merci, pour les âmes qui ne veulent pas s’avilir dans le purin musical diffusé par le système. Le mariage du rock et du classique, de divines noces entre le métal et les sonorités éternelles d’un violon qui se rebelle et d’une chanteuse lyrique vocalisant telle une diablesse à se damner pour quelques séquences de rock transfiguré par l’orchestre, enfin, la sortie de "l’académisme", celui du marché et des grands médias.
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