Pleurez avec moi ghiwanis (fans de
Nass El Ghiwane) du Maroc et du Maghreb, Paco est mort. Le maitre de la musique
gnaoui qui expulsait les démons et purifiait l'organisme grâce à de longs et hypnotiques motifs rythmiques et des chants incantatoires, Paco de Nass El Guiwane s’est éteint le 14/10/2012. Il a rejoint les deux autres membres du groupe : Boujmii mort 1974 et de Larbi Batma diparu en 1997.
Mort dans l’oubli, lui qui était une figure emblématique du groupe Nass El Ghiwane, Abderrahman Kirouche, alias Paco, a introduit l’art gnaoui au sein de cette formation mythique par ses expressions et ses notes qui sont le résultat de longues années d’expérience musicale ayant savamment contribué a conférer à ce groupe sa dimension africaine.
Il est décrit comme « un symbole éclatant du phénomene ghiwani », et avec son instrument de prédilection le
hajhouj « il a marqué de son seau le parcours créatif de ce groupe, à travers un riche répertoire de chansons qui ne cessent de faire vibrer des maghrébins de tous les âges ». Il a « su faire du hajhouj un instrument monumental et inventer des notes inédites »,
Né à Essaouira en 1948, Paco grandit en milieu gnaoui. Il a été initié par de grands maalems (maitres) avant de devenir lui-même maâlem (maitre) en 1964. C’est dans les années 1970 que Paco rejoint le groupe Nass El Ghiwan et apporta sa touche gnaoui qui va propulser le groupe au sommet de son art.
En effet au tout début des années soixante-dix, cinq jeunes chanteurs créèrent dans un bidonville du Hay Mohammadi, à Casablanca, un groupe musical qui a déclenche immédiatement l'enthousiasme et très vite la ferveur, pour devenir, presque à son insu, le porte-voix des sans voix dans le pays.Ce groupe composé de Omar Sayyed, Larbi Batma, Boujmaa, (dit Boujmii), Alal Yaala, Abderhmane Paco vient de fêter ses quarante ans de musique. Et après avoir perdu des membres illustres ; Boujmaa mort en 1974 et Larbi Batma disparu en 1997, le groupe vient de perdre Abderrahmane Paco.
Sur la pratique des ghiwane il faut rappeler qu’il s’agit d’ une coutume ancestrale qui conférait à des gens connus pour leur probité et leur modestie la faculté de décrire par le chant et la parole la vie quotidienne, les problèmes et entraves de leurs semblables. Ces troubadours, de douars en douars, transmettaient leur savoir par l'entremise de la poésie, du chant et du jeu théâtral.
Bien que la formation mythique continue à se produire, ce sont les succès des années 70 et 80 qui font
vibrer et
danser le Maghreb. Le succès musical de Nass El Ghiwane réside dans l'association de textes engagés, inspirés de préoccupations sociétales et l'utilisation de styles musicaux comme le
Malhoun, (musique d’inspiration mauresque andalouse), la musique
traditionnelle marocaine et de
Gnaoui (musique d’inspiration africaine) et aussi et surtout du
El Hal (état de Transe) dont la meilleure illustration est leur film
Transes.
Nass El Ghiwane n’utilisent, ni guitare électrique, ni batterie ni synthétiseur. Ils ont réintroduits les instruments de musique traditionnels comme le
Guembri le Hajhouj et
Bendir. Ils ont inspiré des groupes en Algérie et en Tunisie qui n'ont pas connu le même succès. Seuls les Groupes
Jil Jilala et
Lamchaheb au Maroc ont eu du succès et un rayonnement régional.
Voir les trois groupes réunis .Sous le règne d’Hassan 2, ils étaient juste tolérés mais ignorés par les autorités marocaines en dépit de leur popularité. En 1972, après avoir chanté
Sabhane Allah Sifna Oula Chtoua, ils ont été interrompus en plein concert et embarqué par la police qui leur demanda sur PV de préciser les « insinuations » des paroles de leur chanson.
Mon dieu pourquoi notre été est devenu hiver ;
Que notre printemps est devenu automne ;
Que la justice n’est pas rendue ;
Que nos dirigeants sont absolutistes et corrompus
Dites à celui-ci et à celui la, s’il n’a pas encore compris les jours (le temps) le lui feront comprendre
Comprend le sens des mots, réveille-toi…
Ils ont écrit d’autres chansons engagés sur le même thème notamment
Wach Hna Houma Hna ou « Sommes nous nous même »
Fine Ghadi Biya Khouya « Ou m’emmène tu mon frangin »ou bien encore
Mahmouma ou
Zad Al Ham entre autres.Toutefois
Mahamounireste une chanson culte. En effet pendant les premières années de règne Hassan 2 appelées « années de plomb » avec leur lots d’enlèvements, ils ont témoigné avec cette chanson de cette époque :
Ce qui m’attriste c’est la disparition des hommes ;
Ce qui m’attriste c’est les enfants qui sont malades et ont faim ;
Car :
-si les habitations sont détruites les gens reconstruiront leur maisons ;
-les champs détruits refleuriront.
Ce n’est que bien plus tard en 2007 que le groupe a été officiellement « réhabilité » avec un geste du Roi Mohammed VI qui a accordé des pensions à vie aux membres du groupe et aux ayant droits des deux membres décédés.Le 10 mars 2010 ils ont été décorés à Fès par la France des insignes de Chavalers des Arts et des Lettres. A cette occasion Frédéric Mitterand a déclaré...
"Vous représentez des années de création artistique pour plusieurs générations de Marocains que vous continuez à émouvoir. L'histoire de Nass El Ghiwane est l'histoire d'une musique qui trouve ses origines dans les racines de la musique marocaine mais aussi de la musique africaine et du rock. De tout cela vous avez inventé quelque chose qui est vraiment le symbole du Maroc d'aujourd'hui et là je reprends les paroles du grand cinéaste américain Martin Scorsese qui vous a décrits comme les Rolling Stones de l'Afrique. En vous décorant, la France vous montre qu'elle vous écoute, qu'elle est attentive à ce que vous faites... et elle se fait honneur ».
Leur musique a dépassé les frontières du Maroc et du Maghreb. Une de leurs chansons a été utilisée par le réalisateur Martin Scorsese pour la bande originale du film "la dernière tentation du Christ". Ceux que le réalisateur américain Martin Scorsese a qualifiés de « Rolling Stones de l'Afrique » auraient inspiré des stars de la musique comme Jimmy Hendrix, Bob Marley, les Rolling Stones, Robert Plant et bien d'autres. Voici
l'hommage rendu par Martin Scorsese.
Joignant le geste à la parole, Martin Scorsese a décidé de faire réhabiliter leur film culte "Transes" de 1981 : voir l'article du
New York Times à sujet.
Tahar Benjelloun avait écrit à leur propos : « Ils sont aimés parce qu'ils ont su capter et chanter la parole de la terre, celle du douar, celle des quartiers spontanés dans la banlieue des villes. En cela, ils ont marqué une rupture radicale dans l'histoire de la chanson maghrébine de groupe, laquelle a souvent manqué d'authenticité. »
Un livre de 400 pages retraçant enfin leur itinéraire musical vient enfin d’être édité.